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mercredi 7 mars 2007

François Duvalier, le mal aimé... Quelqu'un a osé le faire!


Avant-propos
Le lecteur s'étonnera certainement du titre énigmatique qu'il m'a plu de donner à ce livre. Cela n'a pas été facile, je l'avoue, de trouver le qualificatif convenable, capable de répondre au souci de rendre à la fois la densité du personnage, la diversité et la profondeur de ses facettes ainsi que les contradictions qui nourrissent à son sujet des controverses inexpiables.

Mariant le substantif excessif à l'épithète antithétique, j'eusse pu l'appeler Duvalier, le tyran bien-aimé, mettant en relief la condamnation sans appel des uns et la vénération sans nuance des autres. Mais cette appellation ne couvrirait pas assez la vérité épaisse et asymétrique du personnage, ni ne restituerait complètement l'émotion confuse et trouble que suscite la seule évocation de son nom. J'eusse pu l'appeler Duvalier, le titan maudit, reprenant en premier terme cette louange posthume d'un opposant notoire, trop virulent au début du règne pour n'être pas sincère en fin de parcours. Mais, cette dénomination, elle non plus, ne projetterait qu'une lumière tamisée, impropre à un éclairage sain et impartial.

C'est que François Duvalier possédait le talent catastrophique d'inspirer l'amour jusqu'à l'adoration ou au sacrifice, et d'allumer la haine jusqu'à l'incandescence et au meurtre. Voici énoncé un paradoxe qui ne contribue nullement à simplifier l'analyse ni à dissiper le mystère qui enveloppe cette vie d'Homme d'Etat. Il déroute au contraire. Il amplifie le drame de conscience chez tous ceux qui avaient approché l'homme, pour le servir ou pour le combattre, ou seulement pour étudier son itinéraire historique.

Qu'on l'admire ou qu'on le déteste, force est de reconnaître que, dans le sillage de Dumarsais ESTIME, François DUVALIER demeure le président haitien qui a lancé Haiti sur la voie de la modernité. Avec la création du CONADEP destiné à devenir le Ministère du Plan, Duvalier sort Haiti de la routine et de l'improvisation pour l'installer une fois pour toutes dans l'ère de la planification et des plans quinquennaux. Le Service des Contributions qui se transformera en Direction Générale des Impôts (D.G.I.) va quitter la promiscuité poussiéreuse et étouffante d'un minuscule bureau (du temps où le service s'appelait Bureau des Contributions), pour emménager dans un véritable palais moderne digne d'une telle institution publique. Le Télécom S.A.M. vient, au milieu des années 60, moderniser ce secteur qui n'offrait que de rares téléphones asthmatiques à quelques rares privilégiés. En ces temps - bien sûr dépassés - où l'Etat se croyait bon gestionnaire, les Entreprises Mixtes voyaient le jour et imprimaient une dynamique déterminante à maints services d'intérêt public : le Ciment d'Haïti, la Minoterie d'Haïti, l'OAVCT, l'APN, l'AAN, la TELECO....etc. Toutes ces entités qu'en ce début du 21ème siècle, on a tendance à privatiser ou à brader ont vu le jour grâce à la vision de François Duvalier. Sans compter les organismes à vocation sociale : l'OFATMA, l'Institut National du Bien-Etre Social, l'ONA... etc.

Duvalier a également électrifié une grande partie du pays en faisant tourner des turbines sur le barrage hydro-électrique de Péligre érigé par Magloire. Depuis les Duvalier père et fils, le fils poursuivant dans une certaine mesure l'oeuvre du père, aucun investissement n'a été effectué dans ce secteur, ce qui nous vaut depuis longtemps deux heures de courant par jour ou tous les deux jours à la capitale, alors que sous le régime de « La Révolution au Pouvoir », comme on disait à l'époque, on ne connaissait, et en saison sèche seulement, qu'une heure de black-out par jour.

