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lundi 31 décembre 2007

2007, année du livre

Le livre a rapproché les fils du pays au cours de l'année 2007. Il a traduit les nostalgies du compatriote exilé et son bonheur de retrouver sa terre natale. Il a mis en relation des catégories sociales dispersées par le fanatisme politique. Il a aussi tenté de comprendre des figures rejetées comme celle du dictateur François Duvalier. Du marxiste Roumain au lodyanseur Lhérisson, le livre essaie de trouver des lieux neutres culturels.
Quand sortira-t-il du mythe intellectuel pour être un produit organique de performance sociale ?
L'année 2007 a été très fructueuse en matière de publication d'ouvrages et de manifestations autour du livre. De janvier à décembre, des conférences, des colloques et autres manifestations culturelles ont été organisées pour marquer en beauté le centenaire de la naissance de l'écrivain Jacques Roumain. C'était l'année Roumain. C'était aussi l'année Duvalier et Lhérisson.
Du Livre-jeunesse à Etonnants Voyageurs
En mai, la fête du livre-jeunesse a eu lieu sur la cour de l'Institution Saint-Louis de Gonzague à Delmas 31. Une foire qui a réuni quatre auteurs en signature, une trentaine de nouveautés et cent soixante-onze titres, les uns plus accrocheurs que les autres.Puis, Livres en Folie, la plus grande foire du livre depuis plus de dix ans en Haïti, réunit environ une cinquantaine d'auteurs en signature. En introduisant dans le paysage littéraire haïtien Livres en Folie, Le Nouvelliste et la Unibank ne croyaient pas que le livre allait sortir des bibliothèques privées pour devenir un produit public qui mobilise toutes les catégories sociales.
Du 5 au 10 novembre, les Presses nationales d'Haïti ont organisé sa deuxième édition de Rentrée littéraire avec une dizaine d'auteurs en signature. Elles ont amené le livre dans quelques écoles de la capitale où l'écolier haïtien a eu la chance de palper, de toucher le livre et de parler aux auteurs.
Du 23 au 25 novembre, Livres en Liberté - initiative de Clément Benoît II- s'est offert une escale littéraire à Jérémie avec comme invité d'honneur Lyonel Trouillot. Il y a eu 900 titres disponibles et trente auteurs en signature. C'est une initiative louable parce qu'elle amène le livre dans les villes de province haïtienne. Donc, elle mérite d'être appréciée.
Du 1er au 4 décembre, une cinquantaine d'écrivains essentiellement de la Caraïbe se sont entretenus à Port-au-Prince au cours de la première édition du festival Etonnants Voyageurs. Amener le monde en Haïti et des représentants de la littérature mondiale, tel a été l'un des objectifs de l'événement.
2007, c'est l'année du livre. Il y a eu tellement de publications d'ouvrages haïtiens tant en Haïti qu'à l'étranger que la presse culturelle, impuissante, n'a pas eu le temps de tout lire. Il y a eu tellement d'activités autour du livre qu'on a l'impression que les autres manifestations culturelles sont reléguées au second plan. Pourtant, il y a eu deux grandes manifestations culturelles novatrices : Vol au vent et Artisanat en Fête. Donc, l'année 2007 a été très riche sur le plan culturel. Jamais année n'a été si prospère depuis environ vingt ans (1987-2007).
Avec cette vague déferlante axée sur le livre, personne ne sait concrètement si les ouvrages publiés sont lus. On sait simplement qu'il y a des gens qui achètent des livres. Personne ne sait si ceux qui achètent les bouquins les lisent ou s'ils les gardent comme des bijoux dans leur bibliothèque pour montrer aux autres qu'ils collectionnent de grands auteurs. S'il en est ainsi, on passe à côté de la fonction sociale de la lecture !
En tout cas, acheter des bouquins est une bonne initiative, mais les lire relève d'un exercice beaucoup plus complexe. D'où l'Etat a pour devoir d'intensifier une politique de lecture publique sur le territoire national pour apprendre aux jeunes à revisiter les grands auteurs, à aimer le livre, à avoir une vision autre sur l'universel.
