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samedi 11 août 2007

L'artisanat, une porte ouverte

Martine Blanchard est une femme très occupée. Au quatrième étage d'un immeuble de la rue Lamarre, elle est munie de son portable, donnant des informations ou répondant à une demande de participation. Elle revient de La Vallée de Jacmel. Quelques jours avant, elle était à Léogane. De la Croix- des- Bouquets, elle entraîne dans son sillage plusieurs jeunes créateurs. Elle déborde de grâce et de sympathie. Surtout, elle veut convaincre que l'«Artisanat en Fête » sera une réussite, dès sa première édition... Après avoir gravi les nombreuses marches qui mènent à son bureau, on en sort avec l'idée que tant de dévouement et d'énergie ne peuvent mener qu'à la consécration d'une généreuse initiative culturelle...

Le Nouvelliste : Nous lisons depuis quelques jours une page publicitaire annonçant Artisanat en Fête. On a l'habitude de voir des oeuvres artisanales dans les foires de la Fête du Travail. Mais vous, vous rêvez d'aller plus loin. Qu'est ce qui vous motive tant ?
Martine Blanchard : L'idée est venue d'une association que nous avons fondée il y a près d'une année , l'Institut de Recherche et de Promotion de l'Artisanat haïtien (IRPAH). Elle a pour objectif de faire connaître aux Haïtiens et au monde nos artisans. Généralement, quand les oeuvres sont exposées on ne voit pas les artistes. Nous avons pensé à une foire annuelle de l'artisanat. Sur notre parcours, nous avons rencontré M. Max Chauvet qui avait déjà un projet dénommé Art en Folie. Il a vite compris notre intérêt pour l'artisanat. C'est parti pour la fête qui se tiendra les 18 et 19 août au Parc historique de la Canne à Sucre. L'IRPAH est une association fondée par des économistes et des amants de l'art ou de la beauté.

L.N. : On a l'impression d'une grande boulimie nationale autour de l'art haïtien. Est-ce un réveil ?
M.B. : C'est un devoir de présenter aux Haïtiens et étrangers une autre image de notre pays. L'alternative, c'est l'art. C'est une grande découverte pour nous de voir que des personnes qui n'ont aucun rudiment d'écriture et de lecture puissent arriver à un raffinement artistique très élaboré.

L.N. : Vous avez beaucoup voyagé à travers le pays pour faire ces découvertes.
M.B. : Nos multiples voyages nous ont permis de localiser des lieux de créativité de notre riche artisanat. On a découvert aussi des spécificités du travail artisanal d'un lieu à un autre. Par exemple, à la Croix-des-Bouquets c'est le métal découpé , à Léogane c'est la pierre taillée, à Jacmel c'est la chaise en lianes et la vannerie.
Sortir de l'informel

L.N. : Qu'est ce qui vous a portée vers l'art et vous fait penser à sa promotion locale et internationale ?
M.B. : Les objets artisanaux ont toujours fait partie du décor de ma maison. J'achète toujours des choses de notre milieu. Je me suis créée une activité en exposant chez moi des oeuvres artisanales. Cela m'a permis de rencontrer des haïtiens vivant à Fort Lauderdale. On a aimé l'idée de foire artisanale. Madame Mathilde Flambert du ministère des Affaires sociales a été très enthousiaste à l'idée de représenter l'artisanat haïtien à des foires internationales. Il fallait donc créer une association se donnant pour but d'encadrer les artisans, d'être un point de repère fonctionnel pour leur fournir matériel, clientèle, informations. Il faut sortir notre artisanat de l'informel. L'IRPAH est un pont entre le secteur public, le secteur privé et la communauté internationale. Cette structure permettra de concevoir et de réaliser des projets dans les zones spécifiques. Cela doit devenir, à court terme, une véritable industrie de l'artisanat. Les artisans auront la possibilité de voyager pour faire d'autres expériences et élargir le champ de leur créativité. Nous avons été à leur recherche et nous sommes si éblouie que nous avons décidé de montrer toute la beauté artisanale du pays.

L.N. : Il y aurait déjà au moins quatre générations d'artisans à la Croix-des-Bouquets, par exemple...
M.B. : Cela a commencé dans les années 40 avec la découverte de Georges Liautaud qui travaillait des croix funéraires. Plus tard, avec Serge Jolimeau on peut parler d'un « artisanat artistique ». Nous allons travailler à la publication d'un catalogue en vue de motiver divers milieux professionnels à réaliser des commandes d'oeuvres artisanales.

L.N. : L'initiative peut s'étendre aussi au personnel des ambassades étrangères...
M.B. : Nous les invitons à venir à la fête. Nous leur demandons un geste de solidarité en investissant dans l'artisanat haïtien. On établira avec eux des échanges de services...

