le 7 février 2012 6H49 par les-8-plumes
Quoi de plus paradisiaque qu’une île ? La seule évocation du mot suffit à nous faire rêver. Prononcez-le les yeux fermés, et c’est le doux et frais baiser des vagues de l’océan qui, pétillant à la surface de votre mémoire comme des bulles de champagne au bord des lèvres, vous reviendra à l’esprit en une image représentant vos pieds baignant dans l’onde claire et en une sensation de reconnaissance à l’égard de l’eau qui vous délivre du baiser brûlant des sables de la plage.
Ce qui nous vient à l’esprit, un fois le mot prononcé, image d’Epinal oblige, c’est une plage de sable blanc que borde une ceinture luxuriante et souriante de palmiers dont les troncs semblent moulés sur le modèle d’un hamac, comme s’il revenait au bois le devoir de contrebalancer par cette forme arrondie la rugosité de sa matière et de faire que les contours de l’arbre épousent paisiblement et comme naturellement ceux de notre corps.
Mais il n’y a que dans les contes que les choses restent en l’état et qu’une nature immaculée soit un écrin de sérénité, un jardin pour les hommes où leur histoire sans histoires se trouve pour toujours placée sous le signe du bonheur.
En vérité, tout endroit a son envers et toute médaille son revers.Il suffit de quelques secondes pour que tout bascule, pour que le décor paradisiaque s’écroule et, comme le ferait un décor de théâtre aux panneaux mal fixés, laisse place à une scène dévastée, à un univers de décombres où peut se lire seulement dans les yeux horrifiés des quelques survivants toute l’incompréhension du passage de la douce comédie à laquelle ils étaient conviés à la tragédie dont ils ne reviendront jamais vraiment.
Le livre de Lionel-Edouard Martin est le récit de ces quelques secondes où la terre d’Haïti trembla si fort qu’elle enterra d’un seul coup, avalant les hommes comme Saturne ses enfants, plus de deux cent mille vies. L’auteur ne se contente pas de relater, durant les cent trente pages de son récit, les émotions qui furent les siennes lors du « tremblement », d’une part parce que la seule pensée, ou plutôt (mais c’est une même chose), le seul mot qui vint à l’esprit de cet écrivain, fort talentueux au demeurant et maniant la langue française avec une rare habileté, est un juron, d’autre part parce que nous apprenons avec lui que l’on ne cesse de « trembler » que lorsque l’on a quitté et clairement distancé la terre sinistrée. Le tremblement, pour l’auteur en l’occurrence, aura duré trois jours.
Ce livre est donc le récit des trois jours qui suivirent le tremblement de terre qui secoua Haïti et, par contrecoup et par réplique empathique, le monde entier le 12 janvier 2010 à 16 h 52.Je n’avais jamais lu auparavant de livre de cet auteur, mais j’avais été proprement séduit par la poésie de sa prose et la richesse de son écriture en lisant seulement quelques extraits de ses ouvrages et quelques passages postés sur des sites littéraires ou sur le site de l’auteur lui-même.
Aussi, je voulais savoir comment le tremblement de terre avait, plus que l’homme lui-même (s’il nous est permis de faire cette distinction que je sais par avance ne pas pouvoir tenir jusqu’au bout), affecté l’écrivain et, partant, l’écriture.
Comme je le présupposais, tout se passe comme si le tremblement avait tant secoué l’écriture que, sans avoir déraciné l’arbre poétique, il avait effeuillé toutes ces circonvolutions et digressions stylistiques qui font toute la richesse et la splendeur de la littérature en temps normal et dont il convenait, là, en ces temps de détresse, de se dépouiller pour que le récit puisse en son authenticité se déployer en un requiem silencieux, ce chant funèbre que l’auteur sait devoir chanter en empruntant la voix muette de l’écriture.
Lisez sans retenue ce texte émouvant qui, sans jamais verser dans le pathétique, vous fera, je l’espère, trembler comme une feuille mais seulement parce qu’il vous aura, par la magie d’une écriture sincère et humble et belle, enraciné dans cette histoire, vous épargnant de vivre le réel de la catastrophe pour mieux vous faire ressentir le trauma sans pareil que la terre inflige aux hommes lorsque le sol, sur lequel mouvement et repos prennent sens, se met à bouger, que tout tremble et que vivants et morts, animés et inanimés, pour quelques secondes seulement, bougent ensemble et dansent dans le chaos.
Hervé Bonnet
Lionel-Edouard Martin, Le Tremblement, éd. Arléa, 12 euros.
Ps : Au moment où je lisais ce livre, je commençais aussi à entamer un texte de Husserl étrangement intitulé « Le terre ne se meut pas »…je vous laisse apprécier la contradiction des deux titres…Sans doute une des manifestations littéraires ou littérales de ce que l’on appelle « l’ironie du sort »…
http://blogs.lexpress.fr/les-8-plumes/2012/02/07/lionel-edouard-martin-%C2%AB-le-tremblement-%C2%BB-haiti-lorsque-l%E2%80%99envers-du-decor-est-l%E2%80%99endroit-des-decombres/
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mardi 7 février 2012
Lionel-Edouard Martin « Le Tremblement » : Haïti : lorsque l’envers du décor est l’endroit des décombres
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