Google

dimanche 23 décembre 2007

Jérémie ou l'angoisse d'une odyssée provinciale

Indicible langueur. Heures interminables et sans contenu. Voyager à Jérémie? Un exercice affreux, épouvantable: route scabreuse, rocailleuse et en cul-de-sac. Jusqu'ici, il n'y a pas de voie permettant d'accéder avec joie à la légendaire " cité des poètes". La ville, marquée par son calme et une immense couverture végétale, est extrêmement isolée du reste du pays. On n'en a cure. Et c'est presque dommage.
La Carambole (à gauche) et la Zibéline, surnommée djaka, deux fruits comestibles spécifiques à la flore grand'anselaise (Photo: Robenson Bernard)

Jérémie. On est bien précis sur son nom qui renvoie à un personnage biblique inspiré. Il prédit l'avenir et révéla des vérités cachées. Sa vie entière fut marquée par une sorte de plainte sans fin qui importuna. En raison de sa misère, de sa solitude et de son destin lourd de malaise. Mais il crût à la vie et garda l'espoir. La vérité est bonne à dire: à cause de son isolement causé avant tout par l'état lamentable de la route principale qui y conduit, la ville n'est jamais fatiguée de ses jérémiades.
Située à 584 km de Port-au-Prince, elle est forcée de placer le transport par voie terrestre et par voie maritime dans le même rapport logique. La voie aérienne, quant à elle, fait passer à une simplification poétique d'une réalité infiniment plus complexe et dotée de curieuses vertus.A l'entrée de la ville, la mer est accueillante. La hauteur des vagues et l'impétuosité du courant sont particulièrement sensibles.
Le ciel impose sa sérénité à ce spectacle plus majestueux que romantique. Par moments, des remous creusent un sillon profond et laissent bondir une gerbe d'écume voilant et dévoilant la quincaillerie marine. «Pareil spectacle gagnerait à avoir son peintre ou son vidéographe», note un observateur qui déplore le caractère hideux de l'entrée principale de la ville ornée d'un long ruban de taudis trônant en face de la mer. Ces constructions anarchiques sont caractéristiques de la situation socioéconomique d'une population qui ne bénéficie d'aucune politique de logements sociaux inscrite dans le cadre d'un plan national d'urbanisation.
Dans une région si isolée du reste du pays et abandonnée à son sort, on ne doute pas qu'il y aurait beaucoup à apprendre sur le fonctionnement des rouages de l'administration. Mais pour bien le comprendre, il faudrait connaître déjà le pays tel qu'il a toujours marché.
Une vue du pont La Voldrogue, trop étroit pour piétons,
bêtes de somme et véhicules à moteur
( Photo: Robenson Bernard)
Un trajet pénible
Le trajet Cayes/Jérémie fait apparaître l'extraordinaire complication, l'enchevêtrement de tous les problèmes auxquels fait face le département de la Grand'Anse. Pas besoin de les nommer. L'état lamentable de la route est un prétexte formidable pour l'isolement et le sous-développement des différentes régions plutôt riches en produits agricoles de toutes sortes.De Moron, Marfranc, Chambellan à Abricots, Roseaux, Pestel en passant par Latibolière, Léon, Dame-Marie,Anse-d'Hainault, etc. Les Irois, (presque toutes des communes de Jérémie), la Grand'Anse est abondamment boisée. On a peine à la quitter. Même si ses nuits sont obscures. «Depuis plusieurs mois déjà, Jérémie est en plein dans le noir», se plaint un riverain grattant, désenchanté, une allumette pour lire une prescription médicale. Et déterminé à dompter les nuits sans étoiles et sans lune avec ses chandelles et sa lampe (à essence) artisanale. La ville est comme née de rien, sinon du désir de vivre de la communauté. L'irresponsabilité de nos dirigeants en matière d'infrastructures routières dans la Grand'Anse saute aux yeux. Sensible à l'urbanisation et à la modernité, Jérémie est représentative de la réalité socioéconomique de l'arrière-pays. Mais la cité d'Etzer Vilaire pourrait être une ville-musée avec ses galeries d'art, son conservatoire d'art dramatique, ses salles de spectacle, ses kiosques, ses fécondes écoles de peinture, ses jets d'eau, ses espaces de loisirs, etc.
Elle pourrait également orchestrer thèmes et sortilèges de son charme qui prolonge et fond dans les mythes tous les aspects de la poésie d'Etzer Vilaire, d'Emile Roumer; toutes les facettes de la littérature de Josaphat-Robert Large, Jean-Claude Fignolé, Claude C. Pierre, Merès Wèche, Serge Madhère, Margareth Lizaire, Clotaire Saint-Natus, pour ne citer que ces écrivains grand'anselais de bonne facture.Une ville ouverte sur le mondeC'est évident: Jérémie a l'ultime avantage d'avoir débouché sur la mer: fenêtre d'une région active et dynamique, ouverte sur la Jamaïque et le monde. Sauf qu'il ne faut pas perdre de vue le danger que courent souvent les villes côtières à la merci des " intempéries" venues du large. Toujours est-il que la cité maritime présente le profil d'un véritable refuge. Un exutoire. Elle est aménagée et sauvegardée par un effort humain exceptionnel qui préfigure sa possible refondation.
Des pêcheurs précaires livrés à leur sort dans la localité de Bacardère à Dame-Marie
(Commune d'Anse d'Hainault située à quelques mètres de la Navase).
Photo: Robenson Bernard
Le dynamisme jérémien
Prospère, riche en produits vivriers et en céréales (banane, igname, pois, maïs, manioc, arbre véritable, etc), Jérémie donne la preuve du dynamisme de ses habitants auquel tient sa grandeur.Des régions sont peuplées de pêcheurs, de marins et de vrais faux sauniers. D'aucuns, réfléchissant sur l'histoire de la cité, son expansion, son déclin lent, majestueux et son espoir de renaissance, soulignent le fait que le commerce est pour eux la base et le rempart de la finance et de la richesse. Ici et là, on laboure, on sème, on vendange. Les activités proches et rentables des salines, comme du charbon de bois sont étouffées étant donné la situation du transport vers Port-au-Prince ou les Cayes. Des transporteurs assurent par caravanes de bêtes de somme les communications interrégionales.
Les Grand'Anselais sont capables d'accueil et d'hospitalité. Distendue, la métropole du département a principalement de charmant ce qu'elle doit au climat naturel. La carambole (au goût d'orange) et la zibeline surnommée Djaka (de la famille de l'arbre véritable) sont des fruits savoureux spécifiques à la flore des différentes régions.
La ville a ses quartiers pauvres tel que Sainte-Hélène; et ses zones huppées comme Bordes. Cette dernière, soigneusement adoquinée, accueille les principaux hôtels établis selon un ordre hiérarchique rigoureux. Bon temps, la Cabane, Auberge Inn, Trois Dumas, sont de ceux-là. Quelle énigme!
A Bordes, il souffle continuellement un vent léger, mais il faut accepter de suer sous une moustiquaire pour tromper l'appétit des maringouins aussi géants et imposants que ceux de la Cité de l'Indépendance. A propos, ces moustiques s'attaquent sans complexe aux corps frêles des enfants comme aux jambes et aux chevilles des femmes que ne protègent pas des souliers bas. Ces insectes dont la piqûre est douloureuse s'aventurent même dans les pantalons pour attaquer, sans risque de se faire abattre, les mollets. «Même à travers l'étoffe, nous avons les genoux et le corps entier dévorés», murmure une jeune femme qui avoue que sa sieste s'en trouve souvent contrariée. «C'est dégueulasse!», lâche-t-elle non sans dépit.
Trois (3) lycées fonctionnent à Jérémie à plein rendement: Nord Alexis (ou Lycée des Garçons), Lycée des Jeunes Filles et Saint-Luc. S'il n'y a pas de station de télévision locale, plusieurs chaînes de Port-au-Prince sont captées. Des stations de radio diffusent des programmes d'éducation, de divertissements et d'informations. Il s'agit nommément de Radio Tèt Ansanm, Power Mix, Lambi, Quisqueya, Grand'Anse, Xaragua. Et dire que tout cela tient d'une subtile alchimie. Ou ses avatars.
Le défi du temps
Un taxi moto: phénomène plutôt récent en milieu rural.
A Jérémie, l'offre répond parfaitement à la demande
(Photo: Robenson Bernard)

