Vincent Marissal, envoyé spécial,
La Presse
(Port-au-Prince) Le projet est colossal: créer de toutes pièces une zone franche en plein coeur de Cité-Soleil où 25 000 personnes travailleront, notamment dans des usines de textile.
Cette idée était en train de prendre forme avant le 12 janvier, physiquement, avec l'érection d'un premier module de 120 000 pieds carrés. La structure n'a toutefois pas résisté aux secousses dévastatrices et il faut maintenant tout recommencer.
Recommencer avec de nouvelles normes de construction en adoptant le code antisismique californien.
Résultat: des délais pour le démarrage des entreprises et, surtout, des coûts de construction supérieurs de 30%!
«Nous n'avons pas le choix», explique le promoteur de la zone franche, Grégory Mevs, membre d'une des plus riches familles d'Haïti, arrivée d'Allemagne au XIXe siècle. Si on n'adopte pas ces nouvelles normes de construction, les financiers et les assureurs ne suivront pas. Et puis, on se doit de donner un endroit sûr aux travailleurs.»
M. Mevs a reçu La Presse dans une des vieilles maisons en bois presque centenaires du parc industriel de Port-au-Prince. Ces maisons sont intactes, pas une fissure, alors que les bureaux en ville et plusieurs entrepôts autour se sont effondrés.
Jusqu'en 1991, la famille Mevs exportait 40 000 paires de souliers par jour. Elle exportait aussi du sucre, des articles de sport, comme des balles de baseball.
Et puis est tombé l'embargo décidé par George Bush père. Une catastrophe.
«À ce moment-là, en une seule semaine, j'ai dû virer 7000 employés! Cette année-là, ce sont 16 000 de nos employés qui ont perdu leur travail», raconte M. Mevs.
Windgroup, l'entreprise familiale, s'est toutefois relevée. Elle dirige aujourd'hui l'approvisionnement de presque tout le pétrole dans le pays.
Le groupe possède trois parcs industriels et une soixantaine d'immeubles. Il n'exploitera pas les usines de la zone franche, mais il les bâtira sur ses terrains dans Cité-Soleil, près du port.
«Symboliquement, c'est dans Cité-Soleil qu'il faut créer des emplois, dit M. Mevs. Mais il ne s'agit pas seulement de bâtir des usines et des maisons, il faut aussi construire des communautés.»
Grégory Mevs rêve d'une cité industrielle, avec des usines, des cafétérias, des garderies, des installations sanitaires. Il veut aussi construire de 5000 à 6000 logements sociaux à environ 6 km de Cité-Soleil.
La famille Mevs fait aussi dans l'agroalimentaire, dans l'exportation de bananes biologiques, notamment. Dans les cartons, des projets de centres d'appels.
Grégory Mevs voit-il donc Haïti comme une mini-Inde antillaise?
«Non, en fait, Haïti a plutôt le potentiel de devenir un mélange de Singapour et de Malaisie, dit-il. Il faut profiter du canal de Panama. Nous sommes situés sur la plus grande autoroute maritime du monde.»
Ami de Bill Clinton et de George Soros, familier de vedettes comme Demi Moore et Ben Stiller, qui étaient en Haïti ces jours-ci, il est conscient que bien des gens en Haïti et dans la communauté internationale se méfient des grandes familles haïtiennes, souvent accusées de profiter de monopoles sur certains produits.
«Les gens ont souvent un point de vue simpliste, comme si nous étions des groupes secrets», se défend-il.
On accuse aussi la famille Mevs de créer des emplois faiblement rémunérés et de construire des sweat shops.
«J'aurais préféré que l'on donne des emplois autres, mais pour relancer l'économie et la production, le textile et la production agricole sont des passages obligés. Je peux comprendre que les gens aient des craintes, mais cela sera fait dans le respect», assure-t-il.
M. Mevs s'inquiète par ailleurs de l'état lamentable de l'environnement. Selon lui, des gestes simples et peu coûteux pourraient faire une énorme différence.
«En Haïti, nous sommes 9 millions et nous utilisons environ 20 000 tonnes de propane par année. En République dominicaine, ils sont 10 millions et ils en utilisent 750 000 tonnes! La différence, c'est le charbon, ici, ce qui cause la déforestation.»
La conversion de la République dominicaine au propane n'est pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d'un vaste programme de subvention lancé il y a une dizaine d'années.
Selon M. Mevs, le gouvernement haïtien devrait consacrer quelques dizaines de millions de l'aide internationale pour donner un réchaud à tous les habitants du pays et subventionner l'achat de propane.
En plein milieu de l'entrevue, un des frères de Grégory Mevs, Fritz, arrive en coup de vent. Il se lance dans une défense passionnée de l'entente conclue la semaine précédente à New York et qui donne les rênes de la reconstruction (l'argent, donc) au gouvernement haïtien plutôt qu'aux ONG.
«On espère que l'argent sera bien dépensé», dit Fritz Mevs, s'en remettant à la surveillance de la communauté internationale.
Les ONG, ajoute son frère Grégory, veulent bien faire, mais elles ne s'y prennent pas toujours bien pour y arriver.
Un exemple: «Tout le monde veut construire un hôpital en Haïti, alors que 20 hôpitaux sont en faillite à Port-au-Prince. Je leur dis: donnez aux hôpitaux existants.»
Évidemment, un plan de reconstruction de plusieurs milliards apporte de belles occasions aux «familles».
Les Mevs ne s'en cachent pas, mais ils affirment qu'Haïti a autant besoin d'investissements privés que d'aide internationale. C'est ce à quoi ils s'affairent avec la zone franche: faire venir des investisseurs privés qui créeront des emplois.
«Je crois que nous avons une chance historique de réussir là où nous avons échoué. C'est vrai que ça ne bouge pas assez vite, notamment pour le logement social, mais il ne faut pas louper non plus cette occasion.»
http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/seisme-en-haiti/la-presse-en-haiti/201004/16/01-4271454-des-t-shirts-gap-made-in-haiti.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4271542_article_POS1
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
dimanche 18 avril 2010
Des t-shirts Gap made in Haïti?
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