HUGO CHAVEZ EN QUETE DE LEGITIMITE
Hugo Chávez a rencontré hier Nicolas Sarkozy à l’Elysée, pour évoquer le sort d’Ingrid Betancourt, otage des Farc depuis cinq ans. Médiateur officiel dans cette délicate affaire, le président vénézuélien n’a, pour l’instant,aucun élément nouveau à apporter, contrairement aux espoirs de la famille.
Le président vénézuélien a rencontré Nicolas Sarkozy hier à Paris. Une entrevue très attendue depuis qu’Hugo Chávez a annoncé qu’il s’impliquerait personnellement dans les négociations avec les Farc, organisation de forces armées révolutionnaires colombiennes se revendiquant comme marxistes et qui retiennent en otage, depuis plus de cinq ans, Ingrid Betancourt, la sénatrice francocolombienne. La déception domine. L’homme fort de Caracas avait en effet promis d’apporter une preuve de vie de l’otage. Mais à son arrivée, le président du Venezuela a dû admettre ne détenir aucune preuve. Juste une intime conviction: «Ingrid est vivante, j’en suis absolument certain», a-t-il déclaré à sa sortie de l’Elysée. Il a ajouté que le mouvement colombien s’était engagé par écrit à fournir la preuve tant espérée avant la fin de l’année. Hugo Chávez est réputé pour entretenir des contacts privilégiés avec Marulanda, le chef des Farc. Nicolas Sarkozy a fait de la libération de cette otage une priorité. La rencontre d’hier était très attendue mais suscitait beaucoup d’inquiétudes. Jesús Arnaldo Pérez, ambassadeur de la République bolivarienne du Venezuela en France, se veut rassurant: «Nous cherchons un dialogue politique», explique-t-il à Directsoir, et de poursuivre: «Vénézuéliens et Colombiens, nous sommes entre frères.» Le malaise est tout de même palpable. D’abord parce que l’incapacité des Farc, devenues au fil des ans un cartel de narcotrafiquants,à fournir une preuve de vie, n’est pas bon signe. Mais aussi parce qu’en cas de succès Hugo Chávez pourrait bénéficier d’une aura sur la scène internationale qui lui fait aujourd’hui défaut, et que peu de pays – les Etats-Unis au premier chef – verraient d’un bon oeil.
VINGT-QUATRE ANS DE «SOCIALISME LATINO
Hugo Chávez préside aux destinées du Venezuela depuis le 2 février 1999. Né dans le sud du pays, le 28 juillet 1954, cet homme au sourire facile et charmeur, toujours habillé de rouge, est diplômé de l’Académie militaire du Venezuela. En 1983, il fonde au sein de l’armée le «Movimiento Bolivariano Revolucionario 200» (MBR-200), d’orientation socialiste. Cet engagement politique explique sans doute son choix de suivre des cours de sciences politiques à l’université Simon-Bolivar de Caracas, où il obtient sa maîtrise en 1990. La geste chaviste commence deux ans plus tard. Le 4 février 1992, le groupe lance l’opération «Ezequiel Zamora» : un coup d’état destiné à renverser le président Carlos Andrés Pérez. Un échec sanctionné de deux ans de prison pour Chávez. Depuis sa prison, il appelle les Vénézuéliens à l’insurrection, dans une cassette vidéo qui sera diffusée en pleine nuit le 27 novembre 1992, au moment où les conjurés tentent un deuxième putsch. L’idéologie chaviste se dessine en fait à cette période, notamment grâce à sa rencontre avec Noberto Ceresole, idéologue argentin négationniste et proche de Robert Faurisson, qui sera un de ses proches jusqu’en 1999.
ÉLU DÉMOCRATIQUEMENT
Dans la deuxième partie des années 1990, le MBR-200 entreprend sa mutation et se dote d’une vitrine civile, le «Mouvement cinquième République». Grâce à une campagne très axée sur sa propre personne, le lieutenant-colonel, qui a pour slogan «Fléau de l’oligarchie et héros des pauvres», séduit l’électorat populaire qui se sent exclu de la rente offerte par la manne pétrolière. Quelques mois après avoir prêté serment, Hugo Chávez met en marche «sa» révolution, en faisant adopter une nouvelle Constitution, qui autorise le chef de l’Etat à se représenter, mais limite le nombre de mandats à deux. C’est ce même texte qu’il cherche aujourd’hui à modifier pour rendre le nombre de réélections illimité.
UNE PERSONNALITÉ AMBIGUË
L’ambassadeur du Venezuela en France, interrogé sur la personnalité du président Chávez, répond: «C’est quelqu’un de très humain, qui sent la douleur d’autrui. Il vous regarde dans les yeux, sincèrement, directement et ne vous oubliera pas s’il vous croise après des années à l’autre bout de la Chine (…). Il est loyal, sincère en amitié.» Une amitié dont témoignent l’affection et les intentions délicates qu’il a affichées pour des personnalités telles que le dictateur cubain Fidel Castro (qu’il présente comme un proche) ou Mahmoud Ahmadinejad, le belliqueux président de la République islamique d’Iran (qu’il qualifie de frère). Grâce à ses diatribes anti-Bush, Hugo Chávez a su se poser en champion de l’anti-américanisme, quand bien même ses concitoyens restent fascinés par le modèle culturel des Etats-Unis. Des récriminations qui ne se limitent pas au président Bush, que peu osent défendre, mais aussi aux «impérialistes» de toute sorte, comme les Espagnols ou ceux «qui ont assassiné le Christ et s’accaparent les richesses du monde». Comprendre les Juifs. Les symboles choisis sont forts, comme la remise en cause du 11-Septembre : «Un avion se serait écrasé sur le Pentagone ? Mensonge!». Des positions qui ont marginalisé Hugo Chávez. Si bien que lorsqu’il lance, lors de la dernière assemblée générale de l’ONU, en référence à George W. Bush qui lui a précédé à la tribune, «Hier le diable est entré ici. Et ça sent encore le souffre aujourd’hui», on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une note d’autodérision de la part de ce brillant orateur.
