Nous publions un extrait de la pièce «Toussaint Louverture» d'Aimé Césaire. Il y aborde une figure fascinante de l'histoire d'Haïti qui, selon ses propres termes, est le premier pays où s'est noué le grand problème que le XXe siècle s'essouffle à résoudre, le problème colonial, et le premier pays où il s'est dénoué.
Plus que le Môle Saint-Nicolas, plus que la Crête-à-Pierrot, plus que les fortifications dont était hérissée la vieille île des flibustiers, ce qui à Saint-Domingue résista à la puissance française, au feu de ses canons et à la charge de ses soldats, ce fut l'esprit de Toussaint Louverture, l'éprit forgé par Toussaint Louverture.
Il est de mode aujourd'hui chez les Haïtiens de diminuer Toussaint, pour grandir Dessalines. Il ne saurait être question de nier les mérites de Dessalines ni les lacunes de Toussaint.Mais on peut clore le débat d'un mot : au commencement est Toussaint Louverture et, sans Toussaint, il n'y aurait point eu de Dessalines, cette continuation. Bien sûr la situation historique de Toussaint est malaisée, comme celle de tous les hommes de transition. Mais elle est grande, irremplaçable : cet homme comme nul autre constitue une articulation historique. En tout cas, il y a un bon moyen d'apprécier son rôle, et sa valeur. C'est de lui appliquer le critère cher à Péguy : de mesurer de quel étiage il a fait monter le moyen de son pays, le niveau de conscience de son peuple. On avait légué des bandes. Il en avait fait une armée. On lui avait laissé une jacquerie. Il en avait fait une Révolution ; une population, il en avait fait un peuple. Une colonie, il en avait fait un Etat : mieux, une nation. Qu'on le veuille ou non : tout, dans ce pays, converge vers Toussaint, et de nouveau irradie de lui. C'est bien un centre que Toussaint Louverture. Le centre de l'histoire haïtienne, le centre sans doute de l'histoire antillaise. Quand, pour la première fois, il fit irruption sur la scène historique, bien des mouvements étaient en train ; commencés par d'autres, mais arrêtés à mi-course, languides, impuissants à s'achever le mouvement blanc vers l'autonomie et la liberté commerciale; le mouvement mulâtre vers la légalité sociale ; le mouvement nègre vers la liberté. Tous ces mouvements, Toussait les unit, les continua les approfondit. Quand il s'en alla, le triple mouvement était achevé ou en passe de l'être.
A vrai dire, avec lui, s'en allait Saint-Domingue. Mais c'est que Haïti était née. La première de toutes les nations noires.
Plus que le Môle Saint-Nicolas, plus que la Crête-à-Pierrot, plus que les fortifications dont était hérissée la vieille île des flibustiers, ce qui à Saint-Domingue résista à la puissance française, au feu de ses canons et à la charge de ses soldats, ce fut l'esprit de Toussaint Louverture, l'éprit forgé par Toussaint Louverture.
Il est de mode aujourd'hui chez les Haïtiens de diminuer Toussaint, pour grandir Dessalines. Il ne saurait être question de nier les mérites de Dessalines ni les lacunes de Toussaint.Mais on peut clore le débat d'un mot : au commencement est Toussaint Louverture et, sans Toussaint, il n'y aurait point eu de Dessalines, cette continuation. Bien sûr la situation historique de Toussaint est malaisée, comme celle de tous les hommes de transition. Mais elle est grande, irremplaçable : cet homme comme nul autre constitue une articulation historique. En tout cas, il y a un bon moyen d'apprécier son rôle, et sa valeur. C'est de lui appliquer le critère cher à Péguy : de mesurer de quel étiage il a fait monter le moyen de son pays, le niveau de conscience de son peuple. On avait légué des bandes. Il en avait fait une armée. On lui avait laissé une jacquerie. Il en avait fait une Révolution ; une population, il en avait fait un peuple. Une colonie, il en avait fait un Etat : mieux, une nation. Qu'on le veuille ou non : tout, dans ce pays, converge vers Toussaint, et de nouveau irradie de lui. C'est bien un centre que Toussaint Louverture. Le centre de l'histoire haïtienne, le centre sans doute de l'histoire antillaise. Quand, pour la première fois, il fit irruption sur la scène historique, bien des mouvements étaient en train ; commencés par d'autres, mais arrêtés à mi-course, languides, impuissants à s'achever le mouvement blanc vers l'autonomie et la liberté commerciale; le mouvement mulâtre vers la légalité sociale ; le mouvement nègre vers la liberté. Tous ces mouvements, Toussait les unit, les continua les approfondit. Quand il s'en alla, le triple mouvement était achevé ou en passe de l'être.
A vrai dire, avec lui, s'en allait Saint-Domingue. Mais c'est que Haïti était née. La première de toutes les nations noires.
(1) Extrait de Toussaint Louverture, Editions Présence Africaine
Aimé Césaire
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=56568&PubDate=2008-04-17
Aimé Césaire
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=56568&PubDate=2008-04-17
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