Haiti : Quelle importance Jean Dominique ?
mardi 3 avril 2007
Par Michèle Montas-Dominique et Jan J. Dominique
Soumis à AlterPresse le 3 avril 2007
Ce texte a été publié le 3 avril 2006. A part quelques changements de dates, les exigences de justice de la famille du journaliste assassiné sont restées vaines. De lettre ouverte en lettre ouverte, rien n’a changé pour la famille de Jean Dominique. Les inculpés d’hier circulent librement, certains évadés de prison dirigent des gangs armés et la chape d’impunité sur ce dossier, devenue emblématique à travers le monde, continue de s’alourdir.
Il y a maintenant sept ans, le 3 avril 2000, le journaliste Jean Léopold Dominique était assassiné dans la cour de sa station, Radio Haïti. Cela fait sept ans que nous continuons en vain d’exiger justice pour ce militant de la parole libre. Aujourd’hui, ses assassins, ceux de Jean Claude Louissaint et ceux de Maxime Seide, assassiné deux ans plus tard pour faire taire nos revendications de justice, circulent librement. Une fois écartée la voix combien gênante de Radio Haïti, le dossier judiciaire des assassinats du 3 avril est bloqué depuis quatre ans, dans une conspiration du silence, et de l’impunité.
L’instruction, reprise par quatre juges différents, a duré 2 ans et 10 mois. Elle a été houleuse et sanglante. Des suspects sont morts en prison dans des circonstances non élucidées. Des témoins ont été sommairement exécutés. Un juge d’instruction, menacé, a dû s’exiler. Presque toutes les institutions de l’Etat ont fait obstacle à cette enquête : mandats d’arrêt non exécutés par la police, opposition du Sénat à la levée de l’immunité parlementaire d’un sénateur, menaces publiques contre un juge d’instruction par des policiers, refus temporaire en 2002 du chef de l’état de renouveler le mandat du juge d’instruction en charge du dossier.
Après une intervention à peine déguisée du Ministre de la justice d’alors, l’enquête judiciaire s’est théoriquement conclue le 21 mars 2003, exactement un mois après que Radio Haïti ait été forcée d’éteindre ses émetteurs suite à une tentative d’assassinat sur la compagne de Jean Dominique, rédactrice en chef de Radio Haïti, Michèle Montas, suite à un meurtre, celui de Maxime Seide, un jeune agent de sécurité de Radio Haïti et suite à de nombreuses menaces sur nos journalistes. Bien que l’instruction, de mai 2000 à janvier 2002 a été marquée par l’audition de dizaines de témoins et une vingtaine d’inculpations, le juge d’instruction Bernard St Vil publiait, avec son ordonnance de renvoi, la liste de six personnes inculpées pour la mort du journaliste. Aucun commanditaire n’était désigné.
Le 3 avril 2003, la famille du journaliste fait appel des conclusions de l’enquête. Le 4 août 2003, la cour d’appel de Port-au-Prince demande le lancement d’une nouvelle instruction et la libération de trois des six inculpés. Les trois autres présentent un recours devant la Cour de cassation, suspendant de fait la poursuite du dossier. Entre temps, ces accusés qui s’étaient adressé à la Cour, Jeudy Jean Daniel, Dimsey Milien et Markenton Philippe, se sont évadés de prison.
Le 14 mars 2004, la police exécutait deux des mandats émis d’ailleurs par le juge St Vil, en arrêtant un ancien maire adjoint de Port au Prince, Harold Sévère inculpé le 28 janvier 2003, et Roustide Pétion, alias Douze, pour leur implication présumée dans les assassinats du 3 avril.
La Cour de Cassation rejette le 29 juin 2004, le « pourvoi des sieurs Dymsley Millien dit Tilou, Jean Daniel Jeudi dit Guimy et Markington Phillipe contre l’arrêt ordonnance de la Cour d’Appel de Port-au-Prince ». La Cour de cassation confirme ainsi le verdict de la Cour d’appel qu’un nouveau juge d’instruction soit désigné pour trouver les commanditaires du crime.
le 3 avril 2005, soit cinq ans jour pour jour après les assassinats du 3 avril, le cas est remis à un nouveau juge d’instruction. Aujourd’hui, deux ans plus tard, l’instruction est encore en suspens.
