Associated Press
C'est l'une des conséquences du séisme en Haïti: dans le paysage apocalyptique et dévasté de Port-au-Prince, il y a désormais des légions de jeunes amputés. Plus de 4 000 Haïtiens ont subi une amputation depuis le 12 janvier, des centaines d'entre eux dans des conditions sanitaires précaires, sans anesthésie, et parfois plus que nécessaire.
http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/seisme-en-haiti/201002/27/01-4255997-une-journee-dans-la-vie-dun-jeune-ampute.php
Si la guérison d'Hilan se passe bien, il est encore trop tôt, pour lui comme pour les autres, de commencer à appareiller ces nouveaux amputés. D'autant que leur sous-alimentation ralentit la guérison.
Pendant qu'Hilan attend son tour pour faire nettoyer son moignon, un homme refuse toujours l'amputation. Dans ces cas-là, «on leur donne des antibiotiques et on espère qu'ils ne meurent pas», explique le Dr Crowley.
La chirurgienne américaine Justine Crowley, spécialiste des amputations, explique qu'il n'y a toujours pas suffisamment de personnel pour tenir le rythme des quelque 70 patients quotidiens, dont beaucoup doivent être amputés. Il y a quelques semaines, ils en recevaient 150 à 200.
Le personnel hospitalier dit avoir rarement vu des patients aussi stoïques face à une adversité pareille. Il en a fait une nouvelle expression: prendre les choses «à l'haïtienne».
En fin de matinée, Hilan part pour l'hôpital, circulant avec difficulté sur ses béquilles. Dans cette clinique autrefois privée, c'est désormais la surpopulation des blessés. Une jeune fille lui cède sa chaise et Hilan se crispe: «Je déteste devoir demander aux gens de faire des choses pour moi».
«On était dans la rue et un petit garçon a couru vers nous en hurlant: 'Bout pyé'!» («demi-jambe», en créole), raconte Denise, la mère d'Hilan. «Ca m'a choquée, j'ai eu l'impression de mourir à l'intérieur, mais Hilan l'a ignoré et a continué à avancer».
Si la vie d'après-séisme est déjà difficile pour tous, elle est une torture pour les handicapés. Nombre de familles les ont mis à la rue ou envoyés vivre ailleurs, parce qu'ils ne peuvent plus les assumer.
Désormais, devant la télévision donnée par des voisins, et si la pluie de la nuit n'a pas fait tout disjoncter, il joue à des jeux vidéo, massacrant des ennemis virtuels. «L'une des pires choses dans tout ça, c'est que je ne peux pas me défendre», soupire Hilan.
Aujourd'hui, Hilan se réveille dans un campement de fortune. Dans cette nouvelle vie, il a renoncé à ce qu'il aimait le plus, jouer au foot et danser avec les filles, et à ses tâches quotidiennes, s'occuper de sa fratrie, faire les courses...
Quelques heures plus tard, la rumeur d'un tsunami devait les chasser vers les hauteurs, sur le Champ-de-Mars. Là, pendant six jours, la famille d'Hilan a tenté en vain de le faire soigner. Chaque réplique aggravait sa douleur, la gangrène avançait, et la puanteur de sa blessure croissait. Il fut enfin emmené vers un hôpital proche de l'aéroport, où un médecin américain l'examina: «Il s'est excusé et m'a dit que s'il ne m'amputait pas, je serai mort dans deux jours».
Dans leur minuscule cuisine, quand des blocs de béton ont commencé à tomber, Hilan a attrapé Carmel, sa petite soeur de quatre ans, et l'a poussée dehors. Mais son pied à lui a été écrasé, il ne pouvait plus bouger. Un ami l'a extrait et allongé dans la rue, aux côtés d'autres blessés.
Lorsque la terre a tremblé, Hilan était à six mois de son baccalauréat, après plusieurs interruptions à cause des troubles ou des grèves. Il vivait avec sa mère et sept autres personnes à dix rues du Champ-de-Mars, le centre de Port-au-Prince.
Hilan estime que dans un autre pays, il n'aurait pas perdu sa jambe. Et il a probablement raison, disent les médecins. «Il y aura peut-être un nouvel Haïti», dit-il. «Malheureusement, j'ai perdu ma jambe dans le vieil Haïti».
Chaque matin au réveil, il se souvient de cet instant, juste avant l'amputation: «le liquide s'est répandu dans mon bras, et tout ce que j'ai pensé, c'est que la mort est certainement tout aussi douce».
Petersen Hilan, 21 ans, a été amputé de sa jambe droite il y a trois semaines. Depuis, il refuse la pitié et bataille pour ne pas être un fardeau pour les siens.
Et ce n'est pas fini, notent les médecins. Certains blessés se traînent sur des membres brisés depuis des semaines. D'autres n'ont pas reçu le moindre traitement pour lutter contre les infections.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire