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lundi 10 août 2015

Christophe Wargny: Haïti «souffre d'un excès d'exécutif»

Les Haitiens peuvent voter depuis ce dimanche 9 août, à midi, pour élire sénateurs et députés. Les élections qui se sont ouvertes aujourd'hui sont attendues depuis 4 ans, date d'arrivée au pouvoir du président Martelly. Ce scrutin est la premiere étape d'un processus électoral qui doit permettre d'élire, d'ici la fin de l'année, des maires et un nouveau président du pays. Christophe Wargny est historien, maître de conférences au Conservatoire national des Arts et Métiers (CNAM) et ancien conseiller de l'ex-président haïtien Jean-Bertrand Aristide. Au micro de Gaëtan Goron, il revient sur la situation compliquée de ce pays qui fait face à des défis multiples. Ce scrutin est la première étape d’un processus électoral qui doit permettre d’élire d’ici la fin de l’année des maires et un nouveau président du pays. Toutes ces élections représentent-elles un espoir pour Haïti ?
Christophe Wargny : Il faut d’abord penser aux élections qui n’ont pas eu lieu, puisque ces élections qui ont lieu aujourd’hui auraient dû avoir lieu, les unes, il y a quelques mois, les autres, il y a quelques années, et que le président Martelly a fait beaucoup d’efforts pour ne pas envoyer des électeurs aux urnes. Et je ne crois pas que ça représente pour le peuple haïtien un véritable espoir. Ça peut en représenter un pour une opposition qui est multiple et clairsemée, mais je crois que le peuple haïtien est comme fatigué d’élections qui n’aboutissent jamais à un changement.
Y'a -t-il une fracture aujourd’hui nette entre le peuple et les élites du pays et le monde politique ?
Oui. Absolument, il y a une fracture entre un monde politique qui est une espèce de caste assez fermée et puis d’autre part une vie associative qui est assez riche, avec des mouvements féministes, coopératifs, pour la gestion de l’eau, altermondialistes, etc. qui représente la société, qui ont une indiscutable vigueur, mais dont les élites sont tout à fait déconnectées, qu’il s’agisse des élites haïtiennes ou des élites internationales qui se penchent au chevet d’Haïti depuis trente ans, depuis la fin de la dictature des Duvalier. La fin du régime des Duvalier, c’était il y a 29 ans (François Duvalier dit « Papa Doc » de 1957 à 1971 et Jean-Claude Duvalier dit « Baby Doc » de 1971 à 1986).
Il y a eu de l’aide internationale après cette fin de dictature, après aussi les cyclones, d'il y 7 ans, le séisme d’il y a 5 ans. Quel bilan peut-on faire aujourd’hui de toutes ces mesures internationales sur place ?
Il serait intéressant que l’international fasse ce type de bilan. Quand les entreprises ou les services publics font constamment des audits sur la qualité de leur action et l’emploi des fonds, je pense pour 28 ou 29 ans de coopérations multiples, qu’elles soient d’urgence ou de développement, ça serait bien de faire un bilan. Et si on le faisait, les apparences montrent qu’il est absolument catastrophique puisque Haïti est l’un des très rares pays dont le PIB par habitant a diminué en 30 ans.
C’est le pays d’ailleurs le plus pauvre de cette région. Outre cette pauvreté, outre la fracture que vous avez évoquée entre le peuple et le monde politique et ces élites-là, quels sont les autres maux de ce pays ? La corruption ? Le clientélisme ?
La politique ne fonctionne que sur le clientélisme et sur la corruption. Le pays souffre aussi d’un excès d’exécutif. La Constitution haïtienne ne prévoit pas que le président ait quasi tous les pouvoirs et soit une espèce de monarque, ce qui est catastrophique quand le monarque est un ex-amuseur, mais qui n’amuse plus beaucoup en politique. Donc la difficulté d’Haïti, c’est d’avoir un régime équilibré comme le prévoit sa Constitution. Et surtout que Haïti ne soit pas simplement la République de Port-au-Prince, mais que les provinces puissent se développer. Or il y a une absence totale de décentralisation, de déconcentration, et les élus locaux qu’on doit renouveler n’ont aucun pouvoir, aucune taxe propre à leur commune, aucun moyen. C’est vrai que tout le monde est d’accord sur la décentralisation, mais personne ne l’a commencée.
Ça fait plus de 200 ans que Haïti est un pays indépendant. Quel regard portez-vous - celui de l’historien - sur la période actuelle ? Est-elle l’une des pires de l’histoire de ce pays ?
Je ne pense pas que ce soit l’une des pires périodes, sauf sans doute que les handicaps ont des effets cumulatifs. Haïti était indiscutablement un pays très pauvre, mais il est devenu au fil des ans le jouet des grandes puissances. Ça a d’abord été l’Europe bien sûr, puis ensuite les Etats-Unis et ensuite, il bénéficie, ou il est tributaire, d’une démographie absolument catastrophique. On a en Haïti l’une des densités les plus fortes du monde. Elle est supérieure à celle d’un pays très organisé comme les Pays-Bas.
Il y a peu près de 11 millions d’habitants pour 27 000 km².
Le pays doit faire depuis plusieurs années un recensement qu’il reporte régulièrement. Il ne survit finalement que grâce à une diaspora nombreuse et solidaire, installée surtout à Miami, à New York, à Montréal ou en République dominicaine, voire en France. Mais, en fait, c’est une économie strictement informelle à l’intérieur et de survie des ménages grâce à l’aide de la diaspora et aussi à l’aide des ONG. C'est une espèce de pays sous perfusion et dont on ne voit pas comment où quand arrêter la perfusion.
Vous ne voyez aucun signe positif ces cinq dernières années en Haïti qui peut faire espérer un avenir prospère pour ce pays ?
Il y a quelques signes positifs qui datent de la fin de la dictature et qui ont perduré depuis. D’abord on a une presse abondante, assez libre, même si l’actuel président Martelly n’aime pas du tout les journalistes. Ça, c’est un premier avantage et ça, ça dure indiscutablement et c’est même formateur pour les gens. Deuxième élément favorable : il y a un tissu associatif très riche, mais qui est assez coupé ou une société civile qui est en mouvement, mais dont le politique ne tient pas compte. Donc, il y a là des éléments intéressants. Puis s’ajouterait un ultime élément : Haïti a souffert d’un enclavement terrible depuis deux siècles et les nouveaux moyens de communication contribuent à l’ouvrir un petit peu sur le monde. Mais alors que l’Amérique latine bouge par plein d’aspects et sous des modes divers, Haïti malheureusement ne bouge pas même si les connexions devraient être plus faciles.
Si vous devez définir aujourd’hui une priorité pour ce pays ?
La priorité, c’est indiscutablement l’éducation. Si aujourd’hui les sectes religieuses les plus obscurantistes et les pouvoirs les plus corrompus arrivent à se développer, c’est le manque de formation, le manque d’éducation. Il faut que les gens aillent à l’école et que l’école les aide à devenir des citoyens. C’est absolument la priorité des priorités.
http://www.rfi.fr/emission/20150809-christophe-wargny-election-haiti-martelly

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