Sept ans après les assassinat du 3 avril, quelle importance Jean Dominique ?
Anesthésiés par la succession de victimes, dans un climat d’impunité tenace et de banalisation du crime, certains nous demanderont pourquoi s’obstiner alors que tant de forces semblent vouloir diriger ce cas embarrassant, parce que le plus médiatisé de notre histoire récente, vers les oubliettes de “l’enquête se poursuit”. L’heure n’est elle pas à la réconciliation, au partenariat économique ? Quelle importance la justice ? Après tout, ne tenons nous pas, depuis plusieurs années, les états généraux de la corruption, de la violence et de l’impunité dans une société qui a fait de l’oubli, un instrument de survie.
En dépit d’une agitation politique périodique sur des dossiers de corruption, après Duvalier, après le coup d’état ou après Aristide, la nation finalement ne demande jamais de compte. Les kidnappeurs sont libérés aussi rapidement qu’ils sont arrêtés. Les assassins aussi. Lorsqu’un dossier judiciaire comme celui de Raboteau, étayés par une recherche de preuves sans précédent dans les annales de notre justice, est renversé pour vice de forme, sans protestations de notre société dite civile, on peut compter, sur les doigts d’une main, les punitions légales qui ne sont pas effacées par l’éternelle justice des vainqueurs.
Cette impunité colle à notre quotidien, à la diffamation qui a libre cours sur nos medias, ou aux immondices jetés sur la chaussée. Un ami nous relate le cas d’une marchande à qui un automobiliste demande de bouger son étalage installé en pleine Rue du Centre et qui se voit répondre « pouki m’ta fè sa, pa gen leta ». Aucun contrevenant à la loi n’étant puni, qu’il s’agisse d’infractions mineures, de kidnappings ou de meurtres, l’impunité tenace nous mène à cette anarchie au quotidien, mais nous fermons les yeux, complices ou coupables.
Quelle importance Jean Dominique ?
Une fois pris le choix délibéré de l’impunité dans les dossiers des assassinats des « quatre Jean », Jean Marie Vincent, Jean Pierre Louis, Jean Lamy et Jean Dominique, ne devions nous pas nous attendre au meurtre orchestré de Brignol Lindor, ou à l’assassinat commandité du député Marc André Dirogène ou aux tortures infligées à notre poète journaliste Jacques Roche ? Pouvions nous nous étonner de cette dangereuse spirale d’agressions brutales qui a endeuillé et meurtri chacun d’entre nous ? En écartant l’exigence de justice comme dérangeante, ne sommes nous pas collectivement coupables de meurtre et de corruption ? Ne sommes nous pas dangereusement complices par notre silence éhonté ?
Quelle importance Jean Dominique ?
On nous dira sans doute qu’exiger aujourd’hui justice pour Jean Dominique ou pour d’autres, n’est pas politiquement correct, car cela risque de secouer cet équilibre fragile et factice, sur lequel certains mettent périodiquement l’étiquette de réconciliation.
Pourquoi aujourd’hui insister pour que justice soit rendue à Jean Dominique ?
La réponse nous vient de ceux qui sont victimes au quotidien des abus de pouvoir de petits chefs, de l’exclusion, de la marginalisation et des dénis de justice. La réponse nous vient de ceux qui en masse ont célébré un certain 7 février la chute d’une dictature et voté un autre 7 février pour la fin de l’insécurité, sachant parfaitement que ce monstre a été nourri à la mamelle de l’impunité et de l’injustice. La réponse nous vient de ceux qui se battent depuis 30 ans contre l’état prévaricateur et corrupteur, ceux qui veulent mettre fin aux jeux destructeurs de pouvoir et d’argent, ceux qui tentent encore de « changer la vie ».
Les autres, qui n’ont ni le courage, ni la lucidité de comprendre que l’impunité ne peut plus faire les frais de tergiversations, de jeux de pouvoir et d’argent, d’expédients politiques et judiciaires, de “kase fèy kouvri sa” seront les prochaines victimes, comme le seront l’état de droit et la démocratie que nous prétendons instaurer. New York, Montreal, le 3 avril 2007.
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mercredi 4 avril 2007
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire