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jeudi 3 janvier 2019

HONNEUR ET RESPECT A MES AÏEUX

Mutenfu Muteta, était un brave type. Un bon être humain et un bon chrétien. Il se faisait appelé Médard pour faciliter la prononciation des francophones qu’il côtoyait chaque jour.
On s’était croisé en cité universitaire. Il était zaïrois, architecte diplômé. Je lui avais fait découvrir la recette du « doumbwèy », qu’il avait trouvé carrément extraordinaire. Non seulement il l’avait adopté au détriment de la fameuse baguette, il avait envoyé la recette chez lui, au Congo/Brazaville.
Aujourd’hui, s’il était retourné chez lui après ces études, il serait devenu le patron d’une grande entreprise de fabrication et vente de doumbwèy. Tant la recette avait été appréciée/
J’avais écrit il y a quelques années un texte pour raconter cette histoire de doumbwèy et à travers les lignes de celui-ci, j’avais repris des détails intéressants de notre amitié. Par exemple un jour, autour d’un repas, il était venu dans mon studio avec un petit dictionnaire Larousse en main. Il tenait le livre ouvert à la page des cartes géographiques du monde et voulait que je lui indiquasse tout bonnement l’emplacement d’Haïti.
Pour tenir dans les deux pages du Petit Larousse, l’illustration géographique du monde a été dessinée sur une échelle très petite. Avec l’aide d’un style je pointai Haïti. Il regarda avec étonnement et ne me dit rien.
Quelques jours plus tard on revint sur le sujet et il me fit part de la raison de son étonnement devant la taille d’Haïti par rapport à l’Afrique et à la France.
En fait quand il assistait à ses cours en faculté de génie au Zaïre presque tout le personnel de l’administration était de nationalité haïtienne. Donc dans son esprit il voyait Haïti comme une grande puissance, regorgeant de ressources humaines trop bien formées et qui en envoyait en Afrique comme coopérant.
Je partageai avec lui mes explications de ce fait en lui parlant de notre histoire, de la coïncidence entre l’indépendance accordée aux pays africains et l’obscurantisme pratiqué par nos dirigeants politiques en particulier par François Duvalier. Haïti était pendant longtemps un des rares pays disposant de cadres et de ressources humaines nègres. (Explication plutôt rapide puisque ce texte ne compte pas aborder ce sujet !!)
Notre ami Mutenfu Muteta était très humain et réellement bon chrétien. Il assistait au culte le dimanche et à des rencontres de groupes de catholiques en semaine. En peu de temps, son cercle de connaissances était de loin beaucoup plus large que le mien. Un jour une famille catholique l’invita à dîner et il étendit cette invitation à ma personne.
Pendant le dîner, je n’ai su quelle mouche avait piqué notre hôte, qui voulut faire une incursion furtive dans l’histoire d’Haïti. Il se mit à parler de la guerre entre l’armée indigène et les troupes de Napoléon en évoquant plus une défaite provoquée par la fièvre jaune sur les troupes françaises que la victoire des armées des esclaves. A la fin du repas, je constaté que je n’y avais pas touché. Je lui avais fait un récit détaillé à la première personne du pluriel pour lui convaincre du contraire de ce qu’il avait lu dans les récits portés par les français. Mon récit déborda de cette passion qui fait revivre les évènements comme acteurs.
En arrivant à la maison, Mutenfu Muteta me confia qu’il ne reverra plus jamais les gens qui nous avaient invités. Il me décrivit la scène en m’assurant que j’ai été habité, le temps du récit, par l’un des ancêtres. J’avais les yeux exorbités prêts à cracher du feu. Je mimais les gestes avec une justesse d’exécution et que les gens avaient eu peur !
Bien entendu, je n’étais habité par aucun loa, ni aucun esprit. Je voulais enfin leur dévoiler cette vérité cachée.
Il y a quelques temps, La bataille de Vertières, s’est parée d’une certaine noblesse après la publication de « L'armée indigène: La défaite de Napoléon en Haïti (Mémoire des Amériques), de Jean-Pierre Le Glaunec.
J’ai dû recevoir plus de cent fois la vidéo retraçant le passage de ce professeur dans une émission de télévision pour parler de son livre et de la bataille de Vertières.
J’ai eu l’impression que ce fait a inculqué une sorte de fierté que l’on aurait perdu et que nous devions une certaine gratitude à ce Monsieur qui a probablement repris ce que savent tous les haïtiens.
J’ai bien entendu acheté le livre. Mais après quelques minutes de lecture, je me suis rendu compte que tout ce qui s’y trouvait écrit était pour moi du déjà-vu.
J’ai vécu le même effet que celui ressenti devant ces jeunes gens qui filment avec des yeux remplis d’admiration et diffusent des images d’étrangers (blancs) s’exprimant en créole !
Je me garde de donner une interprétation quelconque de cette admiration ; mais elle doit être révélatrice de quelque chose.
Ceux qui ont œuvré longtemps pour nous faire comprendre que la défaite des troupes de Napoléon a été la conséquence d’une épidémie de fièvre jaune qui les avait décimées, sont les mêmes qui nous ont appris sans aucun sens critique et qui nous ont fait rire quand on nous disait que Toussaint Louverture était appelé « Fatras-Baton », les mêmes qui nous ont rappelé toujours sans guillemets que nos ancêtres se faisaient appelés « magots coiffés de linges ».
Oui on en riait et on s’amusait à poser ces étiquettes déshonorantes sur nos copains.
Je suis fils de cette histoire qui raconte l’épopée d’un peuple se révoltant jusqu’à la mort pour exiger sa place dans l’humanité, se frayant un laps dans cette universalité. Cette histoire est codée dans mes gênes et elle configure ce que je suis et ce que j’entreprends.
Le livre du professeur canadien est certes bien venu mais il n’apporte rien ni me réconforte dans mes convictions.
Je n’ai surtout pas besoin de l’aval d’un étranger pour la valorisation de mon histoire.
Honneur et Respect à nos aïeux !
Dr Jonas Jolivert

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