Vincent Marissal, envoyé spécial, La Presse (Port-au-Prince) Situation chaotique dans les rues de la capitale, plan d'urgence de plusieurs milliards de dollars, engagement de la diaspora, élections et relations entre gouvernement et ONG, notre chroniqueur a fait le tour de ces questions, jeudi matin, lors d'une longue entrevue avec le premier ministre d'Haïti, Jean-Max Bellerive, à sa résidence officielle de Port-au-Prince.
Jeudi matin, dans le jardin de la Primature, le premier ministre haïtien, Jean-Max Bellerive, et la ministre canadienne responsable de l'ACDI, Bev Oda, annoncent quelques millions pour un hôpital.
Juste quelques mètres derrière, la résidence officielle extrêmement fissurée, une poutre de soutènement bien en vue pour retenir une partie de la devanture de la grande maison.
«Nous sommes ici pour servir Haïti et nous discutons avec le gouvernement de la meilleure façon de le faire», dit Mme Oda en réponse à un journaliste haïtien.
Cette réponse, et la réponse du Canada à l'ONU la semaine dernière (un ajout de 400 millions et l'appui à une commission mixte gouvernement haïtien-communauté internationale), marque tout un changement de cap.
Il y a quelques semaines à peine, tout juste après le tremblement de terre, un collaborateur de Mme Oda a indiqué à La Presse qu'Ottawa préfère passer par les ONG pour le financement parce qu'on ne fait pas confiance aux autorités haïtiennes. Ce sentiment était largement partagé dans la communauté internationale, si bien que depuis trois ans, 80% de l'aide à Haïti était versée aux ONG et seulement 20% au gouvernement.
Cette tendance vient d'être inversée, ce qui réjouit le premier ministre Bellerive, qui souligne que ce modèle a été proposé par la communauté internationale.
«La solidarité internationale, ça ne dure jamais longtemps, dit M. Bellerive dans une longue entrevue à La Presse dans les jardins de sa maison. Nous avons besoin d'un plan et tout tourne autour d'une agence de développement (gouvernementale).
«La société civile et les ONG ne sont pas heureuses puisque l'argent passera par le gouvernement alors qu'avant, c'était par elles, reprend-il. C'est pour ça que l'on ressort les histoires de corruption et de dictature maintenant. Mais depuis trois ans, 80% de l'argent passait par les ONG et seulement 20% par l'État. Pourtant, nous n'avons pas vu d'amélioration notable pour le peuple haïtien. S'il y a effectivement corruption, le gouvernement ne peut être responsable de plus de 20%!»
Il s'agit d'une victoire pour le gouvernement haïtien, certes, mais parmi les pays donateurs, les inquiétudes quant à la corruption et au manque de transparence ne s'effaceront pas du jour au lendemain. Cela fait des décennies que la communauté internationale pompe en vain de l'argent dans ce pays.
La meilleure garantie de transparence, affirme M. Bellerive, passe par le gouvernement haïtien, qui travaillera pendant les 18 prochains mois avec la communauté internationale.
«Je dis aux Canadiens: gardez les yeux ouverts, ce sera transparent. Il est plus transparent de donner aux gouvernements qu'à des organisations qui n'ont pas de comptes à rendre.»
Les ONG sont pleines de bonne volonté, mais elles ne rendent pas toujours service, ajoute-t-il.
«Certaines ONG recevaient autant d'argent que moi (au gouvernement), sans avoir de comptes à rendre. Elles pouvaient, par exemple, ouvrir 300 écoles sans se consulter et sans nous consulter pour connaître nos besoins et nous nous retrouvons avec ces écoles après et avec les salaires à payer.»
Ces propos risquent d'être reçus très durement parmi les ONG, mais on ne pourra pas accuser Jean-Max Bellerive de pratiquer la langue de bois.
Même chose lorsqu'il parle de la diaspora, déjà irritée par ses propos des dernières semaines.
À la conférence de Montréal, fin janvier, Jean-Max Bellerive lui avait lancé un premier appel. Cet appel a-t-il été entendu?
«Oui, mais comme je le pensais, dit-il. La diaspora veut «sauver Haïti», mais je souhaiterais qu'elle s'engage dans ce sauvetage. Elle en a la capacité, les moyens et la formation. On réfléchit beaucoup dans la diaspora, on discute. Je n'ai rien contre la réflexion, mais j'ai besoin d'action. Mon attente est un peu déçue en ce sens»
Selon Jean-Max Bellerive, les membres de la diaspora critiquent beaucoup le gouvernement, «qui ne comprend pas la diaspora», mais ses membres ne sont pas toujours prêts à faire le sacrifice de revenir en Haïti.
«Si Haïti était le Canada, ces gens n'auraient pas quitté Haïti! S'il leur faut les grands hôtels et les grosses maisons et ce qu'ils ont ailleurs, ils ne reviendront pas.»
Aucune tentation dictatoriale
En plus de récupérer la part du lion de l'aide internationale, le gouvernement haïtien vient aussi de faire adopter une loi prolongeant de 18 mois et renforçant les mesures d'urgence.
Cette loi crée aussi la commission intérimaire mixte (gouvernement haïtien-communauté internationale) qui dirigera pendant 18 mois le plan de reconstruction de 10 milliards.
Cette loi d'urgence permet, notamment, au gouvernement de déplacer des gens et de les reloger ailleurs, d'ordonner la fermeture ou la démolition d'établissements, d'immeubles ou ouvrages, de passer des contrats et de décaisser des fonds rapidement, d'obliger les radios à diffuser des messages, etc. Elle donne techniquement un droit de veto au président, admet son premier ministre.
