Un texte envoyé de l’étranger à la rédaction de Radio Kiskeya qui soulève des interrogations sur l’origine de cet acte barbare et restitue à l’artiste sa stature de géant et d’éternel révolté
vendredi 25 mai 2007,
Radio Kiskeya
ENQUETES : QUI A ORDONNE L’EXECUTION DU JOURNALISTE FRANCOIS LATOUR ?
Il ne s’agit pas d’un simple assassinat mais d’une exécution. Plusieurs indices : d’une part les ravisseurs semblaient avoir été placés devant la maison de Francois Latour,attendant pendant des heures son retour en fin de journée en vue de le kidnaper et l’emmener vers la rue Barbé de Marbois (Delmas 31) ou il allait trouver un autre groupe de mercenaires . D’autre part ils n’ont attendu aucune négociation de rancon , apres avoir éxigé pour la forme 100,000 dollars US , en prenant le soin d’utiliser le téléphone de leur victime . Ils ont emmené leur butin vivant dans la région quasi déserte de Batimat pour le descendre sans autre forme de proces apparemment deux heures apres. Autre indice : la balle dans le ventre. Apparemment Francois Latour aurait tenté de faire face aux criminels , de se battre, dans un dernier corps à corps, se souvenant de cette folle soirée apres l’assassinat sous Baby Doc de son ami le journaliste Gasner Raymond quand ses copains de la presse indépendante monterent une armada à la recherche des assassins, les armes et le coeur à la main , les yeux inondés de larmes , comme de jeunes oiseaux fous. Il aurait essayé de survivre . Jouant au mort comme dans la tragédie grecque d’Antigone, n’a-t-il pas ensuite essayé en vain d’appeler à son secours, en signalant ou on l’avait jeté ? Autre indice : on n’arrivait pas à le localiser. On l’a abandonné. On a été le chercher uniquement le lendemain, il est mort des suites de ses blessures et de la lacheté des autres. On a fini par l’avoir...
Francois Latour a survécu pourtant à l’assassinat de la plupart de ses amis de la presse et du theatre : 40 ans apres on a fini par l’avoir lui aussi ! Merde ! On a tué Francois Latour. C’est toute une génération qu’on vient de tuer. C’est toute une époque. C’est un pays, je veux dire, tout un patrimoine qui vient de tomber . Il faisait partie de ces ainés qu’on ne pouvait que respecter. Vers la fin des années soixante dix et le début des années quatre vingt tout adolescent qui apprenait comme moi à lire et à ecrire enfin tout seul avait une vénération sans borne pour de tels noms : Ezechiel Abellard ( de Radio Metropole dont on ne retrouva jamais le corps), Gasner Raymond (du journal le Petit samedi Soir étranglé et jeté sur la route de Braches), Ricot Jean Baptiste (qui finit par "se suicider", brulé vif, apres une émission de radio), Jean Dominique (criblé de balles devant Radio Haiti), et tous ces journalistes cartésiens, Marie Gerty Aimé, Pierre Clitandre, Anthony Pascal, les freres Jean Robert et Gabriel Herard, Michel Soukar, Jean Claude Fignolé, Marcus Garcia, Bob Lemoine, Dany Laferriere, et par dessus tout Francois Latour le philosophe . Nom de Dieu ils n’avaient que vingt ans et c’était nos seules references. Grace à eux on avait un pays et on se sentait fier , fiers tous d’avoir leur nationalité. Et aujourd’hui qu’en reste-il ? Autour de ces noms des cadavres , rien que des cadavres et des memoires de cadavres. Les survivants n’ont pas vu passer le temps, à 60 ans ils ont encore vingt ans. Au fond de nous leurs pauvres héritiers, monte une rage à peine contenue, difficile à etre retenue , un cri énorme, le cri des oiseaux fous comme aurait dit Dany Laferriere , dans ce merveilleux roman qui fait pleurer de la premiere page jusqu’a la fin. Dany raconte en efftet l’histoire des journalistes traqués, qu’on tue sans arret dans ce pays et qui ressassent des reves sans fin, il cite nommément ce jeune journaliste qui s’appelait Francois Latour et qui intriguait tout le monde par sa grandeur et sa profonde humilité. Un jeune homme surperprotégé par sa mere nous dit Dany qui n’avait peur de rien sauf de mourir sous la pluie... 40 ans apres il meurt sous la pluie, abandonné, dans son sang . On a fini par l’avoir...
