Nathalie Petrowski, La Presse
Publié le 12 juin 2010 .-
Invitée du FTA pour l'événement Une journée pour Haïti qui aura lieu aujourd'hui à l'Usine C, Magali Comeau Denis est une femme passionnée qui s'enflamme dès qu'il est question de ce pays où elle est née et où elle a toujours vécu, refusant même d'aller étudier aux États-Unis comme ses huit frères et ses soeurs.
Je veux faire de Haïti le premier pays Wi-Fi au monde, a annoncé Bill Clinton. Quand Magali Comeau Denis l'a entendu, elle a souri: un sourire narquois où la lassitude se retenait pour ne pas verser dans l'amertume. «Le Wi-Fi, c'est bien, mais disons qu'il y a des choses plus urgentes comme la faim, les écoles fermées, les débris et un million de personnes vivant dans des tentes qui ne résisteront pas à la saison des pluies. Pouvez-vous me dire quelle est l'adéquation entre cette promesse de WiFi et la capacité de transformer la condition des gens? J'aimerais bien qu'on me l'explique», lance Magali Comeau Denis, sur une terrasse de la rue Laurier.
Comédienne de théâtre dans un pays où tous les théâtres ont fermé, Magali est aussi une militante politique influente et a siégé à titre de ministre de la Culture de 2004 à 2006 dans le gouvernement intérimaire du président Latortue. Le jour du séisme, elle était en réunion avec la ministre de la Culture Marie-Laurence Jocelyn-Lassegue, dont elle est la conseillère spéciale. La ministre venait de prendre un appel dans une autre pièce et Magali dirigeait les travaux avec son cabinet quand la terre a tremblé et que tout s'est effondré. Elle ne se souvient de rien, sinon qu'elle tentait désespérément de pousser une porte avec ses pieds pendant qu'à quelques mètres d'elle, le jeune chef de cabinet de la ministre gisait, mort.
Mais Magali répugne à parler d'elle-même, sans doute parce qu'elle a eu la chance que des millions d'Haïtiens n'ont pas eue. Sa maison a tenu le coup et elle n'a perdu aucun de ses quatre enfants ni aucun de ses proches.
En février dernier, en recevant la lettre de la directrice du FTA, Marie-Hélène Falcon, l'invitant à participer avec Pol Pelletier et Christiane Pasquier à une journée de théâtre et de solidarité pour Haïti à Montréal, elle n'a pas hésité. «J'ai dit oui tout de suite parce que je savais qu'en juin, les gens auraient commencé à nous oublier. Nous avons trop l'habitude des coups de coeur éphémères et cette fois-ci, nous avons plus que jamais besoin d'amitiés profondes et durables.»
Magali n'a pas joué au théâtre depuis deux ans. Il y a deux ans, elle devait d'ailleurs venir à Montréal jouer un des trois monologues du spectacle Amour, colère et folie d'après le roman de l'écrivaine haïtienne Marie Vieux-Chauvet. Pour des raisons financières, la tournée est tombée à l'eau. Magali est retournée en Haïti et en désespoir de cause, elle a organisé dans son village natal, une lecture publique d'Amour, colère et folie.
Ce fut la première et la dernière fois que les Haïtiens ont pu entendre résonner les mots d'une écrivaine réduite au silence par le régime Duvalier. Marie Vieux-Chauvet a écrit le roman dans les années 60 avant d'être publiée chez Gallimard grâce à Simone de Beauvoir. Mais la famille de Chauvet a pris peur et est intervenue auprès de l'éditeur pour racheter tout le stock du livre et en interdire la vente.
Quelques rares exemplaires du roman ont continué à circuler sous le manteau. «Ce livre est devenu une légende, mais sa légende l'a écrasé et en a fait un livre politique alors que c'est avant tout une oeuvre littéraire et iconoclaste, explique Magali. Pour Marie Vieux-Chauvet, la libération passe autant par l'esprit que par le corps. Elle parle de masturbation et des cartes postales pornographiques qu'elle garde cachées sous son lit et elle dénonce aussi bien la dictature que la bourgeoisie qui négocie avec elle.»
Cinq mois jour pour jour après le séisme qui a dévasté Haïti, les mots de Marie et la voix de Magali résonneront à Montréal, preuve éclatante que même si la reconstruction tarde, Haïti est toujours debout.
Une journée pour Haïti, à l'Usine C, d'après le roman de Marie Vieux-Chauvet Amour, colère et folie. Avec Magali Comeau Denis (Amour, à 14h), Christiane Pasquier (Colère, à 16h30) et Pol Pelletier (Folie, à 19h30).
http://www.cyberpresse.ca/arts/spectacles-et-theatre/theatre/201006/12/01-4289414-magali-comeau-denis-haiti-mon-amour.php
Commentaires:
Un autre des multiples sujets sur le drame haïtien: la place et l'action des plus capables dans la gestion du pays. Aujourd'hui conseilère principale de la ministre de la Culture, hier elle-même ministre de la Culture, on a du mal à voir les modifications et les empreintes de ces cadres haïtiens.
Le gouvernement de transition gérée par Monsieur Latortue regorgeait d'intellectuels de renom qui aujourd'hui ne cessent de hurler, râler et pestiférer. Cependant quand ils étaient proches des affaires on les a entendus très peu. Et on n'a surtout pas senti ni leurs griffes ni leurs pattes en matières d'influence. Il faudra un jour que quelqu'un daigne définir l'amour pour Haïti!
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
dimanche 13 juin 2010
Magali Comeau Denis: Haïti, mon amour
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire