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mardi 1 juin 2010

Faute d'aide, l'université haïtienne tarde à se relever

01.06.10.- Le séisme qui a frappé Haïti le 12 janvier n'a pas seulement détruit des milliers d'habitations et fait près de 300 000 morts, il a aussi mis à bas le système scolaire et universitaire haïtien, qui tarde à se rétablir.
Pénurie d'enseignants et de manuels, bibliothèques et laboratoires sous les décombres, cours improvisés sous des tentes ou des arbres... Si rien n'est entrepris rapidement, le pays risque d'être confronté à deux autres défis : une fuite massive des cerveaux - déjà plus de 10 000 étudiants sont partis à l'étranger -, voire une déflagration sociale, comme le craignent divers observateurs sur place.
Le privé majoritaire dans l'enseignement supérieur
L'enseignement supérieur haïtien est à 80 % privé. Il compte plus de 200 établissements, dont 150 ne sont pas habilités à délivrer des diplômes. Pour palier les carences remontant à la dictature des Duvalier (1957-1986) dans le domaine de l'éducation, toute personne peut ouvrir un établissement. Par dérision, ceux qui ne servent qu'à empocher les frais de scolarité des élèves sont dits "borlette", du nom du Loto local.
Les cours proposés par la plupart des universités vont jusqu'au niveau licence, rarement jusqu'à la première année de master.
Le salaire moyen d'un enseignant d'université est de 10 000 gourdes (200 euros environ). Celui d'un fonctionnaire est de 40 000 gourdes (800 euros).
Les aides promises par la communauté internationale
Premier président français à se rendre en Haïti, Nicolas Sarkozy a promis, le 17 février, une aide de 325 millions d'euros et 700 bourses d'études (dont plus de 200 ont été attribuées). De son côté, l'Agence universitaire de la francophonie (AUF) a débloqué 150 000 euros pour le secteur de la recherche.
La République dominicaine voisine, qui accueille, le 2 juin, une réunion internationale des donateurs, doit offrir un nouveau campus à l'université d'Etat d'Haïti. La Banque interaméricaine de développement et la Banque mondiale financeront la reconstruction des écoles primaires et secondaires. Le 31 mars, à New York, les grands bailleurs ont promis une aide de 10 milliards de dollars (8 milliards d'euros) sur cinq ans.
"Nous sommes assis sur une poudrière, prévient Jean-Marie Théodat, haïtien d'origine et professeur de géographie à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, ainsi qu'à l'Ecole normale supérieure de Port-au-Prince, en Haïti. Il y a 1,3 million de personnes dans les rues, sous des tentes. Cela fait potentiellement 1,3 million de manifestants. Le peuple haïtien est très patient, mais jusqu'à quand ?"
Echec
Plus de quatre mois après le tremblement de terre, très peu a été fait pour l'enseignement supérieur haïtien. "Les grands bailleurs de fonds, comme la Banque mondiale ou la Banque interaméricaine de développement, préfèrent aider l'enseignement fondamental et des structures non étatiques", constate Jean-Vernet Henry, recteur de l'université d'Etat d'Haïti (UEH).
Aujourd'hui encore, la très grande majorité des universités du pays - qu'elles soient publiques ou privées - sont en ruines, et l'UEH, qui représente à elle seule le tiers des étudiants haïtiens (26 000 étudiants sur un total de 70 000), n'a toujours pas trouvé les fonds pour sa reconstruction. "Nous voulons relocaliser sur un seul site nos installations actuellement dispersées sur une vingtaine de campus, mais nous n'en sommes encore qu'à déblayer les ruines, se désole Jean-Vernet Henry. Il nous faudrait 180 millions de dollars (146 millions d'euros) pour reconstruire. Pour l'instant, nous n'avons reçu que 3 millions de dollars (2 millions et demi d'euros), qui nous servent juste à niveler le terrain des futures installations."
Hélas pour Haïti, les Assises internationales organisées par l'Agence universitaire de la francophonie (AUF), les 25 et 26 mai à l'université de Montréal (Canada), ont bien fait ressortir l'ampleur des dégâts, mais elles n'ont pas réussi à débloquer de montants à la hauteur des besoins. Un échec que l'absence de personnalités comme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur, et Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, pourtant invités, pouvait laisser prévoir.
Même le simple plan d'action stratégique élaboré en vue de la reconstruction du système universitaire a déçu nombre de participants aux Assises. "Ce plan n'est pas à la hauteur de nos attentes, a reconnu Frantz Casséus, directeur de cabinet du ministre haïtien de l'éducation nationale et de la formation professionnelle. Le point clé de la question de l'université en Haïti, ce sont les infrastructures, mais les Assises n'ont pas réussi à débloquer de fonds de la part des grands bailleurs."
Pour M. Casséus, la réunion de Montréal a cependant permis de dresser un tableau exhaustif des besoins et de dégager des points positifs en matière de coopération et de bourses, qui pourraient être attribuées aux étudiants en licence ou en master à l'étranger, contre l'engagement de rentrer ensuite en Haïti. Toutefois, il a rappelé le caractère d'urgence de la situation sur le terrain : "La grande masse des universités attend la reprise avec impatience. Même dans des hangars ou des bâtiments provisoires, il faut pouvoir effectuer la rentrée en octobre prochain. Sinon, les étudiants qui bénéficient de soutiens à l'étranger partiront."
De son côté, Bernard Cerquiglini, recteur de l'AUF, a reconnu que son agence "ne peut pas intervenir sur la reconstruction des infrastructures des universités haïtiennes, car elle ne dispose pas des 500 millions de dollars américains (407 millions d'euros) nécessaires selon la Fondation Clinton-Bush pour Haïti". En revanche, a-t-il précisé, "elle peut aider à repenser le système universitaire haïtien". Il a, du reste, annoncé la création d'un comité de coordination chargé de mettre en place un plan comprenant l'installation de "dix points numériques" par satellite pour développer l'enseignement à distance.
Besoins énormes
M. Cerquiglini s'est aussi félicité de la rédaction du Livre blanc Etat des lieux et perspectives d'avenir des universités haïtiennes, rédigé par Jean-Marie Théodat, chargé de mission auprès de la délégation de l'AUF en Haïti. Selon ce dernier, dont le département de cartographie a perdu 21 enseignants sur 24 lors du séisme, les besoins sont énormes : "90 % des écoles primaires et secondaires ont été détruites. Certains enseignants du privé n'ont même pas de diplôme et 10 % ne parlent pas français. 60 % des enfants en âge d'être scolarisés ne vont pas à l'école. Quant à ceux qui y vont, ils sont parfois 150 répartis dans deux classes, avec un seul manuel et un seul enseignant."
"Dans le supérieur, 80 % des enseignants n'ont qu'un master et ne pourraient pas enseigner ailleurs, poursuit-il. Leur salaire est souvent inférieur à celui d'un maçon, et la plupart doivent avoir un autre travail." Face à un tel tableau, Jean-Marie Théodat, estime qu'"Haïti a surtout besoin d'un accès à des prêts qui ne soient pas à 10 %, comme actuellement".
Pour l'universitaire, "l'Etat doit enfin prendre ses responsabilités. Hélas, il freine tout et n'existe que par ses aspects négatifs : répression, procédures kafkaïennes et malversations". "Pourtant, nous sommes condamnés à réussir, martèle le recteur Jean-Vernet Henry. Les gens n'ont pas l'argent pour aller dans des universités privées."
Marc Dupuis

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