L.N. : C'est quoi les échanges de services ?
M.B. : Il s'agit de trouver un pays qui nous envoie un matériel comme le fer et nous produirons des oeuvres à partir de ce produit. On pense aussi à la formation professionnelle des artisans. Le prix des oeuvres sera plus abordable sur le marché car dans la chaîne de production il y aura une réduction des coûts. Il y a là la possibilité de faire de bonnes affaires. Nous irons à cette fête chaque année.

L.N. : Vous vous engagez dans une voie visant à faire la promotion d'un artisanat relégué au second plan par la peinture. Cette dernière est relativement bien cotée sur le plan international.
M.B. : Il y aura aussi de la peinture à la fête.

L.N. : Celle des maîtres connus ?
M.B. : Plutôt l'art des jeunes peintres.

L.N. : Il y a le problème de ces jeunes peintres qui travaillent suivant le style des maîtres connus comme Laurenceau, Legagneur, Dambreville...
M.B. : Ceci est un autre dossier. Pour les jeunes peintres c'est un moyen de survivre avec leur talent. Dans tous les pays, il y a des reproductions de grands maîtres. La contrefaçon vient quand on signe l'oeuvre avec le nom du maître. Là aussi il faut un encadrement professionnel.

L.N. : Comment le secteur public a-t-il réagi à l'idée de l'Artisanat en Fête ?
M.B. : Le ministre Gérald Germain aux Affaires sociales a bien accueilli l'initiative. Le problème est l'affaire de la rectification budgétaire qui force le secteur public, y compris d'autres ministères, à ne pas participer financièrement à l'initiative.

L.N. : Par contre, la Digicel sponsorise la Fête de l'Artisanat.
M.B. : C'est notre grand sponsor. Il faut aussi souligner la Fondation Canez Auguste qui nous offre le Parc historique de la Canne à Sucre pendant deux jours. La Digicel a vu que l'idée est excellente de soutenir les artisans. Ces derniers ont tous leur portable. Ce qui facilite la communication dans des lieux reculés comme La Vallée de Jacmel ou dans les communes de Léogane. Le quotidien Le Nouvelliste nous a soutenu dès la conception du projet. C'est encore un acquis pour le Doyen de la presse haïtienne. La Unibank nous a rejoint ainsi que le Rhum Barbancourt. Je suis un « Event Planer »

L.N. : A quelques jours de la fête, on ne voit pas encore de banderoles dans les rues. S'il y en aura seront-elles en rouge et blanc ?
M.B. : Les banderoles vont venir. J'ai un droit de réserve au sujet des couleurs. L'essentiel, c'est la fête qui sera animée par le groupe Jukann qui joue une musique « soft ». On ne peut pas détourner l'attention des invités et des artisans qui, pour apprécier et produire, ont besoin d'une atmosphère non polluée par le bruit. C'est une bonne partie de notre richesse que nous allons présenter. La réussite dépend de notre savoir-faire.

L.N. : Cette sculpture sur votre bureau ressemble à une oeuvre de Botero. Elle vient de quelle région ?
M.B. : De Léogane. Ce qui m'a frappé c'est Ruth. Une léoganaise qui sculpte la pierre. Elle va chercher la pierre brute très loin. Elle montre surtout des maternités. L'esprit de solidarité est exemplaire : on rencontre un sculpteur et il vous donne tout un circuit de bons créateurs. Il nous faut aider les artisans à travailler la pierre brute. A Artisanat en Fête, des sculpteurs seront présentés en train de travailler la pierre.

L.N. : Sur le plan médiatique quelle est votre stratégie ?
M.B. : Nous sommes en contact avec des radios, avec la TNH. Un point de presse sera donné deux jours avant la fête. Au Parc, les journalistes auront l'occasion de voir les préparatifs et de dialoguer avec les artisans.

L.N. : Quelques brèves informations sur vous , Madame Blanchard.
M.B. : Je suis mariée. J'ai une fille de trois ans. J'ai voyagé aux Etats-Unis et au Canada. J'ai 31 ans. J'ai rencontré des artisans africains, brésiliens et cubains très excellents au Kreyol Festival de Action Fondation dirigée par Eric Bourcicaut. J'ai un sens inné de la création. Mon mari est artiste. J'aime le beau, la magie des choses, un bel environnement.

L.N. : Cela doit être difficile pour vous de vivre le délabrement de la capitale.
M.B. : Je suis très positive. Je crois que mon pays se relèvera. L'artisanat est une porte ouverte pour le tourisme. Chez moi, mon décor est à 80% haïtien. Mon mari m'a beaucoup encouragé dans mon initiative. Je suis un « event planer », une préparatrice d'événement. On peut compter sur moi quand il s'agit d'atteindre le grand public et le succès.
Propos recueillis par Pierre Clitandre

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=47064&PubDate=2007-08-11

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