Des critiques sont formulées par un secteur privé très actif à l'égard du ministère de la Culture et de la Communication dont la « politique culturelle » reste encore un secret pour l'opinion publique. Dans les milieux intellectuels, on se réjouit pour la relance de l'enthousiasme autour du livre en Haïti. Cependant, derrière fêtes et foires du livre se cache une réalité : celle, concrète, de la lecture. Avons-nous fait un pas de plus dans la connaissance des auteurs et de leurs oeuvres? Depuis que les bibliothèques s'établissent ici et là comment se présentent les statistiques autour de la lecture ? Quelle catégorie sociale est intégrée dans le processus d'accès aux livres ?
La Direction nationale du Livre (DNL) a encore du pain sur la planche. Mais les bibliothèques de proximité aussi ont un devoir de transparence pour dire aussi bien leurs succès que leurs échecs. Il en est de même pour les Centres de lecture et d'animation culturelle (CLAC) dont un relatif constat est fait qu'il manque de structures, d'espaces et d'expertise pour une véritable politique du livre en Haïti.
Duvalier, Roumain, Lhérisson...
Cette « Année du Livre » a été aussi celle des auteurs. Roumain a eu la part du lion. Conférences, colloques, débats ont montré les multiples aspects de l'auteur de « Gouverneurs de la Rosée ».
Ces approches ont permis de voir Roumain sous tous les angles : le littéraire, le scientifique, le politique, le lyrique amoureux. Au milieu de la « roumainite », la question a été posée sur le silence observé autour du centenaire de la mort de Justin Lhérisson. Cela a permis à des spécialistes de revisiter les oeuvres de l'auteur de « Zoune chez sa ninnaine ». Ils ont tiré la relative conclusion que Lhérisson est au centre de divers courants littéraires de la Caraïbe dont le mouvement de la créolité et les particularités régionales de la lodyans.
François Duvalier a été aussi comme replacé dans la bibliographie contemporaine. Du « Mal-aimé » à «Duvalier. La face cachée de Papa Doc », Rony Gilot et Jean Florival ont attiré l'attention des lecteurs de tous âges sur la figure emblématique du dictateur qui a régné sur Haïti de 1957 à 1971. On se pose des questions autour de l'intérêt des uns et des autres pour des livres qui, à un certain moment, auraient provoqué le mépris de la critique locale. La démocratisation des idées laisse de l'espace à une tolérance. Et c'est le moment idéal pour comprendre un tyran dans son contexte, dans ses « idéaux nationalistes » et dans sa mégalomanie. Certains se demandent : pourquoi pas une réédition des œuvres essentielles de François Duvalier ? Ce n'est pas peu dire dans la conjoncture.
La boulimie autour du livre montre l'inadéquation entre le producteur littéraire et les moyens d'édition encore inexistants. La publication du livre obéit encore à une logique rudimentaire. Il y a un manque flagrant de politique éditoriale du livre, pour sortir de l'archaïsme et entrer dans des publications physiquement de bonne qualité. Les Editions Presses nationales d'Haïti, constatant la situation, font un effort annuel en vue d'avoir des habitudes constantes autour du livre par les « Rentrées littéraires ».
A quand une grande politique d'édition en Haïti ?
Le livre et les auteurs ont aussi, au cours de l'année 2007, rapproché l'extérieur de l'intérieur. Avant les grandes décisions d'amendement constitutionnel, les écrivains amorcent des relations utiles entre le pays et la diaspora. Les expériences faites dans les grandes villes d'Amérique du Nord par des écrivains haïtiens révèlent que le bonheur n'est pas toujours de l'autre côté. Difficulté d'adaptation, effort d'intégration, réussite individuelle et douleur d'exil, les maladies du froid et les nostalgies de la terre natale montrent un terrain multiple et complexe. Ce dernier définit un nouvel Haïtien qui sort des contraintes de l'île pour faire de plus dures expériences en terre étrangère.
La littérature de la diaspora est le premier pas vers le dépassement des frontières établies par la suspicion entre l'intérieur et l'extérieur. A côté des spectacles de musique qui sortent le pays de l'insularité, les activités publiques autour du livre révèlent que notre créativité garde encore toute sa vigueur malgré un contexte politique souvent déprimant.

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