Grand exportateur dans les années 50, Haïti s’est transformée en importateur d’aliments à la suite de l’ouverture de ses marchés dans les années 80 et 90.
L’application des politiques libérales par une élite haïtienne à la botte des bailleurs de fonds internationaux, a précipité l’agriculture haïtienne dans une crise sans précédent.
Trois ans et demi après le séisme, la situation en Haïti est alarmante. En effet, 6,7 millions de personnes y souffriraient d'insécurité alimentaire, selon le Programme alimentaire mondial (Pam).
Le règne de l’impunité sur l'île
Le 12 janvier 2010, un terrible tremblement de terre dévastait Port-au-Prince, la capitale d'Haïti, faisant 230.000 morts, plus de 300.000 blessés, et 1,5 million de sans-abris. Deux ans après, lors des commémorations, aux côtés de l’élite haïtienne et internationale, la présence du "dictateur" Jean- Claude Duvalier, président d’Haïti jusqu’en 1986 (il avait pris la succession de son père François, autoproclamé "président à vie" en 1964), et actuellement accusé et jugé pour corruption, paraissait surréaliste.
Raoul Peck dans son dernier documentaire "Assistance Mortelle", rend la chose réelle. L’impunité en Haïti semble non seulement avoir un visage mais est aussi cautionnable! La preuve. En fait, il faut savoir que le choc d’une telle image ne peut être étouffé, pour toute personne ayant vécu ou eu connaissance des exactions commises par la famille Duvalier lors de son règne, et dont les Haïtiens pâtissent encore aujourd’hui.
Car plus de 30 ans durant, Haïti fut marquée par la terreur des milices d’État causant la fuite de ses cerveaux et la mort de nombreux opposants ou simples citoyens désobéissants...Une tragédie politique dont l’une des conséquences directes est aujourd’hui, l’insécurité alimentaire chronique du pays.
Un pays plongé dans l'insécurité alimentaire
Et pour cause, la première République noire, qui n’a pu développer une politique agricole pérenne, dépend de l’aide internationale à hauteur de 60% de son budget total et affronte des aléas climatiques qui appauvrissent sa terre d’année en année. Tantôt politiques, tantôt naturelles, les épreuves subies épuisent les êtres et Haïti peine de plus en plus à nourrir son peuple.
"C’est au début des années 80, avec l’arrivée de politiques néolibérales que le pays commence à perdre sa souveraineté alimentaire", explique Jean-Baptiste Chavannes, porte-parole du Mouvement paysan de papaye (MPP), et également coordonnateur national de programmes au Mouvement Paysan National du Congrès de Papaye (MPNKP). Il poursuit: "Par le passé, Haïti a été autosuffisant en riz. Mais aujourd’hui, sur les 450.000 tonnes consommées par an, nous en produisons moins de 25%. Les importations de riz coûtent plus de 300 millions de dollars par an. Haïti produit à peine 40% de ses besoins alimentaires."
Des choix politiques remis en cause
En effet, principal secteur économique, l’agriculture souffre de son archaïsme et de la suppression des droits de douane actée par les accords de Miami de 1994. C’est Jean-Bertrand Aristide, le "mal nommé" président des pauvres qui, une nouvelle fois, flouera son peuple en signant ces accords. "La dette externe pesant, chaque année, ses intérêts représentent quatre fois les sommes consacrées par l’Etat à l’agriculture et à la ruralité."
Cela explique que plus d’un million de personnes soient en insécurité alimentaire. Alarmants ou alarmistes, les chiffres et les faits sont là. Ceux de l’observatoire Cniel des habitudes alimentaires (OCHA) et du Bureau de la coordination des affaires humanitaires affirment qu’en 2013, 15% (soit 1,52 million) de la population haïtienne est effectivement en situation d’insécurité alimentaire sévère, contre 8% (800.000) en 2011. De plus, 6,6% des enfants de moins de cinq ans sont en situation de malnutrition aiguë.