Les maigres moyens haïtiens, démultipliés par la volonté prométhéenne de F. Duvalier, ont construit l'Aéroport International Dr François Duvalier de Port-au-Prince. Cette oeuvre herculéenne a désenclavé le pays et lavé les nationaux de la gifle d'une obligatoire escale dominicaine, chaque fois qu'ils projetaient de voyager par avion vers l'Amérique ou l'Europe. Il est quand même étonnant - si ce n'est ridicule - que se refusant à perpétuer un hommage exigé par la probité et l'histoire, on ait, au lendemain de 1986, débaptisé cet ouvrage capital, pour l'affubler du nom d'un ministre de la Justice qui n'avait à son actif que l'exploit de s'être fait assassiner dans un coin de rue. Heureusement le nom de Toussaint Louverture est venu, encore une fois, rétablir l'échelle des valeurs et un certain équilibre des grandeurs. Bref, après François Duvalier, en dehors de l'intermède de son fils qui a desserré l'étau sur une parole démocratique qui avait tardé à s'exprimer librement, on ne peut vraiment affirmer que quelque chose d'imposant ait surgi sur le sol d'Haïti.

Voilà une vérité bien hardie, impatiente de se dresser devant les mensonges étincelants d'une clameur suggérée et manipulée. Elle émerge de plus en plus. Elle surgit au carrefour de toutes les nostalgies et impatiences et déceptions de la conjoncture des années 2000- 2006. Prudemment certes, car les passions ne sont pas encore éteintes. Surtout qu'elles sont entretenues par ceux-là que dérange une tendance automatique et généralisée à comparer deux époques et deux expériences politiques.

Cette confrontation inévitable tourne à l'avantage de la dynamique duvaliérienne au détriment de l'anarcho-populisme lavalassien. Et l'on comprend que la classe politique et la société civile, qui dominent l'échiquier et les médias depuis 20 ans, artisans dépités de « l'ordre lavalassien », s'évertuent à se dédouaner, en recherchant en dehors de ce dernier un bouc émissaire responsable des malheurs actuels du pays.

Trente cinq ans après la mort de François Duvalier, on ne se lasse pas de parler de lui au présent, tant les empreintes de son passage ont marqué les esprits et les consciences. Certains, certes, s'acharnent à lui attribuer toutes les turpitudes de ses prédécesseurs et successeurs, comme s'il avait dirigé Haiti dans le presqu'aujourd'hui et depuis l'Indépendance. Ceci n'emêche que la population dans son quasi-ensemble le cite de plus en plus à l'honneur pour le leçon de compétence, de fierté et de dignité qu'il a laissée à nos gouvernants et au peuple haitien.

Au moment où la vérité perce l'écran opaque des nuages et que peu à peu s'essouffle l'idéologie d'ostracisme et d'exclusion à ce point dominante en 1987 qu'elle a réussi à polluer la noblesse d'un texte constitutionnel, il devient opportun de raconter courageusement une histoire d'homme, sans fard ni acrimonie, sans toutefois la présomption de vider le sujet. L'honnêteté consisterait à présenter l'homme dans ses dimensions multiformes, avec ses lumières et ses ombres, ses vérités et ses faces cachées, ses grandeurs et ses petitesses...

Il faut aller au-delà d'une subjectivité résiduelle qui continue d'opérer une distorsion des faits et renvoie aux calendes grecques les accents sincères du « dialogue national » et les premiers gestes authentiques de la réconciliation nationale. L'historien lui-même perd ses repères...

François Duvalier se campait homme d'airain, tout entier rivé à la cause pour laquelle il combattait. Cependant son agir ne rencontrait pas toujours l'adhésion, même chez ses partisans les plus fanatiques.

Les thuriféraires du régime récusaient en silence certaines outrances du comportement et de la méthodologie politique de l'homme Ils trouvaient, par exemple, disproportionnées certaines mesures drastiques appliquées à des situations susceptibles d'être résolues plus rationnellement et avec moins de casse. Même ses fanatiques les plus frustres, bénéficiaires privilégiés de l'incontestable mobilité économique, sociale et intellectuelle enclenchée par le régime, jugeaient inapproprié de violenter les citoyens, fût-ce dans le noble dessein de les rendre plus heureux. Sa technique de répression directe et collatérale a opéré des ravages immenses, beaucoup plus dans le camp de ses partisans qu'au sein de l'opposition. Naturellement, cela tient au fait historique que la plupart des complots intérieurs avaient été fomentés par des duvaliéristes en mal de pouvoir. Et les « invasions », ainsi que les lointains et vains mouvements des exilés, provoquaient dans le pays toutes sortes de persécutions à l'encontre de leurs parents et alliés, même si ceux-ci avaient au fil du temps développé d'ostensibles et rentables attaches duvaliéristes.

