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mercredi 19 mars 2008

Philipeau, la misère à fleur de peau

« Bloc 6 »! Ce n'est pas un nom de code, mais celui de l'ensemble des baraquements qui forment la localité de Philipeau.
Ce vaste bidonville, dissimulé derrière les immeubles imposants de Pétion-Ville, croupit dans la misère et devient de plus en plus menaçant pour l'environnement de la ville portant le nom de l'un des pères fondateurs de la patrie.
Philipeau regorge actuellement de plus de 75 mille habitants, répartis au niveau de plusieurs quartiers déshérités, dont Désermite, Cérésier, Tchetchenie et Jalousie.

Philipeau, vaste bidonville, caché derrière les grandes bâtisses de Pétion-Ville (Photo: François Louis)

Ces gens, habitant en majorité dans des masures, croupissent dans la pauvreté. Les infrastructures de base, notamment l'électricité et l'eau potable, font cruellement défaut.« Les quelques rares habitants qui bénéficient du service de la Centrale autonome métropolitaine d'eau potable (CAMEP) ont juste fait un piratage. Ils sont raccordés illégalement au réseau hydraulique », explique un responsable d'une organisation communautaire de la zone.

Construction d'une citerne à Philipeau dans le cadre d'un projet financé par le Ministère de la Planification et de la Coopération externe (Photo: François Louis)
Pour trouver de l'eau, les habitants doivent attendre la manne du ciel ou faire appel aux camions-citernes. De l'eau tout à fait non potable, tirée de puits artésiens souvent contaminés depuis la nappe phréatique. « On utilise l'eau de pluie ou bien on achète de l'eau de réservoir distribuée par les camions-citernes », explique un riverain de Désermite.
Un projet de construction de cinq citernes a été récemment soumis au ministère de la Planification et de la Coopération externe pour les habitants de ce vaste bidonville. Les demandes ont été agréées en partie. « On nous a octroyé de l'aide pour la construction de trois citernes », dit le délégué de la zone, Max Bontemps.

Des milliers de maisonnettes ont supplanté la couverture végétale à Jalousie (Photo: François Louis)

A Philipeau, le courant électrique n'est pas un service offert à tout le monde. Quelques riverains se regroupent et achètent un transformateur qu'ils se partagent. « La majorité des habitants de Désermite, de Cérésier, et de Jalousie n'ont pas de courant électrique », raconte Alphonse Exilus, un notable de la zone.



La vie comme une loterie
A Désermite, le pain quotidien a le goût du hasard. On y compte plusieurs dizaines de banques de borlette où défilent à longueur de journée, enfants, jeunes et adultes. Cela va sans dire, pour gagner sa vie dans cette zone, on mise beaucoup sur la loterie. « C'est normal. Les gens n'ont pas d'autres activités. Ils restent dans les parages à l'attente du « Bondieu bon » et jouent à la loterie », déplore un membre du Comité de soutien pour le Développement et l'épanouissement de Philipeau (COSODEP), une organisation communautaire.
Quelques rares habitants bénéficient du courant électrique (Photo: François Louis)

Le secteur économique est, entre autres, constitué de petits commerçants qui étalent leurs maigres produits le long de la chaussée étroite et poussiéreuse, considérée comme la route principale et stratégique de ce vaste bidonville.
En fait, quelqu'un qui se rend à Philipeau, n'a pas trop de choix en ce qui concerne les infrastructures routières. Ou bien il choisit de dévaler la pente sinueuse, raide et glissante qui s'ouvre sur la rue Louverture au dos de l'immeuble imposant abritant la compagnie Digicel, l'Union européenne et l'Agence France presse, ou bien il prend le risque de descendre l'escalier à pic, vétuste et dangereux situé à proximité du Centre professionnel municipal de Pétion-Ville. Les deux pistes inclinées débouchent sur un grand ravin occupé, en amont comme en aval, par des centaines de maisonnettes. C'est la topographie même de ce bidonville traversé par sept ravins. Les gens construisent n'importe où. Dans le lit des vallons ou sur des pentes calcaires fragiles.
Menace pour l'environnement
Ces constructions anarchiques, entamées, selon des Pétion-Villois, après le départ de Jean-Claude Duvalier, ont accéléré le phénomène de déboisement dans la commune et ont réduit en vingt ans le morne L'Hôpital, pris en chasse par des centaines de cahutes, en un espace dénudé, privé de végétation.
Pire, ces baraquements gagnent de plus en plus du terrain et concourent grandement à ternir l'image de cette commune considérée, depuis les années 1970, comme lieu de résidence des élites intellectuelle et économique du pays.
Une cahute mise en vente à Philipeau (Photo: François Louis)
De quoi inquiéter certains résidents de la commune qui redoutent dans les prochaines années une explosion démographique dans les hauteurs de Pétion-Ville, notamment à Pélerin et Laboule où l'on constate déjà quelques constructions anarchiques.
Il est évident que ces cahutes érigées dans les flancs des mornes accélèrent le phénomène du déboisement et entraînent conséquemment, en saison de pluie, la perte de la terre arable, des affaissements et glissements de terrain, des pertes en vies humaines. Il est encore plus inquiétant pour ces gens qui construisent dans le lit des ravins, sous le sable avec des matériaux de mauvaise qualité. Malheureusement, ces dangers imminents paraissent moins évidents aux yeux de ces riverains que l'exigence d'un logement. Ils échappent toujours à l'attention de nos gouvernements « pompiers ». Et les gens continuent à bâtir leurs maisonnettes sur le sable. Puis surviennent la pluie, les dégâts et la mort.

Jean Max St Fleur

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