L’HOMME QUI DIVISE SON PAYS
Jusqu’à aujourd’hui, Hugo Chávez pouvait se prévaloir du soutien des classes populaires, dont la situation sociale s’est en partie améliorée grâce aux «missions» mises en place par le gouvernement, et aux pratiques clientélistes financées par un cours du pétrole au plus haut.
L’éducation a fortement progressé. 20000 médecins cubains ont ainsi été «prêtés» par l’ami Fidel Castro, pour soulager les populations défavorisées du Venezuela, en échange de pétrole à prix réduit. Mais derrière cette façade, le système hospitalier ne suit pas.
LIBERTÉS REMISES EN CAUSE
Les officiels vénézuéliens présentent l’opposition,comme un mouvement manipulé par les élites qui possèdent la majorité des médias. Peut-être est-ce l’une des hertzienne de la télé la plus populaire raisons qui ont poussé les autorités à ne pas renouveler la licence d’exploitation du pays, RCTV, en mai dernier. Sur la question de la liberté de la presse, l’attachée de presse de l’ambassadeur répond que la chaîne est encore visible sur le câble et que, de toute façon, au Venezuela le câble ne coûte rien. Puis le discours s’infléchit : «Que ferait le gouvernement français si TF1 soutenait un coup d’Etat contre le président et diffusait de fausses informations?». Une référence au coup d’Etat de 2002, qui avait vu Chávez déposé pendant quelques heures. RCTV n’avait pas non plus soutenu le coup d’Etat de MBR-200 en1992. En attendant, cent soixante fois par an, toutes les ondes, publiques ou privées, doivent retransmettre les interventions présidentielles. «Pour informer le peuple vénézuélien.» CNN fait aussi l’objet d’une plainte de la présidence et pourrait bientôt être interdite au Venezuela. En fait, les libertés politiques sont remises en cause les unes après les autres. D’abord l’indépendance de la Banque centrale. Plus inquiétant, l’article prévu dans la réforme de la Constitution qui prévoit que «le président de la République pourra décréter des régions spéciales militaires à des fins stratégiques ou défensives dans toute portion du territoire». Une façon de pouvoir mettre à tout instant sous tutelle les gouvernements des provinces. La fermeture de RCTV et les mesures de plus en plus dures prises par Chávez ont commencé à retourner une partie de l’opinion, même si le soutien au «Presidente» reste fort. Dernière affaire en date, une incursion d’un groupe armé sur un campus universitaire, pourtant protégé par la police, qui a pu sévir pendant un long moment sans être inquiété.
LA MAGIE DE L’OR NOIR
Un baril à 100 dollars favorise la politique chaviste, même si les autorités vénézuéliennes s’en défendent. La manne lui permet de soigner son image à l’étranger, en offrant un carburant à prix réduit aux victimes américaines de l’ouragan Katrina, ou aux bus de Londres. Interrogée sur l’opportunité d’une telle opération en France, l’ambassade précise que Caracas pourrait répondre favorablement aux sollicitations d’organismes caritatifs.
En attendant, si l’on en juge par les visages attristés et déçus de la famille d’Ingrid Betancourt, hier, à l’Elysée, on peut dire qu’Hugo Chávez n’a pas répondu aux espoirs et à l’attente de toutes celles et tous ceux qui continuent de se battre pour faire libérer la Franco-Colombienne dont, rappelons-le, les preuves de vie datent désormais de 2003.
CHAVEZ VU OAR PAR
Elizabeth Burgos, écrivain et anthropologue d’origine vénézuélienne.
«Au Venezuela, ce sont les chemises rouges à la place des chemises brunes»
«Hugo Chávez est en pleine campagne électorale pour le référendum. Les enquêtes montrent que le non l’emporterait si les élections se déroulaient normalement. Depuis l’élection de Chávez, il y a une forte abstention dans ce pays qui aimait voter. Les gens n’ont pas confiance dans le système électoral. Le conseil électoral est à la solde du Président, et les machines électroniques effraient. Les fonctionnaires – l’Etat est le premier employeur du pays – ont peur que les empreintes prises au moment du vote permettent de savoir pour qui ils ont voté. Lors de chaque scrutin, les votes «contre» et les abstentions représentent environ 70 %.
La Constitution est à la mesure de son projet: celui d’un nouveau totalitarisme, constitutionnel et légal. C’est du castrisme, un système beaucoup plus proche du fascisme que du communisme.
Au Venezuela, les chemises rouges ont remplacé les chemises brunes. Le président colombien sait très bien que Chávez a des contacts avec les Farc. Marulanda (le chef des Farc) se sert de Chávez et de son faible pour la médiatisation.
Mais tout geste se fera en échange d’un geste fort, comme la mise en place d’un gouvernement en exil à Caracas ou d’une représentation diplomatique. De la France, les Farc attendent d’être rayés de la liste des organisations terroristes. Je ne pense pas qu’une libération intervienne avant les élections colombiennes, prévues pour dans deux ans. Les otages sont un outil médiatique trop précieux. Chávez a réussi à convaincre les Farc de sortir de la logique de la guerre et de gagner comme lui les élections.»
Source Direct Soir sur http://wwwdirectsoir.net
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