Google

mercredi 6 février 2008

Tifane «Anprent»: deux ans après

Par Roland Léonard
Elle chante, la fauvette! Elle chante, elle chante la mésange ! L'aventure a donc déjà plus de deux ans. Deux années au cours desquelles elle a intrigué tout le monde par son cran et l'audace de ses initiatives. Elle est le sujet favori des conversations, de l'opinion courante, elle ne fait peut-être pas l'unanimité dans la mosaïque des goûts haïtiens si antagonistes et contradictoires - on ne peut plaire à tout le monde et son père - elle fait même des envieux ; mais tous s'accordent à lui reconnaître d'indéniables dons d'auteur-compositeur à ce phénomène, en dépit de la fragilité, de la précarité de son chant et de sa technique vocale.
Sur ce dernier point elle ne constitue pas un précédent ; elle emboîte le pas, à tort ou à raison, à des devanciers et devancières célèbres : Mistinguett, Janis Joplin, certaines chanteuses réalistes ; Louis Armstrong, Charles Aznavour, Bernard Lavilliers.

Pour autant, Tifane a quand même un avantage sur ces modèles : si l'on se réfère au disque, on constate qu'elle a un joli timbre de voix très « soulful » et érotique, plein de feeling avec son léger voile, sa légère raucité ; il lui suffirait d'optimiser sa puissance par un travail assidu, acharné sous supervision. Alors, les performances publiques, directes « live » comme on dit, équivaudraient à celles du CD et du studio.C'est une simple affaire de volonté ; deux ans, qui passent vite, suffisent nettement pour gagner en étendue, ampleur, volume et octaves ( au minimum deux).

Deux ans ! Intervalle de temps nécessaire pour laisser décanter l'eau trouble des humeurs et impressions primesautières, impulsives ; puis, opiner avec le liquide clair et serein de l'objectivité, de la conscience, en toute tranquillité critique.

Vue d'ensemble

Tifane, auteur, a des propos graves et touchants ; elle ne plaisante pas ; elle ne badine pas dans les frivolités mondaines. Elle parle, en créole, d'amour et de tendresse avec une grande sensibilité, beaucoup d'émotion et sans recherche excessive. Elle nous convainc. Elle touche aussi à des sujets sociaux ou de préférence sociopolitiques « Ede m Ede w leve », « W enèvem » ; le contraire nous étonnerait et il ne saurait en être autrement : Tifane est sociologue de profession, elle travaille avec des gens inadaptés socialement.

Elle est donc proche de ceux et de celles qui sont mal dans leur peau à cause de la misère, du mépris des uns et des autres, des aléas de la politique locale - manipulations des dirigeants, politiciens, faux leaders et faux prophètes - de l'aide internationale. Et, en résultat final, ces assistés sont las des prêcheurs de violence, las de la mendicité, de tendre la sébile , de l'aumône des bonnes âmes, des bien-pensants, des exploiteurs se croyant généreux ; las des anarchistes, futés harangueurs, les envoyant à la boucherie pour quelques sous, des promesses et des rêves. Ces sont des opprimés et des révoltés réclamant leur dignité : « W Enevèm ». Elle est dans son élément sur ce point-là et n'est pas banale.

La musicienne a beaucoup de goût. Elle aime la variété des genres et des rythmes. Cela part du soukous africain zouké et du compas troubadour pour aboutir au rara du genre « rabòday » et au récitatif « Mèsi » avec soutien de cordes ; entre-temps elle flâne et muse volontiers sur les chemins du R'N'B avec ses cadences binaires et ternaires ; elle rencontre même sur sa route le yanvalou et le reggae.Ses mélodies sont en majorité en « Majeur », deux d'entre elles « Pa prese », « W enèvem » sont en mineur. Les harmonies, arrangements et orchestrations sont élaborés collectivement et concoctés entre Fabrice Rouzier, Stéphanie Séjour, Hans Peters, Boulo et Steve Valcourt. Les suites d'accords exploitent la tradition simple, consonante des musiques populaires typiques ou ethniques comme dans « sekrè a » ou la modernité modérée, telle qu'elle figure dans « Pa prese » ou « Jodi a ».
PrésentationOnze morceaux offerts à notre appétit et notre délectation.1) « Sekrè a ». Soukous africain zouké ; en majeur. Hommage au courage de la femme, créole en particulier. Cuivres à l'unisson. Joli « Gimimick » et Riff de guitare.
2) « Mironda ». Compas-troubadour. Evocation et mémoire d'une jeune Américaine morte, haïtienne d'adoption et au service des pauvres et paysans. Harmonies en suite d'accords relatifs dits « 4 carrés »3) « Se kom si ». Ballade méringue accompagnée par les guitares acoustiques de Boulo et Steve Valcourt. « 4 carrés ». Chanson d'amour énivrante. Bravo Tifane ! C'est spontané et ça part du coeur. Ca fait fait rêver. L'amour c'est beau.4) « Bèl Moun ». Formidable R'N'B avec croisement d'accents caraïbes dans la mélodie. Hommage à la beauté intérieure et morale d'une femme, malgré ses défauts. En Majeur.5) « Jodia ». Un fort beau « yanvalou » avec l'accompagnement à la guitare de Hans Peters, auteur de l'arrangement, très dansant. Je n'ai pas pu m'empêcher de cadencer les mains sur les hanches, perchés sur mes genoux, me penchant alternativement à droite ou à gauche, dans ce « yanvalou-dos bas ». Chanson d'amour ? Bilan sociopolitique? Mystère!6) « Avèw ». Ballade ternaire et swingante avec une basse ponctuant les temps forts. Joies des tête-à-tête amoureux. Joli effet de voile, de raucité sensuelle chez Tifane qui joue « piano » de la dynamique, des nuances.7) « Pa prese ». En mineur. R'N'B. Visez les harmonies du clavier. Intéressantes.8) « Edem Edew leve » : de la même veine rythmique, mais en majeur. Appel à la solidarité, à l'entraide mutuelle.9) « W enevèm ». Rara-rabòday, en mineur. Très réussi. Coup de sang. Un pic thématique de l'album, Notre morceau préféré.10) « Se kòm si » version remix. Reggae avec Belo11) « Mèsi » : récitatif final.