Qu'on se rappelle ! A l'orée du règne, en 1959, la première levée de boucliers au Sénat s'était soldée par la dissolution du Parlement, l'arrestation ou le départ pour l'exil de grands estimistes comme Jean David, Emmanuel Moreau, Hugues Bourjeolly, Thomas Désulmé... etc, les artisans incontestables de la victoire du 22 Septembre 1957 ; la chirurgie périodique opérée dans les rangs de l'Armée frappait le plus souvent des éléments que le président avait lui-même promus ; la charrette de Lucien Daumec avait emporté un grand nombre d'inconditionnels duvaliéristes ; la conspiration du colonel Honorat, que le président appelait son fils, avait mis sur le billot la tête de nombre de haut gradés très dévoués au régime ; même la triste équipée de Jeune Haiti avait semé un deuil cuisant au sein de la gent duvaliériste de la Grande Anse ; Barbot, le garde du corps, le fer de lance de la campagne électorale, le premier chef de la police politique, avait rameuté dans sa guérilla urbaine la plupart de ses premiers enrôlés ou compagnons, pour les jeter finalement dans les geôles ou sous la guillotine de Duvalier ; Octave Cayard amena en exil le gros du contingent de la Marine réputé duvaliériste... Et nous en passons.

Dans une certaine mesure, comme Saturne, "la Révolution mangeait ses propres fils ». Il n'est pas un seul duvaliériste, en fait, qui n'ait eu à regretter un proche, parent ou ami. A ce compte, dans le monde duvaliériste, l'amour, s'il est raisonné et quelque peu teinté de deuil, ne peut qu'être mitigé.

Du côté des opposants, on distingue deux catégories. D'abord, ceux qui ont réellement souffert du régime, dans leur chair et celle de leur famille, dans leurs affaires, leurs biens ou leur fortune. Ceux-là se font un point d'honneur hautement justifié de vilipender François Duvalier : ils lui vouent une haine féroce, professent à son endroit une aversion viscérale, presque épidermique. Ceux-là se proclament les victimes, encore qu'il faille en toute conscience et objectivité discuter du mot qui devrait le mieux définir ceux qui étaient venus d'ici ou de loin attaquer Duvalier pour le renverser ou le tuer, et qui avaient tout prosaïquement perdu la guerre et essuyé les conséquences - peut-être trop dramatiques - de la défaite. Si ces conjurés ou envahisseurs avaient réussi à mettre la main sur Duvalier et sa famille, il est peu probable qu'ils les eussent gratifiés des meilleurs cadeaux. La preuve, c'est qu'au lendemain du 7 Février 1986, ils ont littéralement détruit toute une classe, par le fer, par le feu et par le supplice du collier.

Il y a ensuite une autre catégorie, nombreuse et majoritaire, celle des braillards qui n'ont effectué que l'effort minimal de rallier une tendance à la mode et épouser les couleurs de l'environnement politique de l'après-Duvalier. N'ayant aucune raison valable d'abominer Duvalier, ils ne parviennent que difficilement à se dégager d'une secrète admiration pour ce politique pragmatique, qui a consacré une vie entière à bien étudier l'idiosyncrasie haitienne, échafauder un système politique solide et durable, arrivant, tout civil qu'il fut, à établir une dynastie en ce pays, là où nos forgeurs d'indépendance et seigneurs de la guerre avaient lamentablement échoué. Dessalines, Christophe, Pétion, Boyer, Soulouque, Geffrard..., eux tous caressaient ce rêve; mais ils n'avaient pas su maîtriser le courant de l'histoire. Duvalier réussit , et ce n'est pas de l'accuser d'être anachronique - ce qui est d'ailleurs vrai, à le regarder du haut des années 2000 - qui enlève sa valeur à l'exploit.

