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jeudi 31 janvier 2008

L'Estère, désabusée, secrète et nostalgique

Surpeuplée par l'afflux de milliers de paysans venus de zones extra-rurales paupérisées, L'Estère parait symptomatique du mal-être caractérisant l'arrière-pays. Roue poussiéreuse, absence de repères et d'opportunités économiques. Il s'avère nécessaire de concocter des projets agricoles axés sur la relance de la production nationale dans cette région qui fut le grenier de l'Artibonite dans la production du riz... A l'époque de l'ODVA.
Privée de tout, même des services de base, L'Estère s'apprête à célébrer à sa manière le centenaire de sa fondation le 8 octobre 2008. Petit quartier en 1950, sous la présidence de Dumarsais Estimé, elle a été élevée au rang de commune en 1984 grâce aux efforts du Comité pour l'Unification de L'Estère. Population : 80.000 habitants selon les derniers recensements. Formée de deux (2) sections communales : la Croix Périsse et Petite Desdunes, la commune de l'Estère est située à 14 kilomètres de la ville des Gonaïves.«Nous travaillons sans relâche pour le développement de L'Estère, à quelques mois de la célébration de son centenaire», indique, sur un ton plutôt ferme et rassurant, le maire Alexis Fortunat (de l'Alliance Démocratique) qui appelle de tous ses voeux la mobilisation de tous les fils de l'Estère, qu'ils soient en Haïti ou à l'étranger, pour fêter grandiosement les cent ans d'existence de la commune.
Natif-natal de L'Estère, Elira, 20 ans, se rend compte, pour sa part, que l'Estère parait avoir bien changée en quelques années, s'il faut en croire à ce que lui racontent ses grands parents à ce sujet. «Nous importons actuellement le riz et les haricots, tandis que nous en étions les principaux producteurs au niveau du département de l'Artibonite. C'est lamentable.», se plaint-il, amer et désenchanté.
Lieu historique par excellence, L'Estère aurait cessé de vibrer au souvenir des ancêtres, estime le jeune homme visiblement pétri de l'histoire glorieuse qui entoure sa région. «La bataille du 23 février 1803 fut menée par Rochambeau et Dessalines à la Ravine-à-Couleuvre, non loin de Passe Tors où l'on célèbre chaque 1er novembre La Toussaint» s'enorgueillit Elira qui voit venir le 8 octobre 2008 avec fierté et déception. Fierté de se remémorer les prouesses des héros de l'Indépendance. Déception de voir sa commune endosser l'opprobre et la souillure.Remettre à l'heure la pendule du développement de la commune
A L'Estère, le ciel bleuit en plein midi. L'air s'échauffe même au crépuscule. Hommes, femmes et enfants vivent au quotidien une situation de misère extrême. Des deux côtés de la route on ne peut plus poussiéreuse, on constate qu'il y a une unité architecturale entre les maisonnettes. Un style commun à insérer dans un vaste tableau de l'habitat rural avec des caractéristiques propres : pans de toit asymétrique, escalier extérieur, murs à la peinture vive et impériale... Celui qui sait bien voir peut y trouver trace de tout, du moins un peu plus loin de la route principale : buissons d'hibiscus en fleurs, bétail squelettique, chevaux aux flancs rabotés et sanglants dont on a badigeonné les plaies de quelque matière servant de «panacée», beaux papillons semblables à de grands machaons et portant à l'envers des ailes une grosse macule nacrée. Joie de se retrouver en milieu rural laissé-pour-compte, et cumulant bien des maux de l'arrière-pays. Ecole professionnelle, électricité, eau potable, hôpital, lycée, téléphone. Rien de tout cela. Mais L'Estère manifeste à propos de grandes impatiences. Elle attend des infrastructures (routières), des repères socio-économiques, culturels et artistiques.
Rééquilibrer L'Estère
A dominante catholique, L'Estère se partage entre les principales religions. Boutiques, monts-de-piété, véhicules assurant le transport public s'identifient à un référent biblique : Jésus, Bethléem, La Grâce, Golgotha, Dieu, Trinité, etc. Pourtant rien ne détermine plus profondément L'Estère à la place qu'elle fait aux religions à mystères. Des rites consolateurs relient par exemple les vivants aux disparus. Certains vont jusqu'à nier leur statut de défunt. «A L'Estère, la mort resurgit en névrose, en folie : l'homme privé de finitude cesse carrément d'être le sujet actif de son histoire», analyse une étudiante à l'Université Publique de l'Artibonite aux Gonaïves ayant requis l'anonymat. Et qui plaide en faveur de la libération de la mort à intégrer au devenir social. Pour changer la vie. C'est peut-être tout dire.
«Tout étant agricole, notre région se trouve ravagée par la famine. Quel contraste !», s'écrie un riverain qui déambule au sein d'un groupe de houngans le 24 janvier en cours dans la localité de Basse-Lacul. «Aujourd'hui, c'est notre fête, nous faisons les sept (7) tours de notre quartier général en prélude aux grandes manifestations» s'enthousiasment deux femmes frisant la cinquantaine, vêtues de rose et blanc et rencontrées au hasard de notre tournée, Ronald Sainturné et moi, avec le Fonds de Parrainage National (FPN). L'un d'entre eux est rentré du Canada pour participer à la fête et revendiquer ainsi le droit à une identification libre. «Plus que jamais, je reconnais ma culture d'origine comme amie. J'ai épousé son univers comme une femme qui ne me trahira point», déclare-t-il avec ferveur, nourri qu'il est de son savoir initiatique qui lui assure sans doute des fondements de ses croyances. Et de l'accessibilité de la Terre Promise.
Axée sur la spéculation, freinée par une absence de politique de décentralisation, la croissance économique en milieu rural a un impérieux besoin d'oxygène Et la meilleure riposte à l'exclusion du «pays en dehors» déjà atrophié, réside davantage dans l'efficience d'un Etat visionnaire, non providentiel et responsable que dans une stratégie d'assistance internationale.

Robenson Bernard

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