Le peuple dans la rue, dans son immense majorité, n'a aucune idée de ce que contient cette loi (ou même de son existence, d'ailleurs), mais au sein de l'opposition, on craint les dérives autoritaires, jamais très loin dans l'imaginaire haïtien.
Pas le choix, rétorque Jean-Max Bellerive. Aux grandes catastrophes, les grands moyens.
«Jamais un pays n'a été aussi durement touché par une catastrophe que le nôtre, qui est en plus le pays le plus pauvre des Amériques. Ça prend des mesures d'exception. Mais parler de dérive dictatoriale, c'est absurde. Nous n'avons aucune tentation totalitaire et puis, de toute façon, nous n'en n'aurions pas les moyens. Nous n'avons pas d'armée, pas d'équipement, pas d'infrastructures.»
La priorité absolue dans les prochains jours, ajoute le premier ministre, c'est de déplacer les populations les plus à risque dans les camps de fortune de la capitale. Avant les pluies, attendues dès la semaine prochaine (quoiqu'il pleut déjà régulièrement en fin de soirée).
Avec la loi d'urgence, l'État pourra chasser les réfugiés de certains camps particulièrement précaires.
Le déblaiement, le ramassage et, ultérieurement, la reconstruction viendront plus tard.
«Nous avons besoin de la loi d'urgence, insiste M. Bellerive. Un exemple: en ce moment, la loi dit que l'État doit obtenir la permission du propriétaire d'une maison avant d'entrer sur son terrain. Bien souvent, les propriétaires sont morts ou vivent à l'étranger. Il va pourtant falloir démolir ces maisons dangereuses.»
Des élections dans ce chaos?
La crainte des opposants (aussi nombreux que divisés, ici!) est accentuée par le fait que la tenue d'élections présidentielles en novembre est improbable dans les circonstances, selon plusieurs.
Si le scénario de l'annulation des élections se concrétise, le président Préval (qui termine son deuxième et dernier mandat) pourrait rester et gouverner par décret, ce que prévoit la loi.
Ces craintes sont infondées, réplique le premier ministre (dont le mandat se termine aussi avec le départ du président qui l'a nommé).
«Nous devons avoir des élections, les législatives et les présidentielles en même temps, fin novembre ou début décembre. C'est la position du gouvernement», dit-il.
(À l'origine, les législatives devaient avoir lieu en février, mais elles ont été annulées pour des raisons évidentes. Les présidentielles sont prévues pour novembre.)
La grande question est de savoir s'il est possible - voire souhaitable - de tenir des élections dans un chaos semblable.
Dans un rapport à paraître, l'ONU en arrivera apparemment à la conclusion qu'il est possible d'organiser un scrutin.
En circulant dans les rues de Port-au-Prince, on imagine mal comment l'État réussira à faire le recensement nécessaire à la tenue d'élections, mais quant à la faisabilité du scrutin lui-même, les experts en la matière font valoir qu'Haïti n'est pas plus chaotique que l'Afghanistan ou que l'Irak, où ont eu lieu des élections.
Les Haïtiens interrogés sur la pertinence et la nécessité de tenir des élections maintenant ont tous la même réaction, que résume ici Ralph, jeune homme qui accompagne La Presse ces jours-ci: «Des élections? Est-ce que l'on n'a pas des choses plus urgentes à faire?»
Cela dit, s'il n'y a pas d'élections, le président Préval reste en poste, une perspective qui n'enthousiasme pas beaucoup plus les Haïtiens.
Et le premier ministre Bellerive, plutôt bien coté par les gouvernements étrangers, serait-il prêt à prolonger son séjour au pouvoir?
«Je ne veux pas fermer cette porte maintenant, mais je ne pense pas vraiment à ça pour le moment», répond-il.
L'ÉTAT DU PAYS EN CHIFFRES, TROIS MOIS PLUS TARD
212 000: Nombre de morts (officiellement)
300 000: Nombre de morts (officieusement). Le premier ministre Bellerive estime que le nombre de morts pourrait atteindre ce total effarant.
«On trouve encore régulièrement des morts dans le ramassage des débris, mais ils ne sont pas comptabilisés. Ce serait trop difficile. Comme on n'a même pas encore vraiment commencé le ramassage, c'est certain qu'il en reste encore beaucoup. Plus tous les morts enterrés dans les jardins privés ou jetés dans les fosses communes.»
600 000: Nombre estimé de personnes sans-abri à Port-au-Prince à la suite du séisme.
1,5 million: Nombre de réfugiés dans les camps.
10 milliards: Argent promis par la communauté internationale (pour le moment, mais ce n'est pas tout), dont 80% passera par le gouvernement haïtien. Du total, 400 millions proviennent du Canada, tel qu'annoncé lors de la conférence de l'ONU, la semaine dernière
Bilan
Bilan de la Croix-Rouge internationale après trois mois: 150 000 enfants vaccinés, 16 millions de messages textes de sensibilisation et de promotion de campagnes sanitaires et médicales envoyés, distribution d'assistance humanitaire d'urgence à 5000 à 10 000 personnes par jour
http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/seisme-en-haiti/la-presse-en-haiti/201004/10/01-4269141-haiti-treve-de-discussions-cest-le-temps-de-laction.php
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
dimanche 11 avril 2010
ASSEZ DE DISCOURS, PLUS D'ACTION
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