Et ce n'est pas non plus la seule performance qui nourrit l'admiration secrète de ses contempteurs apparents. Aujourd'hui plus qu'hier, au moment où toute grandeur se dissout et s'effondre, on s'accorde à lui reconnaître une tenue digne et fière face à la communauté internationale. Après le départ du second Duvalier, en 1986, Haiti a connu deux occupations étrangères et nos dirigeants politiques ne se gênent pas de s'agenouiller devant les diktats du plus insignifiant employé international. On dirait que nos politiciens d'à présent se désintéressent totalement d'améliorer le sort du peuple. Ce qui semble importer avant tout, c'est de se pavanner sur la scène des conférences mondiales en quête d'un satisfecit international. On se le rappelle et on le dit tout haut : du temps de François Duvalier, on ne flanait pas autant et si vainement et aucun étranger, fût-il ambassadeur de la plus grande puissance du monde, fût-il pape, ne se serait permis de s'immiscer dans les affaires intérieures de la République d'Haiti et de donner des ordres à ses dirigeants. Bien sûr, on objecterait que les temps ne sont plus les mêmes, soit. Mais le pape est toujours catholique ; la puissance hégémonique n'a changé ni de nom ni d'hémisphère. Ce n'est pas seulement de nos jours qu'elle veut imposer ses diktats. Et tout comme aujourd'hui, hier aussi le pape et autres autorités hégémoniques internationales toléraient difficilement qu'on ne céde le pas devant eux. Lorsqu'il estimait devoir défendre, consolider, étendre les acquis de sa gestion, François Duvalier ne reculait jamais. Il avait l'intrépidité d'assumer ses actes et prises de positions, quel que soit le prix politique à payer. Aussi est-il normal que, dans le secret de leur coeur, les uns et les autres regrettent de n'avoir pas le courage d'adopter certains de ses attitudes et discours, de s'inspirer de ses élans de patriotisme et de certaines de ses mesures qui avaient imposé considération et respect... Chez beaucoup de ceux qui occupent actuellement notre devant de scène, l'anti-duvaliérisme viscéral et intransigeant n'est peut-être motivé que par le dépit de ne pouvoir en ce chapitre égaler leur bête noire. A travers le monde, on affublait Duvalier d'un péjoratif PAPA DOC, mais on respectait l'haitien partout.

Ainsi donc, les apologistes de Duvalier l'aiment, tout en condamnant certaines de ses méthodes de gouvernement ; les familles des victimes traînent un héritage de haine indifférenciée, mais tous se souviennent d'une tenue qui flatte aujourd'hui leur nationalisme et leur orgueil d'haitien ; les opposants suivistes l'agonisent d'injures ronflantes, tout en l'admirant secrètement. Il est aimé, mais partout avec un bémol : il est donc MAL-AIME.

Les uns proclament sa grandeur en se détournant de la face patibulaire de ce Janus caraïbéen ; les autres le vouent aux gémonies tout en songeant à s'approprier sa baraka et ses sombres qualités politiques. On lui entonne un cantique d'amour, mais sur un ton mineur : il est donc MAL-AIME.

Tous rêvent en leur for intérieur de l'imiter, les premiers en se réclamant ouvertement de son obédience, les seconds en exorcisant d'un tribut de paroles ignominieuses leur mystérieuse et irrésistible inclination. On l'aime d'un amour presque ésotérique et clandestin, il est donc MAL-AIME.

Voici, en peu de mots, ce qui explique le titre de cet essai de restitution de l'histoire d'une époque qui suscite tant de controverses et d'interrogations.

Je me suis mis à écrire ce livre au cours de mon second exil, en République Dominicaine. Sans autre document que ma mémoire encore vivace et le lointain souvenir de quelques lectures anciennes. La Marche à la Présidence, Compilations pour l'Histoire, Mémoire d'un Leader du Tiers-Monde, Les Comédiens, Duvalier et les Tonton-Macoutes, la République Héréditaire, les Ombres d'une politique néfaste .... etc. Par la suite, d'autres lectures plus récentes me permirent de vérifier la fidélité de mes souvenirs. Et des fois, je l'avoue, je fis plus confiance à ceux-ci qu'à celles-là, tant semblait sytématique l'entreprise de distorsion des faits au profit de l'idéologie dominante de l'ostracisme et de l'exclusion.

Je sais bien à quoi est exposé ce livre. Cependant, et je n'hésite pas à me répéter, le moment semble être venu de raconter courageusement une histoire d'homme, telle qu'un contemporain, témoin privilégié, l'a vécue. Entre l'objectivité, aujourd'hui peut-être prématurée, et la subjectivité maladive qui pourrit la vérité, il y a place pour l'honnêteté. L'honnêteté, en la circonstance, consiste à présenter l'homme, avec ses lumières, ses ombres et ses faces cachées, en disant simplement ce qu'on a vu, entendu et vécu. D'autres diront ou écriront d'autres choses qui auront la vertu d'enrichir un dossier que les historiens de demain prendront en main, quand les passions se seront tues et qu'il sera devenu possible, grâce au recul du temps, de décanter le précipité des émotions individuelles et collectives, afin de libérer la vérité historique du magma des amours délirantes et éperdues, comme des haines irréductibles et inassouvies.

Dr Rony GILOT

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