Tour 2004. Ayibopost/ Frantz Cineus |
La Tour 2004 — rêve cher à l’ancien président Jean Bertrand Aristide — devait marquer les 200 ans d’indépendance du pays. Hic, en 2004, Aristide est déchu sans avoir terminé cette œuvre. Depuis lors, la Tour est jetée dans l’abandon et aucun travail n’est entrepris pour terminer le chantier.
Sur cette place oubliée par les autorités, des sans-abris y ont élu domicile. Jean Roody, un trentenaire au visage couvert de plaies, est l’un de ces déshérités qu’on appelle « nèg lari » à Port-au-Prince. Ce jeune homme arpente les sites de décharge à la recherche de bouteilles en plastique. La place, c’est la « maison » qu’il partage avec une dizaine d’autres « nèg lari » et des prostituées qui viennent souvent s’y réfugier aux heures tardives.
Sur la place, Roody traine sa vie en bricolant des morceaux de sacs pour en faire un parapluie qu’il compte vendre aux marchands installés au bord des rues. Jean Woody ignore l’existence de la Flamme éternelle même s’il vit juste à côté depuis huit ans. Il n’a jamais vu sur la place une descente des autorités qui semblent avoir peur de la noirceur de la misère.
e Palais de justice est envahi par des mécaniciens. Sous les regards passifs des autorités, un garage y est improvisé. C’est là que travaille Johny Charles, ancien photographe converti à la mécanique. Sous un amandier en train de jouer au « damien », Johny avoue que ses collègues « mécaniciens ont tout bonnement choisi de venir travailler dans cet espace sans autorisation et sans opposition des autorités concernées ».
Jean Woody en train de bricoler. Ayibopost / Samuel Celine |
Le seul indice indiquant l’existence du Palais de justice dans cet espace est un buste abandonné au milieu d’un champ de ricin dit palma-christi, devenu lieu de défécation pour les mécaniciens. En face, le Mausolée de Jacques Premier, gardé par une barrière qui peine à tenir debout, est colonisé par des herbes sauvages et des délinquants occupés à tuer le temps.
Tout est permis Un peu plus loin, à la rue Montalais, des « car wash » sont improvisés au beau milieu de la route comme pour montrer aux dirigeants qui arpentent régulièrement le Champ-de-Mars, le résultat de leur irresponsabilité. Ici, une cinquantaine de jeunes travaillent. C’est ce que révèle Markendy, « Nous sommes ici tout seuls. Nous ne voyons personne et personne ne nous voit », clame-t-il.
À côté, la Place des artistes se bidonvillise avec la même frénésie que la Mairie de la ville y a construit et loué de petits restaurants à des particuliers. Depuis l’expérience faite sous Michel Joseph Martelly, la Mairie semble avoir pris goût à cet argent facile.
Rose est l’une des restauratrices qui viennent tout juste de s’installer avec l’aide de son mari qui a payé ». Elle explique : « J’étais parmi les marchands du Champ-de-Mars pour qui M
Comme Rose, plusieurs marchands se vantent aujourd’hui d’avoir négocié un espace au Champ-de-Mars devenu depuis longtemps un marché public.
Le Champ-de-Mars et ses hontes
Un peu plus haut, c’est le spectacle d’un Champ-de-Mars perdu entre des rues non identifiées qu’on coupe à longueur de journée sans avertir les riverains. À ce tableau s’additionne la présence des câbles que des compagnies de télécommunication laissent trainer sur les trottoirs. Ici, des égouts à ciel ouvert, comme c’est le cas à l’angle de l’avenue Magny et de la rue Piquant ; là-bas, comme à côté du Musée du Panthéon national, d’autres se cachent sous des tas de fatras.
Sur cette place publique, gare à ceux qui rêvent d’évasion. Des dizaines de véhicules, portant l’écriteau « Auto-école », roulent au Champ-de-Mars et rendent toute balade peu sûre. Pourtant, un véhicule de police est posté en face du bureau d’ethnologie et assiste quotidiennement à ce dangereux défilé d’apprentis chauffeurs.
Comble d’ironie, le véhicule blindé de ces policiers a les roues crevées et ne se déplace pas.
Les chantiers oubliés Au haut du Champ-de-Mars, le Rex Théâtre porte mal le poids du temps et surtout le poids des millions décaissés au nom de sa rénovation.
Au dos de la place des artistes, le Quartier général des sapeurs-pompiers est l’un des bâtiments publics où l’on peut encore constater l’ampleur du séisme de 2010. Les murs et les poteaux portent encore les fissures du cataclysme. Dans le dortoir sans toilettes, 3 lits pour 6 personnes semblent avoir été jetés dans une salle où toutes les fenêtres sont cassées. La présence des visiteurs gène considérablement une secrétaire qui, à moitié cachée derrière une pile de cartons, tente d’uriner dans une bouteille en plastique au vu et au su d’une dizaine d’hommes en uniforme.
« Nous vivons dans
la crasse au beau milieu de la ville », clame un sapeur-pompier requérant l’anonymat.
Tout près du Palais, l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti patauge dans un processus de reconstruction qui ne dit pas sa date de finition. Dans le plus grand centre hospitalier du pays, on manque de tout et les malades en souffrent énormément.
Un peu plus loin, à l’École Normale supérieure (ENS) — le principal centre de formation des professeurs — on travaille encore sous des hangars, 10 ans après le séisme de 2010. Une situation qui révolte étudiants et professeurs.
L’École nationale des Arts (ENARTS) aussi se meurt non loin de la plus puissante autorité du pays, le président.
À la rue de la réunion, le spectacle d’un pays dirigé par des élites qui improvisent est palpable : sous les terrains rasés depuis l’ère Martelly pour la construction de la Cité administrative de Port-au-Prince, des familles construisent des niches faites de matériaux récupérés.
Jadis, Jean Marc payait un loyer dans cette zone. Après la démolition des maisons, lui et une dizaine d’autres intrépides ont choisi d’habiter sur les ruines. Aujourd’hui, il a carrément reconstruit sur l’espace et dirige son commerce comme pour concurrencer un projet d’État qui va à pas de tortue.
Source : https://ayibopost.com/500-metres-du-palais-national-capotes-fatras-sans-abris-et-monuments-abandonnes/