Maudite, la baie de Port-au-Prince se cherche sous des tonnes d'alluvions, de déchets organiques et chimiques. Les poissons, crustacés... de sa faune ont filé, au grand dam de pêcheurs qui tirent le diable par la queue.
La baie de Port-au-Prince ne scintille presque plus. Elle perd peu à peu son bleu azur et ses reflets argentés. Ses récifs coralliens, ses mangroves, sa beauté sauvage, son charme légendaire ne sont que des souvenirs évoqués avec mélancolie par des Port-au-Princiens nostalgiques.
Comme si elle était maudite, on semble, avec persistance, vouloir « l'exorciser » en y déversant, de Cité Soleil à Mariani où ont « poussé » des bidonvilles, des tonnes de déchets organiques et même chimiques. Jusqu'à aujourd'hui, la disparition de sa faune ne suscite aucune émotion dans une capitale où l'on est prêt à tout sacrifier sur l'autel de la débrouillardise. Cependant, en dépit de l'insouciance des uns et de l'incurie des autres, ceux qui vivent directement de la mer sont extrêmement préoccupés.
A Bizoton, dans un petit village de pêcheur d'environ 2000 âmes, on broie carrément du noir. « C'est le sauve- qui- peut », explique Jean Moise, secrétaire générale d'une association de pêcheurs. Fils et arrière petit fils de pêcheur, il impute sans détour la destruction de la faune à la pollution. « Regardez autour de vous et vous comprendrez », dit ce père de huit enfants en pointant du doigt le littoral totalement recouvert de pneus usagés, de haillons, de bouteilles en plastique.
Le plastique tue les poissons, enchaîne-t-il en passant en revue la disparition de la baie de Port-au-Prince de variétés comme le « sarde rose », le « poisson argenté »... « Même moi, si j'ai envie de manger une de ces espèces, ma femme doit l'acheter au marché au poisson de Fontamara. Ce qui me désole le plus, c'est que ces poissons viennent de Jacmel, de Marigot, de la Gonâve », suffoque-t-il. Cinglant, il pointe un doigt accusateur sur la centrale thermique de Thor et des entreprises privées de la zone qui déversent des déchets chimiques, comme la peinture, dans la mer via des canaux d'évacuation d'eau usées ou des ravines.
« Souvent lorsque le pic de pollution est atteint, la mer devient rouge », crache-t-il. Galère, galèreFace aux difficultés éprouvées par les pêcheurs pour faire vivre leur famille en utilisant les techniques artisanales comme la ligne..., Jean Moïse évoque le congrès de pêcheurs organisé vers la fin du premier mandat du président René Préval en 2001. A l'époque, on parlait de formation de pêcheurs haïtiens à Cuba et de la nécessité de pratiquer une pêche avec des chalutiers à moteurs, se rappelle-t-il avec un relent de déception dans la voix. On sait en effet depuis un certain temps que la topographie et la bathymétrie des côtes haïtiennes qui découpent un plateau très étroit de 5.000 kilomètres carrés contribuent à limiter la production de la pêche artisanale telle que pratiquée par les pêcheurs de Bizoton.
Ce qui, par voie de conséquence, a engendré l'importation, par Haïti, de 16 millions de dollars américains de poissons par an. Selon une étude de la FAO les pêcheurs haïtiens estimés à 30 000 environ ne capturent que 4 à 5 tonnes métriques de poissons par an tandis que le potentiel estimé est de 14.000 tonnes.La baie de Port-au-Prince, indicateur de la dégradation de l'environnement, de l'absence de politique censée et cohérente de la gestion des déchets, crie sa misère, sa douleur.Maudite, elle démontre surtout le lien, la relation intime, l'interdépendance existant entre dégradation de l'environnement et pauvreté. Et aussi l'évidence que l'on ne saurait lutter efficacement contre la pauvreté sans la volonté clairement affichée et soutenue des décideurs de travailler à la réhabilitation de l'environnement.A Bizoton en tout cas, la pêche n'est toujours pas miraculeuse. Et la malédiction de la baie difficile à conjurer...
Roberson Alphonse
robersonalphonse@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=46664&PubDate=2007-07-28
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
lundi 30 juillet 2007
La faune envahie par des déchets
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