Jérôme Larché 14/12/2010
Pour le médecin Jérôme Larché, les enjeux géopolitiques liés à la propagation du choléra en Haïti sont tout aussi importants que les risques sanitaires encourus par la population.
A l’heure où l’on décompte aujourd’hui en Haïti plus de 2.100 morts et près de 140.000 personnes atteintes par le choléra, les conclusions du Pr. Piarroux, corroborées par une étude américaine récente parue dans le New England Journal of Medicine, mettent en évidence l’origine asiatique de la souche de choléra responsable de cette épidémie.
Officiellement débutée dans le département de l’Aribonite, elle atteint aujourd’hui l’ensemble du pays et l’Organisation Mondiale de la Santé estime qu’elle devrait provoquer au moins 400.000 cas dans les trois prochains mois. Au-delà des difficultés logistiques et organisationnelles de cette prise en charge par les autorités sanitaires haïtiennes et les ONG médicales présentes en Haïti, ce nouvel éclairage vient pointer la responsabilité potentielle, bien qu’accidentelle, des soldats de la MINUSTAH, et notamment ceux d’origine népalaise.
Epidémie de choléra à Katmandou
En effet, le séquençage génétique des souches de vibrion cholérique de patients haïtiens montrent des relations étroites avec les souches de type El Tor O1, isolées au Bangladesh lors des épidémies de 2002 et 2008. De plus, comme l’indique Renaud Piarroux dans son rapport, une épidémie de choléra sévissait à Katmandou (Népal) à l'époque où sont arrivés les contingents népalais du bataillon de la MINUSTAH.
Si le gouvernement français ne veut, pour l’instant, pas se prononcer sur les conclusions de celui qu’elle avait mandaté pour faire la lumière sur l’origine de cette grave épidémie, c’est parce qu’il a saisi les évidentes implications géopolitiques qui allaient en découler. Celles-ci risquent en effet de se montrer aussi dévastatrices que l’épidémie elle-même, pas pour les haïtiens mais pour les Nations Unies et la communauté internationale.
Des promesses, toujours pas concrétisées
Dans un contexte politique électoral tendu, associé à une situation humanitaire critique pour de nombreuses personnes, les promesses de dons des principales puissances économiques restent, pour l’instant… des promesses. En effet, malgré l’appel de 174 millions de dollars lancé par le secrétaire Général des Nations Unies le mois dernier pour mettre en place une réponse effective de lutte contre l’épidémie de choléra, seuls 20% ont été à ce jour financés. Le travail de prise en charge médicale et de sensibilisation, notamment auprès des populations déplacées, mené par les ONG - comme Médecins du Monde ou Médecins sans frontières - et les mouvements de la Croix-Rouge ne saurait suffire à contenir le phénomène dont le risque à moyen terme est l’évolution vers l’installation durable d’une endémie de choléra dans un pays qui est déjà l’un des plus pauvres au monde.
La responsabilité de l’origine épidémique pointant vers les pays d’Asie du Sud, combinée à la passivité d’une communauté internationale, notamment occidentale, peut se révéler un détonateur social et politique extrêmement préoccupant. Comme pour le tremblement de terre qui a fait près de 200.000 morts, cette épidémie de choléra se déroule sur un terrain de grande précarité socio-sanitaire, dans un pays où 80% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour et où le taux de mortalité infantile, de 60/1000 naissances, est un des plus élevé au monde. Comme l’a très justement souligné le chercheur allemand, Harald Welzer, "les catastrophes sociales mettent à nu les coulisses de la société et en révèlent les fonctionnements et dysfonctionnements cachés ; elles ouvrent des fenêtres sur la vie souterraine des sociétés […]. Elles font ressortir, en matière d’espérance de vie et de survie, les inégalités normalement amorties par les institutions […]".
Aubaine pour les sociétés militaires privées?
Plus que jamais, Haïti semble désormais incarner le double discours des grandes puissances face aux situations catastrophiques, qu’elles ont parfois provoqué ou tout au moins laissé perdurer. Le discours politique d’affichage, vocal et ambitieux, et celui de l’action, en retrait et sous-financé. Cela, les populations le comprennent et le tolèrent de moins en moins. Il est donc à prévoir que la perception par les Haïtiens de ces puissances économiques, comme des organisations gouvernementales ou non gouvernementales qui y sont associées, devienne de plus en plus négative et que cela engendre des enjeux de sécurité ayant pour conséquence ultime un accès de plus en plus difficile à ces populations aux besoins humanitaires, économiques et sociaux majeurs.
Dans un monde d’interdépendance, globalisé et où l’information se transmet de façon instantanée, il est fort à parier que cet "accident" onusien en Haïti soit le prétexte d’un refus de certains pays au déploiement de casques bleus, voire d’ONG humanitaires, arguant que même le principe de primum non nocere n’est plus respecté.
Il va constituer également un "effet d’aubaine" pour les lobbys de sociétés militaires privés qui, depuis des années, assènent qu’elles seraient en mesure de remplacer plus efficacement les forces de maintien de la paix des Nations Unies sur les terrains de conflits et de post-conflits. La communauté internationale doit donc arrêter la politique de l’autruche en Haïti, assumer ses responsabilités et ses erreurs, impliquer et financer bien plus fortement qu’elle ne le fait aujourd’hui les ONG locales haïtiennes, afin de ne pas laisser le champ libre à une perception négative irréversible qui, à terme, serait au détriment de la population haïtienne et qui ternirait de façon conséquente l’image des Nations Unies, en Haïti mais aussi sur bien d’autres terrains.
Au-delà de ses conséquences sanitaires majeures, cette épidémie de choléra risque donc d’être le déclencheur d’un nouveau séisme d’ordre géopolitique, dont on connait aujourd’hui l’épicentre mais dont, ni l’intensité ni les répliques, ne sont prévisibles.
http://www.youphil.com/fr/article/03249-haiti-ou-la-geopolitique-du-cholera?ypcli=ano
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mardi 14 décembre 2010
Haïti ou la géopolitique du choléra
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