D'une catastrophe à l'autre
Ces chiffres matérialisent le drame qui se joue actuellement; drame qui semble coller à la peau d’une patrie qui tente en vain de se remettre d’une catastrophe à l’autre. À peine deux ans après le séisme, l’année 2012 a aussi connu une
série de désastres naturels affectant plus de 1,1 million de personnes: sécheresse, tempête tropicale Isaac et ouragan Sandy. "Les paysans ont perdu en moyenne 75% au moins de la production agricole. Les départements du Nord et du Nord-Est ont, eux, connu plus de sept mois de sécheresse."
La Coordination nationale de la sécurité alimentaire (CNSA) tire donc la sonnette d'alarme et appelle en conséquence les autorités à intervenir rapidement. "On compte 109 des 140 communes d'Haïti qui sont dans une situation d'insécurité alimentaire", appuie Myrta Kaulard, représentante du Programme alimentaire mondial en Haïti. "Les gens ont perdu leurs récoltes et leurs stocks alimentaires, achètent à crédit, donc plus cher, consomment des produits alimentaires de basse qualité, coupent les arbres où il y en a et en font du charbon pour le vendre. Ils retirent les enfants de l'école, et les donnent en domesticité. La période d'avril à juillet 2013 est la période la plus dure car ces mécanismes de survie sont épuisés."
L’apathie de l’État haïtien
Des assises régionales ont eu lieu le 14 juin 2013, en vue de l’élaboration d’un document sur la souveraineté et la sécurité alimentaires. Quatre contraintes majeures ont été identifiées: l’investissement, la précarité de l’environnement, le cadre macroéconomique défavorable et la faiblesse des institutions. Enfin, la volonté de tourner le dos aux formules politiques passées semble avoir été esquissée: "Élaborons des politiques publiques qui s’attaquent aux causes structurelles de ce grave problème et construisons des réponses efficaces, adaptées et durables sur le long terme!", a lancé le président du Sénat, Simon Dieuseul Desras. On l’espère aussi.
En attendant, "malheureusement, les gouvernements de notre pays ont toujours une politique alimentaire tournée uniquement vers l’importation. Lors des catastrophes naturelles, les dirigeants font appel aux importateurs pour trouver une solution. Les producteurs ne font jamais partie du plan". Rosanie Moise Germain, directrice de Veterimed, organisme de formation, de recherche et d’appui technique en santé et production animales poursuit: "Depuis 1986, les différentes décisions gouvernementales ont abouti à une transformation des habitudes alimentaires des Haïtiens, devenus dépendants presqu’à 100% de produits importés. On se retrouve avec une génération dont la principale alimentation est le riz, premier poste d’importation. Ce qui est différent des deux décennies précédentes, pendant lesquelles les Haïtiens consommaient toute une variété de produits, issus de la production nationale."
La dépendance à l’aide internationale
À ces transformations des comportements et habitudes alimentaires, s’ajoute la baisse du pouvoir d’achat des populations. De plus, le budget global de l’État haïtien dépend de l’aide internationale. Comment parler alors d’indépendance politique et économique en matière de politique agricole, pour un État à la merci de ses donateurs. "Dans le business de l'humanitaire, chacun plante son drapeau. La dictature de l'aide est violente et arbitraire", souligne Raoul Peck dans son récent documentaire.
En témoigne, d’ailleurs, cet "élan de générosité" de l’entreprise américaine Monsanto juste après le séisme et dont les conséquences sont déjà palpables. Pour "aider" l’agriculture haïtienne, l’entreprise a offert au pays 475 tonnes de semences génétiquement modifiées (OGM), en plus des engrais et pesticides qui leur sont associés. Tout cela sera distribué gratuitement par le projet Winner et encadré par le représentant en Haïti de Monsanto, Jean-Robert Estimé, ancien ministre des Affaires étrangères sous Duvalier .
