Delva est un sculpteur qui vit de son art. Quelques minutes dans son atelier, c'est comme un long voyage dans son monde intérieur pour y découvrir la matrice de son oeuvre et sa philosophie de la vie. Il parle de son métier avec autant de passion qu'il le pratique.Artisan envers et contre toutNé à Port-au-Prince le 5 mai 1946, à l'âge de 16 ans Delva Joseph découvre l'artisanat dans un atelier de son quartier. Il tombe amoureux de ce métier et commence à fréquenter cet atelier. Son père ne veut pas qu'il apprenne l'artisanat. Il veut que son fils devienne médecin, avocat ou ingénieur. « C'est pour cela que je t'ai envoyé à l'école », dit-il au jeune Delva.
Ce dernier fait semblant de lui obéir mais en catimini, continue à fréquenter l'atelier de ses maîtres artisans. Un jour son père le découvre et lui donne une raclée. Delva est obligé d'abandonner cet atelier, mais il n'abandonne pas le métier d'artisanat. Il va fréquenter un autre atelier hors de son quartier où son père ne pourra pas le découvrir. Et là, il apprend secrètement le métier. A 20 ans, il commence déjà à vendre des pièces, et peut même aider son père avec le métier qu'il lui avait interdit d'apprendre. Soucieux de sa formation, en 1970 il entre à l'Ecole des Beaux-Arts. Il découvre de grands sculpteurs européens grâce à ses lectures. Il choisit comme modèle d'abord Michel-Ange, ensuite Auguste Rodin. Enfin, il trouve son originalité. Sûr de lui, il réalise sa première exposition au milieu des années 90. Aujourd'hui, Delva Joseph a près d'une dizaine d'exposition à son actif. Il expose non seulement en Haïti, mais aussi à la Guadeloupe, à la Martinique et aux Etats-Unis. Le créateur garde le pire souvenir de sa carrière d'une exposition à laquelle il a participé à l'Institut Français d'Haïti en 1999. En effet, il a été ignoré par un journaliste haïtien qui venait couvrir l'événement. Alors que ses oeuvres étaient placées à l'entrée de la salle d'exposition, le journaliste l'a ignoré pour aller interviewer une artiste française qui exposait juste après lui. Malgré ce goût amer que lui a laissé cette exposition en Haiti, l'arisan-philosophe ne baisse pas les bras. Au contraire, son objectif est de rester en Haïti pour former des jeunes. Il a déjà formé plusieurs générations qui font couler beaucoup d'encre en Europe. Actuellement, il forme six artisans dans son atelier à Pétion-Ville. Sensible à l'épanouissement des jeunes, il lance un SOS à l'endroit du ministère de la Culture et de la Communication pour qu'il encadre les artistes. Il suggère à ladite institution d'organiser des concours annuels dans les différents domaines artistiques en vue de permettre l'émergence des talents cachés.
L'art ne nourrit pas son homme, mais...Sur le plan économique, Delva Joseph explique que sa carrière est très difficile. « Nous n'avons personne pour faire la promotion de nos oeuvres », déplore-t-il au nom de ses pairs. Cependant, il continue à travailler en bon professionnel. « Quand je crée une pièce, ce n'est pas seulement dans le but de remplir mes poches, mais c'est aussi pour nourrir mon esprit. Je tiens par là à donner de bons exemples aux jeunes pour qu'ils ne se laissent pas décourager. Je ne vais pas abandonner le métier à cause des difficultés économiques. Au contraire, je dois travailler mieux pour prouver mon existence.
C'est le visage du pays que je représente à travers mes oeuvres. Haïti n'est pas un pays mort, malgré toutes les difficultés auxquelles ce pays fait face. Certains pays ont connu pire qu'Haïti, mais ils ont fini par s'en sortir. Je vis toujours avec espérance», dit-il. Mais c'est avec l'embargo qu'a connu Haïti en 1994 que la situation économique de Delva Joseph s'est vraiment dégradée. «Avant l'embargo, mon atelier se trouvait à Waney 93, (Carrefour). Je travaillais sur une large échelle avec une main- d'oeuvre composée de 16 jeunes que j'avais formés. J'exportais beaucoup. Avec l'embargo tout a chuté », soupire-t-il. Pour survivre, Delva Joseph crée des pièces artisanales qui, de part leur utilité, sont plus vendables que les sculptures. Il fabrique notamment des appliques murales, des gravures, etc. Il donne aussi des cours d'artisanat qui lui permettent d'avoir une meilleure entrée. Delva entre le classique et la modernitéL'anatomie humaine est au centre de l'oeuvre de Delva Joseph. Il créé par exemple des femmes nues, mettant surtout leurs seins en relief. Cela donne une pointe d'érotisme à son oeuvre. « C'est dans le corps de la femme qu'on trouve toute grâce, toute esthétique, toute harmonie. Et c'est dans la race noire en Ethiopie qu'on trouve le plus beau corps de femme », dit-il. Le créateur affirme avoir étudié l'anatomie humaine durant toute sa jeunesse. Il pense que la connaissance du corps de l'homme est fondamentale pour tout plasticien. « Celui qui n'a pas cette connaissance ne pourra pas aller trop loin dans sa technique de travail », soutient-il. L'oeuvre de Delva Joseph chevauche entre le classique et la modernité. Si dans certaines de ses pièces il représente fidèlement le corps humain, dans d'autres il détonne. Il entre en contradiction avec le créateur en créant des pièces surréelles, libérées du contrôle de la raison. « Je ne pense pas à ce que je vais créer. Il suffit d'avoir la technique », dit-il. C'est le principe de l'automatisme psychique chez les surréalistes qu'il adopte. Il devient ainsi un exploseur de carcan. Toutefois, la réalité sociale haïtienne lui sert de point de départ avant qu'il arrive aux fantasmagories de l'art. La philosophie de l'artisanDelva Joseph vit en harmonie avec lui-même. Son visage ne trahit pas ses propos remplis de positivité. Les yeux perdus dans l'horizon, très loquace, il parle comme un illuminé. C'est un homme profond, spirituel. Chacune des ses phrases est un jaillissement de lumière charriant sa vision du monde. Dans ce monde moderne fondé sur l' « avoir », Delva Joseph fonde sa vie sur l' « être». Il se met ainsi dans le sillage du philosophe et psychanalyste allemand, Erich Fromm qui, dans son livre « Avoir ou être », plaide en faveur d'une société nouvelle dont l'orientation ne serait pas fondée sur l'« avoir » . Et c'est-ce qu'il apprend à ses élèves. Delva Joseph dit toujours aux jeunes en formation dans son atelier : « Ne vendez pas toutes vos oeuvres. L'argent que vous gagnez en vendant une pièce n'est qu'une illusion, ça passe. Mais l'oeuvre vendue est intemporelle. La vraie force, c'est dans l'imagination et dans la pensée avec lesquelles vous créez les pièces. » Comme Fromm, il a foi en lui-même, il a foi dans sa force intérieure. Autant dire que Delva Joseph sculpte aussi bien le bois que son âme.
Bien-Cher Louis-Pierre
Source : http://www.lenouvelliste.com
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