Francois Latour était plus qu’un publiciste. C’est le journaliste que j’ai toujours connu et admiré, le journaliste des chroniques radiophoniques au quotidien, qui pour faire face à la médiocrité ambiante, en réel géant, se refugiait dans le rire, les calembours, les jeux de mots, juste pour passer le temps. Il est né là , dans un mauvais temps , le temps des chauves souris. Il est né à une epoque ou il n’y a plus de geants, parmi nous, une majorité de petits nains, et dans ce cas il devenait facile à voir. Difficile à défendre. Difficile aussi apres de rendre le coup pour le coup. Ainsi personne n’est plus à l’abri. Serions nous tous devenus si laches de ne pouvoir organiser la resistance au nom de la liberté , pour que nous puissions vivre enfin en paix et pour permettre aux enfants de grandir heureux ? C’est la derniere idée soulevée à Miami au local d’une télévision hatienne, entre des amis par Francois Latour il y a quelques mois. En fait Francois a toujours été considéré comme dangereux pour toutes les dictatures. Parce qu’il a toujours su penser et aider les autres à se panser ou se passer de l’ignorance... Francois Latour a fait ce qu’il a pu pour donner à sa patrie en tant que journaliste et homme de parole toute la dimension qu’elle méritait. Aui nom de la liberté d’expression.
Francois Latour à 20 ans apres la mort de Papa Doc, entra à l’université pour participer activement à la création d’un mouvement de prise de conscience revolutionnaire de masse en utilisant le créole comme une arme . Il lanca l’idée de la naissance d’une presse indépendante en utilisant comme base de lancement les cercles de reflexion culturelle, alliant autour de lui des fils de paysans qui réclamaient le retour à la liberté et à la démocratie . Là ou Exechiel Abellard de Radio Metropole avail échoué, il allait réussir. Il parvint à entrainer apres lui les jeunes de la SNAD (Societe Nationale des Arts Dramatiques) et à leur donner une orientation revolutionnaire. Le pays allait connaitre l’ere des Comperes : Compere Filo (un fervent d’Exechiel ) Compere Roro, Compere Plume, Compere Jojolafleur. Ces camarades creoles allaient creer une opposition radicale à la dictature à la radio et sur les planches de theatre en drainant des foules entieres , à leur tour, derriere eux . Francois Latour a toujours identifié deux endroits pour atteindre les foules : le théatre et la radio. Il prit à la fois la direction de la TNH (Theatre National d’Haiti) et celle de Radio Port-au-Prince pour mieux coordonner le mouvement à la barbe de la milice. Il finira par entrer dans la clandestinité échappant plusieurs fois à la mort. Intellectuel tres érudit, ce jeune homme fit circuler ensuite par ses fideles de precieux livres dans les lycées tel le volumineux "Question de Methodes" de Jean Paul Sartre, les fameux "Principes Elementaires de philosophie" de Pullitzer , et certains auteurs contestataires russes que lui seul pouvait trouver secretement. C’est lui qui apportera à Francketienne, une celebre piece de dissidents russes traduite en francais "Les immigrés" qui deviendra"Pelen Tete" , une formidable mise en accusation de la nomenclatura duvalieriste. A la chute du regime en février 1986 il produisit a Transvision Studio un documentaire journalistique de television de haute qualité, distribué par milliers à travers le pays concernanto sur les dérives autoritaires de la dictature et la quete populaire de la démocratie. C’est a partir de cette epoque que le journaliste se consacra davantage sur demande de Jean Dominique à la production de spots publicitaires en creole en leur donnant un autre ton , un autre tonus alliant l’intellectualité au populisme, un pari qu’il réussit...
