U B | ||
| ||
Eduardo, qui préfère taire son nom de famille, est né dans un batey insalubre (baraquement d'ouvriers agricoles dans les plantations de canne à sucre) en République dominicaine de parents haïtiens dans la région de Montecristi (nord-ouest).
"J'ai travaillé 15 heures par jour depuis mon enfance comme bracero (coupeur de canne), jamais l'Etat dominicain ne m'a reconnu", explique l'homme au visage marqué, au corps brisé par le labeur. "Puis des militaires dominicains ont raflé un jour de janvier tous les Haïtiens ou ceux qui avaient l'air haïtien, les plus noirs, sur la plantation parce que nous avions protesté sur nos conditions de travail", raconte-t-il.
"Je n'ai pas pu prévenir ma femme ou mes enfants, on m'a pris le seul papier que je possédais, mon permis de travail, puis nous avons été chargés dans des bus, comme des bestiaux et déposés au milieu de la nuit à la frontière", poursuit-il dans un créole teinté de mauvais espagnol.
Depuis Eduardo est hébergé chez un cousin à Canapé-Vert, un quartier de Port-au-Prince perché sur les mornes.
Près de 90% des travailleurs agricoles des plantations de canne à sucre dominicaines contrôlées par l'Etat et par trois familles, les Vicini, les Campollo et les Fanjul, sont des migrants haïtiens ou leurs descendants.
En République dominicaine, Eduardo gagnait à peine un euro en ticket de rationnement pour une tonne et demie de canne coupée. Mais c'est plus qu'il ne peut gagner en Haïti, pays dévasté par des années d'instabilité, que la population tente de fuir parfois au prix de sa vie par la mer vers les Etats-Unis, situés à quelque 900 km ou par la terre, en République dominicaine, où entre 500.000 et 1.000.000 d'Haïtiens vivent selon le Pnud.
Parmi eux, quelque 250.000 enfants apatrides, comme Ricardo, 12 ans, qui travaillait avec sa famille sur une plantation de canne dans la région de Pédernales, au sud-ouest. "Je suis séparé de mes parents, je n'ai pas de nouvelle et ne sais pas ce que je vais faire, je ne connais personne ici", dit le jeune garçon né en République dominicaine. Il dort dans les rues de la capitale haïtienne depuis son expulsion il y a deux semaines.
"Les migrants haïtiens et leurs enfants nés en République dominicaine sont privés des droits les plus élémentaires", dénonce Gerardo Ducos, d'Amnesty International.
Malgré un arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l'Homme condamnant la manière dont la République dominicaine traite les enfants d'origine haïtienne, les autorités de ce pays continuent de refuser la nationalité dominicaine aux enfants nés dans le pays de parents sans papiers ou en situation irrégulière.
Victimes de discriminations fondées sur la couleur de la peau, la langue et la nationalité, utilisés comme boucs-émissaires des problèmes socio-économiques du pays, les migrants haïtiens ou leur descendants sont "tout particulièrement visés par les agents de l'immigration lors de contrôles d'identité, qui se soldent souvent par des détentions arbitraires, des mauvais traitements, et des expulsions collectives et massives vers Haïti (20.000 à 30.000 personnes expulsées par an), estimait Amnesty dans un récent rapport.
Comme la majorité de leurs compagnons d'infortune, Eduardo et Ricardo vont tenter de repasser la frontière clandestinement en payant un passeur qui soudoiera les militaires dominicains. "Notre vie est là-bas", disent-ils en coeur.
Source Journal Le Nouvelliste sur http://www.lenouvelliste.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire