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jeudi 14 juin 2007

Un déséquilibre dérangeant… Radiophotographies Entre la ville et la deville

Un déséquilibre dérangeant… Radiophotographies Entre la ville et la deville

Port-au-Prince devient un lieu d'étouffement. On ressent l'étau partout : surpopulation, pollution sonore, dégradation de l'environnement, constructions anarchiques, obstructions d'égouts... La ville « est éclatée », suivant l'expression du nouveau maire Muscadin Jean Yves Jason. Que faire au milieu d'un ensemble d'urgences qui interpellent l'Etat, le secteur privé et le citoyen ?

La ville de Port-au-Prince fête ses 258 ans dans une situation alarmante. Tout concourt à rendre cet espace urbain désarticulé et porteur de tous les risques. A ses portails nord et sud, la capitale offre le désolant spectacle d'une indescriptible anarchie commerciale mêlée à une insalubrité chronique.

Le désordre s'étend sur le boulevard Jean-Jacques Dessalines d'un bout à l'autre. Les immeubles des magasins sont asphyxiés par les précaires installations du commerce informel. Il n'y a plus de place pour la circulation piétonne. C'est à coups de coude qu'on gagne un pas de plus dans le capharnaüm où chacun essaie difficilement de tirer son épingle du jeu. On descend en ville comme on va à une arène de gladiateurs. On en sort souvent accablé.


La principale artère de la capitale,le boulevard Jean -Jacques Dessalines, bétonnée sous le régime de François Duvalier, est occupée des deux côtés par des étalagistes qui revendiquent leur droit de survivre dans la plus grande débrouillardise. La circulation automobile qui était originellement fixée, dans les années soixante, à quatre voies est réduite à deux, et dans quelle difficulté les chauffeurs se démènent ! Les étalagistes occupent ces voies et revendiquent leur droit à la survie dans la plus grande débrouillardise du panier à crabes.

Le boulevard du Bicentenaire qui était dans les années quarante un espace exclusivement aménagé pour la saine distraction ou le repos psychologique des citadins, est transformé en un lieu de décharge publique naturelle. Le littoral de la baie de Port-au-Prince constitué en général de terrains vacants est occupé en bonne partie par des bidonvilles, des bicoques, des canaux à ciel ouvert pleins d'eaux stagnantes et d'objets en plastique qui défient l'hygiène publique. C'est dans cette baie abandonnée à elle-même que viennent s'accumuler tous les multiples déchets organiques et industriels de la ville.

En saison de pluie, eaux et boue emplies d'objets hétéroclites envahissent la cour des rares institutions qui, devant la menace de la catastrophe, n'ont pas encore pris la poudre d'escampette. En effet, ces dernières laissent la zone en grand nombre aussi bien pour des raisons d'insécurité que pour l'incontrôlable montée d'une insalubrité dont tous les spécialistes disent qu'elle est provoquée par l'occupation anarchique des hauteurs de la capitale par les bidonvilles.

Encore timides dans les années 80, les constructions anarchiques sont aujourd'hui partout présentes. Elles n'épargnent aucun quartier. Les lieux considérés comme des « zones de réserve » sont, de plus en plus, déboisés pour faire place nette aux maisonnettes en béton construites sur le flanc des mornes et même au creux des ravins.

Des rues de Pétion-Ville on assiste, impuissants, à la progression du danger collectif de la bidonvillisation excessive. Au Morne l'Hôpital c'est le total encerclement d'un « monstre urbain » qui étend ses tentacules de Martissant jusque sur les hauteurs de Carrefour-Feuilles et au-delà. Les glissements de terrain entraînent souvent de désastreuses chutes de murs. Le mois dernier, Le Nouvelliste a rapporté la mort de pauvres gens provoquée par des glissements de terrains à Baillergeau, sur les hauteurs de l'avenue Magloire Ambroise et à Canapé-Vert.

La bidonvillisation est liée à l'exode urbain, au processus de destruction de l'économie agricole haïtienne. Elle n'est pas encore endiguée par des mesures, des lois et une police qui fait respecter ces dernières dans les faits.