Les années 1986-1990 qu’il appela avec humour "les années malfini" (du nom d’un oiseau rapace) voient un Latour encore plus mordant dans ses chroniques. Il envoyait de la vitriole sur les régimes de mort, allant parfois jusqu’a improviser des phrases de colere contre "les mangeurs d’innocents qui boivent du sang en se lavant les dents avec" . Il explosa ainsi dans "Troufoban" de Frankétienne, nous livra un "Caligula" creole (traduit d’Albert Camus) qui rappellait ses sorties inattendues dans "Bouki Nan Paradi" de Franck Foucher,"Monsieur De Vastey"( de René Philoctète) ,"Montserrat" de l’algérien Emmanuel Roblès ou "Lamiral" de Syto Cavé.Au cinema avec "Map Pale Nèt" de Raphaël Stines ou "L’homme sur les quais" de Raoul Peck, il démolit davantage tous les styles de dictature et mit en garde contre la resurgeance des nouveaux dictateurs en Haiti. Francois Latour n’était pas simpliste , si vous preferez, il n’était pas "simple". Au cours des années 1991 - 2001 qu’il denomme "années de la longue nuit" dans une ses chroniques il démontrait son souci de rester éveillé, de ne pas se laisser zombifier. Il se faisait écouter tous les matins à la radio dans sa rubrique "Port-au Prince au cours des Zins" dans laquelle sur Radio Metropole, il pourfendait les dirigeants et les moeurs de la nouvelle société obscurantiste. Entre 2001 et 2007 qu’il présentait comme "le temps de la folie furieuse" il enregistrait et interpretait des poetes de la rage tels un Anthony Phelps, se demandant comme lui si "le temps est revenu de se parler en signe". Sur les ondes de Radio Caraibes il offrait enfin une serie d’analyses critiques et ironiques sur les orientations actuelles du pays, sans égard pour quiconque rappelant qu’il refusera jusqu’à sa mort "d’acheter la figure de quiconque" ou de se faire acheter, préferant garder son compte en banque secret pour que les corrompus bien armés ne viennent tirer ce qu’il n’a pas...apres tant de refus. Finalement ils sont venus tirer sur lui, pour nous voler sa vie. Francois Latour a refusé de se faire acheter est resté integre et jusqu’à la fin portant bien haut le flambeau de la liberté de la presse. Qui a ordonné son execution ? Les premieres versions sont liées à des rumeurs : une stratégie pour détourner les regards des Gonaives qui menacaient apres l’assassinat d’un autre journaliste Alix Joseph, d’inaugurer de nouvelles émeutes de nature à ébranler les assises de Port-au-Prince. Cette stratégie serait nous dit-on purement trostskiste : solutionner un probleme en créant un autre probleme . Si cette version a un sens quelconque, pourquoi choisir Francois ? La meme rumeur voudrait que son nom nom ait été sur une liste de mauvaises tetes à cause de ses critiques ouvertes à la barbe de Fidel "qui aurait maintenant deux pays à gerer Cuba et Haiti" . Capacité sournoise de mobilisation ou non , on prétend aussi de prétendues consultations internationales dans lesquelles il aurait dénoncé un ensemble de crimes en Haiti et ses relations avec le brillant cinéaste Raoul Peck en exil considéré comme l’un des plus farouches détracteurs du pouvoir actuel au niveau de la communauté internationale. Que ne dit-on pas ? Maintenant il reste à trouver les veritables mobiles de cet assassinat et leurs auteurs pour que la justice puisse agir, meme si la justice s’amuse ces jours ci à liberer des criminels notoires. Serions nous revenus aux temps de se parler en signe ? La lumiere doit etre faite sur ce crime, meme si les comédiens font semblant de s’époumonner maintenant. Et ceci n’arrivera pas tout seul. Il nous faut réfléchir à une stratégie de survie. C’est l’avenir de tout un pays et de chacun de nous qui se trouve en danger...
Adyjeangardy Fondateur et Président d’Honneur de la Fédération de la Presse Haitienne
P.S Texte parvenu à la rédaction de Radio Kiskeya le vendredi 25 mai 2007
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
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