"Une alliance prometteuse et surtout de nouveaux marchés. Les agriculteurs haïtiens qui voudront disposer du droit de ressemer pour leurs récoltes futures devront payer des royalties à Monsanto", constate amèrement le père Jean-Yves Urfié. Prêtre catholique, ce militant anti-Duvalier père et fils, est un des nombreux déçus de Jean Bertrand Aristide. Il comptabilise 48 ans de lutte et de résistance aux côtés des Haïtiens.
Avec ces manœuvres consenties de l’intérieur par l’exécutif haïtien, l’arme alimentaire devient l’enjeu et la boucle de la dépendance est ainsi bouclée.
Des mesures insuffisantes
La faiblesse de la production et des prix alimentaires élevés conduisent de fait, à l’insécurité alimentaire. "C’est pourquoi, nous travaillons beaucoup avec la FAO, l’organisation onusienne en charge des questions agricoles. Nous travaillons aussi avec les associations paysannes pour les aider à vendre plus de leur production. Certes, il y a beaucoup de contraintes quant à la qualité, la quantité, la capacité financière, l'éducation des petits producteurs, le transport. Mais nous communiquons beaucoup pour expliquer comment répondre aux appels d'offre", affirme Myrta Kaulard du Programme alimentaire mondial.
Elle ajoute: "Nous avons aussi mis en place des projets "cash for work" qui sont toujours en cours. Ces projets donnent un travail temporaire et un salaire aux personnes affectées et permettent de réhabiliter les terres. Nous avons ainsi employé environs 11.000 personnes, pour moitié des femmes. Nous avons aussi assisté environ 145.000 mères enceintes ou allaitantes d’enfants de moins de 5 ans en état de malnutrition. Mais ce n'est que la moitié des personnes que nous estimons en nécessité."
Sortir "d'une considération chiffrée du problème"
En effet, les statistiques et la cartographie de la faim que pronostique l’OCHA, font froid dans le dos. Des chiffres accolés les uns à côté des autres qui correspondent, dans les faits, à des vies humaines condamnées (encore en 2013) à souffrir de la faim. Ces chiffres sont finalement peu révélateurs de l’étendue des dégâts (pour le lecteur non averti), ils sont destinés aux bureaucrates détenteurs de la fameuse "aide internationale". Celle-ci nourrira seulement les Haïtiens les plus misérables, selon des critères chiffrables et prédéterminés en hauts lieux. Pour les autres, les chiffres ne sont pas si alarmants!
"La Coordination nationale de la sécurité alimentaire est en train de faire une reclassification des différentes régions d’Haïti, sur la base d’une méthodologie internationale. Cela permettra la classification, sur la base d'indicateurs standards, des conditions de sécurité alimentaire. Cela permettra aussi de définir si une zone est en urgence ou en crise de sécurité alimentaire. Pour l'instant on peut dire que l'insécurité alimentaire est très forte, très répandue: 6,7 millions de personnes y font face, de manière modérée ou sévère", conclut la représentante du Pam. Des explications qui laissent dubitatif...
Il est donc attendu du document de politiques en préparation dans ce domaine les justes instruments qui serviront à pallier les carences d’une considération chiffrée du problème. Il a été affirmé que cette nouvelle politique aura des instruments de contrôle de la production, de régulation des flux d’importation et d’exportation, de constitution d’un stock de cinq produits alimentaires. Ce, pour enfin acter une réduction des risques liés à la variabilité des récoltes et des prix et moderniser les échanges afin de sortir des millions d’Haïtiens de la faim.
Cet article a été initialement publié dans le numéro 119 du mensuel du Collectif Haïti de France, en juin 2013.
http://www.youphil.com/fr/article/06789-haiti-arme-alimentaire-crise?ypcli=ano
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
samedi 31 août 2013
Le Collectif Haïti de France alerte sur la situation alimentaire critique de l'île.
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