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mercredi 10 novembre 2010

Les oubliés d'Haïti

Publié le 09 novembre 2010
Michèle Ouimet, envoyée spéciale

La Presse
(Léon, Haïti) Toute la nuit, une pluie fine est tombée sur Léon. À 6h30, juste après l'aube, le vent s'est levé d'un seul coup et l'ouragan Tomas a frappé.
«On entendait le bruit du vent qui passait au-dessus des montagnes, raconte le père Alphonse, curé de Léon. L'ouragan a duré 45 minutes. C'était très violent. On pensait tous qu'on allait mourir.»
Tomas n'a pas foncé directement sur Haïti. Même si l'oeil de l'ouragan est passé dans la mer des Caraïbes, il a soufflé avec force sur la côte ouest d'Haïti. Des vents violents ont secoué de petites localités isolées comme Jérémie, Dame-Marie, L'Anse d'Hainault et Léon.
C'est Léon qui a le plus souffert: toits envolés, arbres arrachés, récoltes ruinées. Deux maisons ont plongé dans les eaux tumultueuses de la rivière Voldrogue gonflées par la pluie.
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On craint toujours que l'épidémie de choléra continue
de se propager dans le pays. L'ONU a livré des trousses sanitaires
aux environs de Jérémie lundi. Photo: David Boily, La Presse

Près de 20 000 personnes vivent à Léon, 6000 dans le village qui longe la Voldrogue et 14 000 perchées dans les montagnes. Un endroit perdu au bout d'Haïti, un coin oublié par le gouvernement et la plupart des ONG.
«Environ 75% des récoltes sont perdues, dit le père Alphonse. Il y aura de la faim dans les prochains mois.
- Qui va vous aider?
- Je ne sais pas. Est-ce que le gouvernement a les moyens? Je l'ignore. Et même s'il a les moyens, Léon n'est pas une priorité. Nous sommes isolés. Quand une catastrophe s'abat sur nous, on nous oublie: "Arrangez-vous!" C'est l'Église catholique qui tient l'école et le dispensaire à bout de bras. On nous a abandonnés.»
***
Pas facile de se rendre à Jérémie, à l'extrémité ouest d'Haïti. Encore moins à Léon. Environ 300 km séparent Port-au-Prince de Jérémie. La moitié du chemin est en terre battue. Il faut entre 8 et 10 heures pour aller de la capitale à Jérémie en auto. Si tout va bien.
Vendredi, les vents ont soufflé fort et la mer a grondé, mais Jérémie n'a pas été inondé. Même si la ville est au bord de la mer, elle est construite en hauteur.

Une route de terre mène à Léon. Une piste caillouteuse de 15 km qui s'enfonce à l'intérieur du pays. Franchir ces quelques kilomètres prend plus d'une heure. La piste grimpe dans les montagnes, puis redescend dans une vallée où se cache Léon. Le paysage est magnifique, la végétation luxuriante. Ici, les arbres n'ont pas été arrachés et les montagnes ne sont pas pelées, contrairement au reste du pays.
Le coeur du village s'étire le long de la Voldrogue. La rue principale est bordée de maisons en bois. La rivière coule à quelques mètres.
Vendredi matin, Tomas a déferlé dans la rue principale, arrachant des toits et précipitant deux maisons dans la rivière.
Juliane Auguste n'en revient toujours pas. Plantée au milieu de sa maison, les mains sur les hanches, elle lève la tête. Ce n'est pas le plafond qu'elle voit, mais le ciel nuageux. Le vent a emporté le toit à 7h vendredi matin.
Elle était réveillée lorsque Tomas s'est déchaîné. Elle s'est précipitée dans la rue même si le vent balayait tout sur son passage.
À Jérémie, la plage est couverte
de débris charriés par les eaux
tumultueuses de la rivière
Voldrogue. Des jeunes examinent
 les fragments à la recherche
de matériaux réutilisables.
Photo: David Boily, La Presse



À l'arrière de sa maison, il n'y a plus de porte, plus de palier, plus de bananier. Qu'un ravin de 20 pieds qui plonge dans la rivière.
Qui va payer pour réparer sa maison? Elle tape dans ses mains. «Mais je ne sais pas!»
Un peu plus loin, juste avant le marché, Louis Casimir regarde ce qu'il reste de sa maison: les fondations, des débris de ciment et quelques casseroles éparpillées entre des chiens maigres.
Sa femme s'active au-dessus d'un feu de bois. Elle prend une casserole noircie et attrape une patte de brebis, qu'elle jette dans son ragoût.
La rivière a emporté leur maison. La Voldrogue coule follement à quelques mètres des débris. «La maison a commencé à s'affaisser jeudi soir», raconte M. Casimir. Sa femme et lui ont sorti en vitesse les lits, des ustensiles et des vêtements.

Le lendemain, il n'y avait plus rien. Ou presque.
De l'autre côté de la rue, une quinzaine d'hommes entourent une table installée sur le perron d'une buvette. Deux hommes jouent aux dominos. Les autres les observent.
Un des joueurs lève la tête. L'ouragan? «Le vent a secoué fort. C'était terrible. On est finis! On est finis!» dit-il avec un large geste de la main. Tout le monde se met à parler en même temps.
«Ma maison s'est écrasée!»
«Moi aussi!»
Ils s'énervent, discutent, puis replongent le nez dans leur partie de dominos.
On retourne au presbytère. Les gens saluent respectueusement le curé.
«Les gens viennent me voir et ils me disent: "S'il vous plaît, aidez-moi!" soupire le curé.
- Et qu'est-ce que vous leur répondez?
Il hésite avant de répondre, puis il me regarde droit dans les yeux: «Souvent, on n'a rien.»
http://www.cyberpresse.ca/international/dossiers/ouragan-tomas-en-haiti/201011/08/01-4340667-les-oublies-dhaiti.php

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