"Ai-je fait un bel usage de ma présence au monde ?"
Par Béatrice ARVET • Correspondante La Semaine • 17/12/2011 à 14h28
En opposant une société utopique à l'individualisme des villes contemporaines, l'écrivain haïtien pose la question de la présence au monde et de l'usage que l'on en fait. Une interrogation qui mêle poésie et colère dans une prose sans concession.
À Anse-à-Fôleur, la vie ne bat pas au même rythme qu'ailleurs. Sept heures séparent la capitale haïtienne de ce village côtier, le temps nécessaire pour appréhender l'existence d'une autre manière, sans hiérarchie et sans conflit, pour passer du vacarme au chuchotement, de la grimace au sourire, de l'avidité à la générosité du cœur.
Les habitants de cette société imaginaire partagent le dénuement comme les ressources et s'appliquent à ne jamais rien prendre à son prochain pour survivre.
Outre des lois originales tournées vers la solidarité et la fraternité, ils ont inventé "l'aide bonheur" et un cadeau de départ qui rend la mort plus douce.
L'arrivée de l'implacable colonel Pierre André Pierre et de son inséparable ami, l'homme d'affaires et maître chanteur Robert Montès, aussi décidés l'un que l'autre, à imposer leur arrogance et leur impunité, ont singulièrement perturbé ce paysage exempt de cruauté et de sournoiserie.
Et lorsque leurs prétentieuses maisons jumelles ont brûlé en même temps que les deux occupants, épargnant étrangement la femme et le fils de l'homme d'affaires, personne ne s'est posé de questions et aucun coupable n'a pu être désigné. Vingt ans plus tard, sa petite-fille, née dans un pays étranger réapparaît pour tenter de comprendre cette énigme.
Inspirée par le réalisme magique "créolisé" par Jacques Stephen Alexis, cette fable rend hommage à l'écrivain haïtien assassiné par la dictature de Duvalier en 1961. Au délabrement social et moral de son pays, Lyonel Trouillot oppose des mots et une utopie pour dire qu'il ne faudrait pas grand-chose pour changer le monde. Juste un peu plus de bonté et d'attention à l'autre ? Un peu moins d'opportuniste et d'individualisme ?
Deux points de vue se succèdent et se répondent, celui de Thomas, guide touristique et bavard impénitent, ainsi que celui d'Anaïse, continentale qui découvre le pays de son père parti au lendemain de l'incendie et mort quand elle était toute jeune.
En initiant la jeune femme, Thomas dénonce les clivages particulièrement sensibles à Haïti entre les riches et les pauvres, les Noirs et les mulâtres. Il pointe l'avidité de ceux qui dépouillent les plus démunis, les prédateurs en tout genre, les nantis comme les touristes bardés de préjugés et l'inégalité intellectuelle qui ravage les bidonvilles.
Révolté par cet emploi néfaste de l'inépuisable ressource humaine, Lyonel Trouillot "plante le rêve" d'une société bienveillante qui engloberait toutes les individualités et les communautés, sans exacerber les rivalités, une collectivité accueillante où l'on répondrait par "des phrases enroulées comme des vagues" à ceux qui réclament trop de rationalité.
Et c'est là peut-être la limite de ce beau mythe poétique, l'idée d'accepter le mystère de certains événements et en cela, d'en refuser les responsabilités.
http://www.lasemaine.fr/2011/12/08/la-belle-amour-humaine-de-lyonel-trouillot
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
dimanche 18 décembre 2011
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire