Je suis née deux fois. Une première fois au mois d'août 1956 en Angleterre d'une femme danoise et d'un homme nigérian, et une seconde fois en février 1959 pour rejoindre ma famille adoptive au pied de la butte Montmartre. Pour moi l'adoption est une seconde naissance, un choc salutaire qui peut se transformer en atout pour mieux interpréter et apprécier la diversité du monde qui nous entoure.
Le drame à Haïti le 12 janvier, avec son cortège d'enfants meurtris, orphelins et abîmés, a ravivé les polémiques récurrentes qui tournent autour de cette prise en charge particulière qu'est l'adoption internationale. Elle permet à près de 40 000 enfants de passer, chaque année, les frontières de leur terre natale, pour exercer leur droit à vivre dans l'intimité d'une famille.
Mais au-delà de cette spécificité haïtienne, c'est la question plus générale de l'adoption internationale avec ses détracteurs et ses défenseurs qui est posée : sa légitimité, son fonctionnement et son impact tant dans les pays de provenance que dans les pays d'accueil.
Comme l'énoncent plusieurs conventions internationales, l'adoption est une mesure de protection de l'enfant, qui a le droit de grandir avec sa famille. Si les circonstances l'en ont privé, il doit pouvoir bénéficier dans son pays de naissance ou "dans un pays étranger, d'une adoption comme moyen d'assurer ses soins nécessaires, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé", article 21 de la Convention internationale des droits de l'enfant de 1 989 (CIDE).
Avant le séisme dévastateur sur les 300 000 enfants haïtiens accueillis dans des structures diverses d'aide à l'enfance, en 2009, 1 300 sont partis à l'étranger, principalement en France, au Canada et aux Etats-Unis pour y être adoptés, pour y vivre et devenir des filles ou des fils de parents qui les inscrivent ainsi dans une nouvelle histoire familiale et nationale. Qu'advient-il de tous les autres ? Sont-ils condamnés au statut d'orphelins à vie, dans une errance affective et morale ? Dans des camps, avec le seul soutien d'un personnel souvent très dévoué mais qui aura rarement la possibilité de les porter vers un avenir serein. On sait que, bien avant l'adolescence, nombre d'entre eux iront rejoindre la cohorte des enfants des rues.
A ceux qui recommandent de ne pas agir dans la précipitation mais dans le souci du respect des lois, je répondrai que les règles qui régissent l'adoption internationale sont laborieuses et contraignantes. A Haïti, par exemple, quinze étapes de procédure doivent être franchies pour enfin obtenir le visa d'adoption à l'ambassade de France, qui autorise l'enfant à rejoindre légalement son nouveau pays. Les délais pour ce sésame varient de quelques mois à plusieurs années. Compte tenu de ces parcours, on peut estimer que le temps de la réflexion est offert aux parents et aux institutions pour juger de la pertinence et de la validité de la démarche engagée.
L'enfant pendant ce temps se trouve dans un no man's land affectif, vivant son quotidien dans l'orphelinat, et, déjà engagé ailleurs, apprenant à désigner avec des mots nouveaux ou oubliés, comme "papa" ou "maman", des visages imprimés sur papier glacé. On sait que plus l'enfant grandit plus il aura de difficultés à guérir des séquelles de ces traumatismes. Il est donc vital d'accorder le temps de la justice à celui de l'enfant en accélérant les procédures sans les dénaturer, après que les apparentements ont été décidés.
Ce phénomène a toujours généré des débats passionnés. Il est vrai qu'il interpelle les sociétés par la mixité qu'il entraîne, il s'inscrit aussi comme une des conséquences de l'internationalisation des échanges. Le droit de l'enfant à avoir une famille est reconnu au-delà des frontières qui l'ont vu naître, en conformité avec l'intérêt supérieur de l'enfant - ouvrant ainsi depuis 1989 un espace juridique transfrontalier spécifique au monde de l'enfance qui reconnaît l'universalité de son statut.
Pour certains, le tribut de cet exil nécessaire pour trouver une famille serait trop lourd, trop invalidant, puisqu'il amputerait les enfants d'une partie de leur identité et favoriserait, de surcroît, un comportement égoïste et prédateur des Occidentaux, qui continueraient par ce biais à exploiter la misère du monde.
La stratégie familiale, qui consiste à laisser partir un ou plusieurs enfants dans l'espoir d'une vie meilleure, est un phénomène qui a toujours existé même sous nos latitudes. La littérature des XIXe et XXe siècles, Dickens en Angleterre, Maupassant en France, foisonne de récits mettant en scène des parents qui confient ou abandonnent leurs enfants.
Pour l'immense majorité des enfants recueillis, la seule chance de grandir dans un espace qui prenne le temps de les aimer et qui les inscrive à nouveau dans une appartenance affective et morale est l'adoption, qu'elle soit locale ou internationale, conjuguant le désir de parents de fonder ou agrandir une famille et le droit de l'enfant à en posséder une. Aucun camp, personne du monde socio-éducatif, ne remplacera le lien privilégié qu'entretiennent des parents avec leur enfant.
Sous prétexte de quelques dérives répréhensibles, très médiatisées, ne cachons pas la réalité de ces millions d'enfants qui attendent et grandissent nourris et parqués sur leur terre natale, dans des lieux sans âme et sans espoir. En Roumanie, de jeunes adultes se retournent maintenant contre les autorités de leurs pays, les accusant de les avoir privés de leur enfance en les gardant en otages depuis 2001 dans des institutions, en les empêchant d'être adoptés par des familles étrangères. A l'époque, le pays s'était fermé à l'adoption internationale pour mettre fin à la corruption qui sévissait aussi dans ce secteur. L'adoption n'est pas une prédation, elle est la juste réponse à la pire des solitudes, celle pour un enfant de grandir sans personne à qui se lier.
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Patricia Mowbray est fondatrice de l'association Racines d'enfance, auteur d'"A comme Adoption" (éd. Pascal, 2009).
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2010/05/03/l-adoption-internationale-n-est-pas-une-predation-par-patricia-mowbray_1345939_3232.html
Commentaires:
112 jours après le tremblement de terre d'Haïti, une des plus grandes catastrophes naturelles de l'histoire de l'humanité, la presse Française mentionne encore Haïti. La France n'oublie pas Haïti. Peu importe que ce soit à travers un article traitant de l'adoption et de l'angélisme de ces centaines de mères Theresa qui se couvrent de vertus en arrachant un enfant de la misère et de la solitude.
Peu importe ce que l'on puisse dire sur Haïti et les haïtiens dans les rues aujourd'hui.
Le débat sur l'adoption sera toujours très passionnant . Il y en aura toujours qui se poseront des questions comme ce que l'on ressent quand on est poussé par un désir irrésistible d'être mère on arrive à arracher un enfant à une autre mère. Ou encore pourquoi certaines catégories de familles n'ont pas le droit d'adopter en France tandis qu'elles peuvent le faire en Haïti. Pourquoi si cette loi est faite pour protéger les enfants, cette forme de discrimination dans la "distribution" de cette protection. Ce sont des questions qui n'inspoirent pas toujours des réponses. Pour eviter de contrarier et de se fâcher pour rien.
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mardi 4 mai 2010
L'adoption internationale n'est pas une prédation, par Patricia Mowbray
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