Il n'est pas illusoire de vouloir sauver Jérémie de son isolement. Encore faut-il redéfinir sa fonction par rapport au reste du pays. Pour l'agriculture, le reboisement, la Grand'Anse pourrait jouer le rôle d'un département d'équilibre. Et si l'on admet que l'on parvienne à disjoindre le sort de Jérémie à l'essort industriel de la région, on rendra facile la tâche qui consiste à en faire une ville touristique, artistique et culturelle. Ce n'est pas le charme qui manque à la région qui semble prête à repousser la tentation de l'affairisme bon marché, de la débrouillardise mauvais teint. En toute urbanité.La Grand'Anse est heureusement à l'abri de la dégradation du terrain de l'art et de la culture. Régénérée, elle pourrait avoir son festival international de poésie, son colloque international sur Etzer Vilaire, Emile Roumer, Jean-Claude Fignolé, Claude C. Pierre, Josaphat-Robert Large, Margareth Lizaire, etc. Elle disposerait également de son festival des Arts plastiques, son salon du livre, ses sessions musicales et universitaires d'été, ses concours de beauté et ses événements culturels d'une grande intensité. Et ses centres sportifs bien adaptés.
On se représente volontiers Jérémie sauvée comme un centre international de culture possédant déjà ses bases sous l'impulsion d'un mécénat d'une grande efficacité. Mais la survie de la Grand'Anse concerne d'abord les Grand'Anselais - toutes couches sociales confondues. Ceux qui, déjà, ont dressé son constat de carence qui se veut moins le signe d'une déroute de l'imagination, d'un manque de solidarité que d'une incapacité politique à trancher. En faveur de l'arrière-pays.On trouve, enfin de compte, dans les solutions empiriques apportées jusqu'ici aux problèmes complexes de Jérémie la preuve que le désir de vivre ensemble permet aux hommes de bonne volonté de créer un tissu social solidaire. Aussi les générations actuelles sauront-elles dépasser cet héritage pour relever le défi du temps?
Robenson Bernard

robernard2202@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=51901&PubDate=2007-12-21

1 commentaire:

విలేఖరి a dit…

WATCH www.srikakulamdt.blogspot.com