ConclusionCet album est très homogène ; les chansons sont bien choisies et s'équilibrent. Les thèmes sont forts et échappent au badinage ; les musiques sont belles, bien arrangées, bien orchestrées, bien accompagnées. La chanteuse, pour nous répéter, a un joli timbre de voix, un beau filet de voix, légèrement voilé dont elle tire souvent des effets « soul » ou érotiques.Mais elle a intérêt à la travailler, à la pousser au maximum, la développer par des exercices et de bonnes leçons pour conquérir les sceptiques et cette large frange du public qui lui résiste encore. C'est incontournable et elle n'y perdra pas sa sensibilité pour autant si elle le redoute.

Conformisme n'est pas lâcheté ou manque de personnalité, mais assurance contre les revers et sur la pérennité du succès, du talent. La prudence est mère de sûreté et qui veut la fin veut les moyens. La réussite par surcompensation ou compensation d'un point faible - comme dans le cas de Ingres le grand peintre qui voyait mal ou Charles Aznavour qui n'avait pas de voix et même... Bélo à l'organe éraillé - est exaltante, glorieuse, héroïque mais aussi périlleuse et funambulesque ; un dangereux pile ou face. C'est marcher sur la corde raide ou jouer à la roulette russe. Nous ne saurions la recommander sans inconscience et irresponsabilité de notre part.Nous sommes peut-être vieux jeu, nous avons des scrupules démodés, d'un autre âge ; mais nous préférons les voies sûres et confortables de l'académisme qui évitent bien des écueils, des récifs. Nous sommes à la fois peureux de nature, agressifs, colériques, bagarreurs, ombrageux et nous nous vexons facilement ; nous avons une sainte horreur de la dérision du public allant de pair avec un saint amour de la perfection.Les lecons de chant, ça nous connaît : mesdames Lina Mathon Blanchet ( à douze ans d'intervalle), Monette Léopold Alcin et Alzire Rocourt à LYRA Delmas 75. Il n'y a pas à dire : c'est éreintant, c'est chiant comme on dit vulgairement ; mais c'est tellement payant comme résultat. Et ça vous donne : Mélissa Dauphin, Pascal Monfort Duplan, Esaü Pierre, Jean Coulanges, Marie Cécile Saurel, James Germain, Monique Rocourt Martinez ... et j'en passe.Vocal fitness. Poids et haltères des cordes vocales. C'est la solution idoine. Pourvu qu'on le veuille. That's the way. It's up to you Tifane!

Avec tout le respect dû à ta personne, ta mère, ton père André, tes oncles Gilbert « Bidon », Maxime (ohé Maximo ! Salut carabin ! ça va ?) ; en mémoire de Philippe et de Jeanine Séjour personnes cousues main, perfectionnistes.

Fidèlement vôtre ...

Roland Léonard

Crédits et personnel. Musique et paroles : Stéphanie Séjour. Paroles aditionnelles : Eric Charles (1) Belo (10). Lead vocal : Stéphanie Séjour. Lead aditionnel : Eric Charles (1) Belo (10). Choeurs : Stéphanie Séjour, Eric Charles, Stanley Georges, Valéry Carlson (7), Jonas Atis (8), Phanel Parisien (8). Guitares : Clément « Kéké » Bélizaire, Boulo Valcourt (3), Djembe, solo (1) kata (6), claviers, programmations : Fabrice Rouzier. Arrangements : Fabrice Rouzier, Stéphanie Séjour, Hans Peters (5), Boulo et Steve Valcourt (3). Enregistré par Fabrice Rouzier sauf (3) par Boulo et Steve Valcourt. Mixé par Fabrice Rouzier assisté de Eric Charles et Clément Bélizaire


http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=53895&PubDate=2008-02-01

Aucun commentaire: