La « révolution bolivarienne » survivra-t-elle à Hugo Chavez ?
Pierre Haski | Cofondateur
Le cancer aura eu raison de Hugo Chavez. A 58 ans, le président vénézuelien a succombé mardi à sa maladie. Sa « révolution bolivarienne » lui survivra-t-elle ?
C’est le cancer qui aura eu raison de Hugo Chavez. Le président vénézuelien a succombé ce mardi à sa maladie à l’âge de 58 ans, sans avoir pu prêter serment pour son troisième mandat après sa réélection en octobre dernier.
C’est le vice-président, son successeur-désigné, Nicolas Maduro, qui a annoncé le décès de « notre commandant président » :
« Nous avons reçu l’information la plus dure et la plus tragique que nous pouvions annoncer à notre peuple. »
Hugo Chavez était rentré à Caracas il y a deux semaines après avoir été hospitalisé pendant plus de deux mois à La Havane, où il a subi en décembre une quatrième intervention chirurgicale pour un cancer diagnostiqué en 2011 dans la région pelvienne.
A la tête de la « République bolivarienne » du Venezuela depuis 1999, Hugo Chavez a été un leader charismatique controversé, figure révolutionnaire pour les uns, dictateur en herbe pour les autres, en particulier pour les classes moyennes du pays et pour Washington.
Pour Human Rights Watch, l’organisation de défense des droits de l’homme basée à New York, le règne de Chavez aura été marqué par une « dérive autoritaire » :
« Une extrême concentration du pouvoir et un mépris affiché pour les droits humains fondamentaux. »
« Il a derrière lui la majorité de la population »
RÉACTION NUANCÉE DE HOLLANDE
Dans un message diffusé par l’Elysée peu après minuit, François Hollande exprime ses condoléances nuancées à l’annonce de la mort de Hugo Chavez. Il écrit : « Le président défunt exprimait, au-delà de son tempérament et de ses orientations que tous ne partageaient pas, une volonté indéniable de lutter pour la justice et le développement. Je suis convaincu que le Venezuela saura surmonter cette épreuve dans la démocratie et l’apaisement ».
L’ancien putschiste revenu dans le chemin de la démocratie formelle avait néanmoins réussi à gagner toutes les élections depuis son accession au pouvoir, malgré ces accusations d’autoritarisme (menaces sur la liberté de la presse, sur l’indépendance de la justice, etc).
Il s’était acquis le soutien des couches populaires du pays par son programme de redistribution sociale que lui permettait la rente pétrolière du pays.
Pour Janette Habel, enseignante à l’Institut des hautes études de l’Amérique latine (Iheal) :
« Il a derrière lui la majorité de la population, à savoir les plus pauvres. Notamment dans les Ranchos, des bidonvilles où les enfants ont désormais droit à l’éducation, à la santé. Il a aussi fait construire ces derniers mois quelque 200 000 logements neufs pour les plus démunis. »
En politique internationale, Chavez s’était clairement positionné comme chef de file d’une Amérique latine anti-américaine, dans les pas de Fidel Castro, l’ex-leader cubain qu’il admirait et qui, paradoxalement, lui survit après avoir lui aussi affronté l’épreuve de la maladie et avoir abandonné le pouvoir à son frère Raul.
Il n’a toutefois pas réussi à fédérer derrière son leadership, comme il l’espérait, le continent latino-américain contre l’impérialisme américain.
Derrière les gestes d’amitié, des hommes comme le Brésilien Lula ont choisi une autre voie, moins confrontationnelle.
Successeur désigné
Son successeur est Nicolas Maduro. Hugo Chavez l’a désigné en décembre, alors qu’il se savait sans doute condamné à courte échéance. Il avait été clair :
« Nicolas Maduro est en situation non seulement d’assumer ma charge… mais vous élirez Nicolas Maduro président de la République bolivarienne du Venezuela. »
Maduro n’aura toutefois pas la tache aisée : comme Rue89 l’écrivait début janvier, le successeur du « commandant président » n’a ni la légitimité naturelle, ni le charisme de son mentor.
Mais l’actuel vice-président, qui sera soumis au vote populaire d’ici trente jours, bénéficiera néanmoins de l’« effet Chavez », comme le faisait observer Alain Musset, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales(Ehess) :
« Même si Maduro n’est pas charismatique, il bénéficiera du “martyr Chavez”, dont il est l’héritier. »
Economie de rentes
Le chercheur Alain Musset faisait observer que si Hugo Chavez s’est présenté comme le représentant du « socialisme du XXIe siècle », il n’a jamais initié les changements structurels nécessaires à la réalisation de son ambition, ce que lui reprochent ses détracteurs de gauche.
Et il n’a pas réellement préparé le pays à l’entrée dans la « nouvelle ère socialiste » qu’il prétendait incarner :
« Avant Chavez, le Venezuela avait une économie de rentes, issue des hydrocarbures, qui bénéficiait aux élites. Les bénéfices vont désormais ailleurs. Mais c’est encore et toujours une économie de rentes.
Chavez n’a pas utilisé l’argent du pétrole pour transformer la production et le tissu économique du pays, ce qui aurait du même coup transformé le tissu social.
Certes, il y a plus de justice redistributive, mais elle est soumise au bon vouloir de l’Etat.
Si la droite revient au pouvoir, ces mécanismes disparaîtront et les classes populaires n’auront rien gagné dans l’affaire.
Car le Venezuela est extrêmement dépendant de ses importations.
Sur le long terme, une telle économie de rentes n’est pas viable. Le successeur de Chavez aura certainement à affronter une crise économique, politique et sociale. »
La question est donc posée dès ce mardi soir, au-delà du deuil : la révolution bolivarienne survivra-t-elle réellement à son chef disparu ?
En France, son supporter numéro un, le leader du Parti de gauche Jean-Luc Mélenchon, a répondu à sa manière à cette question sur son compte Twitter :
« Ce qu’il est ne meurt jamais ».
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