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mercredi 17 février 2010

Visite du Président Nicolas Sarkozy à Haïti : «Cette visite en Haïti vient combler 400 ans de solitude»

Régis Debray : « Aujourd'hui, le vrai problème, ce n'est pas l'aide internationale, c'est Haïti elle-même.»
INTERVIEW - L'écrivain Régis Debray, familier d'Haïti, où il se rend depuis trente ans, est l'auteur d'un rapport remarqué, «Haïti et la France», remis au premier ministre en 2004.
LE FIGARO. - Comment expliquer que Nicolas Sarkozy soit le premier président français à se rendre à Haïti en deux cents ans d'histoire ?
Régis DEBRAY. - Cela s'explique par le refoulement. Haïti a blessé l'histoire et l'orgueil français. Haïti a défait une armée de 40.000 Français avant l'Indépendance en 1804, une armée dirigée par le général Leclerc, le beau-frère de Napoléon.
Ensuite, la France a monnayé l'indépendance d'Haïti par le biais d'une indemnisation à verser aux colons, qui a duré jusqu'en 1885. Tout cela fait que les rapports ont longtemps été peu chaleureux. Au plan politique, quand Duvalier était au pouvoir, il était difficile pour un président français de se rendre là-bas. Pour résumer, de 1697 à 1950, pas de moyens de transport rapides - et ensuite pas de grande envie de se rendre sur place. Car, au fond, c'est depuis 1697 qu'Haïti est français. Nicolas Sarkozy n'a pas deux siècles de retard, mais il vient combler quatre cents ans de solitude. Cette catastrophe aura au moins permis cela. À quelque chose, malheur est bon. Les Français se réveillent à cette occasion d'un long sommeil.
Quelle devrait être la posture de la France vis-à-vis d'Haïti ?
Assistance et exigence. Assistance, parce que nous avons une responsabilité historique et morale - car les Haïtiens sont l'ancrage de la francophonie dans la région. À la conférence de San Francisco en 1945, c'est Haïti qui a imposé le français à l'ONU comme deuxième langue de travail. Exigence, parce qu'il faut demander très loyalement et très fraternellement au pays de s'unir, de proposer un interlocuteur représentatif de tous les secteurs de la société. Le gouvernement d'aujourd'hui n'y suffit pas. Il est discrédité. Je dis souvent aux Haïtiens : «Vous êtes dans l'état où se trouvait la France en 1945. La France était détruite. Il y a eu un gouvernement d'Union nationale qui allait de la droite à la gauche.»
Le plan Marshall ne peut venir qu'ensuite. Il faut d'abord, non pas reconstruire un État, mais construire un État. Tant qu'il n'y aura pas cette union, nous assisterons à la dispersion, à la corruption, à l'évanescence des aides financières. Aujourd'hui, le vrai problème, ce n'est pas l'aide internationale, c'est Haïti elle-même.

La France et les États-Unis ont-ils un rôle complémentaire à jouer en Haïti ?

Il devrait y avoir complémentarité, le fait est qu'il y a rivalité. Les Américains ont toujours attaché beaucoup plus d'importance à Haïti que nous, car ils ont 25 millions de Noirs chez eux, car Haïti est la première République noire du monde. Pour nous, Haïti est sortie de notre radar depuis 1915 et il a fallu cette catastrophe pour la ramener dans notre champ visuel. J'espère qu'il y aura des lendemains car c'est une tâche de très longue haleine. Je ne sais pas si le rythme médiatique de nos hommes politiques permet cette persévérance. C'est pourquoi j'avais suggéré une structure que j'avais appelée «Pupille de l'humanité» pour rassembler plusieurs pays et traiter d'égal à égal avec Haïti. Ce n'est pas du tout une mise en tutelle. C'est une façon de rendre l'éphémère durable et l'émotion rationnelle.
Cette visite n'arrive-t-elle pas trop tard, Haïti n'est-elle pas définitivement happée dans le champ magnétique des États-Unis ?
Un premier ministre haïtien a dit en 1915 : «Notre mariage d'amour avec la France est impossible, il faut un mariage de raison avec les États-Unis.» Et de fait, le passage du sceptre s'est fait en 1915 quand les États-Unis ont envahi Haïti avec le consentement de la France. Mais, aujourd'hui, pour diverses raisons, France, États-Unis et Canada doivent travailler ensemble, ce qui suppose que la France existe en tant que pôle d'initiative et de réflexion indépendant, ce qui n'est pas acquis.


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