Des marchés à Port-au-Prince s'installent partout. Il suffit à un « pionnier » audacieux de détecter un coin profitable à son petit « demele » pour qu'il soit suivi par d'autres qui ne sont point inquiétés par la coercition de l'Etat. Il devient impossible aux piétons de circuler sur les trottoirs dans une capitale encombrée de bus, tap-tap, brouettes et véhicules de toutes sortes. Une bonne partie des rues de la ville est sous le contrôle de garagistes. Vacarme et salissure d'huile de moteur y règnent. Institutions privées et publiques sont polluées quotidiennement par des bruits stridents de marteau, de scie et de torche électrique.

Durant ces dernières années, beaucoup de maisons de commerce ont fermé leurs portes en raison de la totale dégradation de leur environnement immédiat. Elles se sont établies soit à Pétion-Ville ou à Delmas. On ne sait pas ce qui adviendra de ces immeubles après de longues années de fermeture et de manque d'entretien. On n'a pas encore de précision de l'impact, sur le plan commercial, de ces déplacements.

Les magasins qui choisissent de rester au « Bord-de-mer » sont obligés d'augmenter leur effectif de sécurité. Ils sont noyés sous le flot houleux du commerce informel. Tant et si bien qu'il est difficile de reconnaître leur porte d'entrée. Elle est partout obstruée par des vendeuses de chaises en plastique et autres « machan manje kwit ».

CHAMP DE MARS : ESPACE DE CULTURE

Les espaces qui sont encore protégés sont rares. Le Champ de Mars par exemple. Il subit aussi les assauts de ce que nos confrères appellent « le palais des poulets ». Chaque administration communale tente d'y apporter une solution. Cette dernière n'est pas toujours définitive en raison de manque de fonds pour maintenir la permanence d'un service de police municipale.

C'est pourtant le Champ de Mars qui conserve jalousement des espaces où le citadin accablé et en quête d'ombre peut encore se reposer et respirer. Des places publiques ont été restaurées. Le Champ de Mars dispose d'une bonne couverture verte. Un ensemble architectural adapté à la concentration urbaine, avec plus d'adoquin que de gazon, offre de très bonnes vues. L'activation depuis quelques semaines des jets d'eau donne de l'attrait à la Place des Héros de l'Indépendance qui ne manque pas de fleurs. Le Champ de Mars, toutefois, souffre d'une histoire contemporaine de violence. Ce qui ne favorise pas une fréquentation de l'espace à toutes les classes sociales. Le Champ de Mars est aussi devenu un haut lieu d'animation artistique et de foire. A certains spectacles, divers secteurs sociaux s'y rassemblent pour oublier les vieux compartimentages.

Dans une capitale qui fête ses 258 ans, on constate que le maire de la ville ne s'est pas installé en ses bureaux à la mairie à la Rue du Quai pour des raisons d'inconfort de l'immeuble. Dire que toute la fête de la capitale devrait partir de la mairie ? La nouvelle mairie se trouve désormais, en attendant d'éventuelles restaurations de l'ancien immeuble, dans un nouveau local sis à l'angle de la rue Dalencourt et de la route du Canapé-Vert.

Dans un encart publicitaire diffusé à l'occasion du 258e anniversaire de la capitale, la nouvelle administration communale souligne que plus de deux siècles « après la fondation de la ville de Port-au-Prince, force est de reconnaître que le déséquilibre entre l'histoire et l'état de la ville est dérangeant. »

Elle invite en conséquence les Port-au-Princiens à mieux comprendre et à débattre de leur espace de vie du 14 au 21 juin en même temps qu'à découvrir la production artistique et artisanale de la ville, témoignage d'une vitalité en dépit du grand désordre général constaté. La mairie aurait intérêt à mieux développer des relations avec des secteurs culturels privés qui ont des projets porteurs. A l'occasion de cet anniversaire de la ville, des mairies d'autres villes pourraient être contactées pour jumeler des projets culturels de portée internationale.

La nouvelle administration communale place la « fête de la ville » dans un contexte « où le pays a besoin de consolider ses acquis démocratiques...Il est impératif pour la nouvelle administration communale d'initier une autre conception de la ville pour que Port-au-Prince puisse faire la transition d'une ville éclatée, déstructurée à une ville organisée et capable d'intégrer ».

Il y a des spécialistes qui pensent au déplacement de la capitale. Mais d'autres plus modérés parlent de sa réhabilitation totale. Quelle option ? Quels coûts ? Quel choix pour 50 ans plus tard ?

Qui a dit : « Apre fèt tanbou lou » ? Le nouveau maire de la capitale pourra-t-il démentir ce vieil adage ?

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