Je suis d’un naturel méfiant par rapport aux lauriers
médailles et prix qui sont décernés à des méritants. Souvent l’aura qui
soutient ce mérite cache une réalité camouflée faite de tâches obscures
abjectes et abominables. Ma raison, qui ne correspond qu’à une logique très
personnelle, se base sur l’omniprésence de l’intérêt.
Celui là même qui me contraint de m’y intéresser quand autour d’un prix ou d’une nomination
gravite quelque chose qui a à voir avec Haïti.
Ainsi chaque année par exemple je suis en direct
l’attribution du Nobel de littérature. Notre immortel Franketienne en serait un
éternel candidat. Je devrais dire que je
suivais car j’ai été refroidi et pétrifié par le récipiendaire du Nobel
2016 : Robert Zimmerman mieux connu comme Bob Dylan !
J’ai vécu ce prix Nobel 2016 comme un vrai bras
d’honneur projeté contre le monde de la littérature.
L’attribution
des Oscars attira mon attention car un certain documentaire, « I am not
you Negro » avait été nominé pour le prix suprême de sa catégorie. Une production
cinématographique autour de l’œuvre de l’écrivain noir américain Alex Baldwin.
Mieux encore, ce documentaire a été réalisé par Monsieur Raoul Peck,
compatriote haïtien résidant en dehors d’Haïti.
L’admiration que je porte à ce concitoyen n’aurait
certes pas augmenté par la réception d’un Oscar. J’aurais été extrêmement
heureux que son travail soit reconnu de par sa qualité et par les valeurs qu’il
a toujours défendues derrière les Caméras.
Il ne doit pas être vu le Haïtien de l’extérieur
arborant la plus grande réussite mais il représente définitivement le citoyen
par excellence à avoir conjugué son succès à l’extérieur et sa préoccupation
active pour son pays.
Je venais de retourner en Haïti après ma formation
quand il accepta la fonction de ministre de la culture pendant quelques mois de
la première présidence de René Préval.
J’avais assisté au mega concert pour la paix mettant en
scène l’immense Wyclef Jean. Après le
concert les suites n’ont pas été brillantes et on a entendu un peu de tout sur
le sujet.
Lors des élections qui feront de René Preval un des
présidents à avoir fini deux mandats, il
avait rédigé une tribune invitant les haïtiens à éviter le choix Preval.
Toute sa filmographie alterne des œuvres ouvertes sur
le monde et sur Haïti en mettant souvent sans retenue le doigt sur les plaies
qui rongent le pays.
Après le flux de l’aide humanitaire abattue en
avalanches sur Haïti au lendemain du tremblement de terre, il porta à travers sa
caméra un regard sans concession sur l’aide humanitaire qui contribua peu au
relèvement du pays dans « Assistance Mortelle ».
Il a été le seul à avoir prêté ses outils au Président
Préval qui raconta dans des détails répugnants l’ingérence de L’ONU à travers
la Minustah dans l’issue truquée des élections qui feront de Michel Martelly,
Président de La République.
Après la diffusion d’Assistance Mortelle, ailleurs,
là où les gens sont moins zombifiés et surtout moins résilients, la population
gagnerait les rues pour exiger sans délai et sans négociation, le départ
immédiat de la Minustah.
Enfin pour ces raisons et bien d’autres encore je
m’étais accroché en croisant les doigts
à cette idée d’une consécration suprême par les décideurs du monde du cinéma.
Quand le concurrent et gagnant de surcroît résulta être
ce documentaire sur la saga de O J Simpson, je me suis demandé si on n’était
pas tout simplement entrain de mélanger torchons et serviettes. La réflexion
n’alla pas plus loin dans la mesure où il est archi connu que selon la
philosophie de remise de prix, il ne faut jamais chercher à y trouver une
logique quelconque.
Le fait que Monsieur Raoul Peck n’ait pas reçu un Oscar
pour « I am not your negro » me causa très peu de peine. Et comme le
font souvent les perdants je me suis dit que l’essentiel c’est d’avoir été nominé.
J’ai eu par la suite un peu de mal à coïncider du temps
libre avec la diffusion du documentaire que j’aurais regardé exclusivement à
cause du producteur.
Le sujet en lui-même dans mon subconscient a toujours
sonné comme un problème résolu depuis deux siècles.
Les rares moments où j’ai manifesté un brin d’intérêt
pour le sujet a été de savoir quel était le mot fort sorti du titre. Le I, le Your ou le Negro.
Un ami collectionneur de livres fit par erreur une
double commande de la version livre du documentaire.
Des les premières nouvelles sorties autour de l’œuvre
cinématographique, je me suis précipité sur des livres du fameux Alex Baldwin
dont je reconnais honteuse et humblement n’avoir jamais entendu parler.
Et j’ai aussi fini par comprendre pourquoi.
Avec Amazon ça a été vite réglé. En quelques jours j’en
avais commandé et reçu plus d’une dizaine !
Mon ami me fit don du livre « I am not your negro ».
J’ai envie de dire -malgré les opinions innombrables de
ceux qui ne seront pas d’accord avec moi – que j’ai souvent tendance à appréhender
ce sujet comme démodé.
Quand Senghor et Aimé Césaire fondèrent le mouvement la
négritude, celui-ci a eu à reconnaître en Haïti, le pays où la négritude s’est mise debout
pour la première fois. Donc on pourrait dire que nous autres les haïtiens nous
avions résolu le problème de la « revalorisation » du nègre et de sa
culture par la victoire de Vertières qui a eu la suprême et sublime vertu de
convertir le nègre en homme.
De là toute ma surprise et mon étonnement devant des
mouvements comme la « Supranegritude » qui pour d’autres et je l’admets, garde toute son intérêt. Je reprendrais
volontiers cette phrase du Nobel de littérature qui disait que « le tigre
ne déclame pas sa tigritude. … »( WOLE SOYINKA)
J’ai eu une rencontre assez sympathique avec une
représentante du mouvement « Noir et Fier » (Nofi). Avec beaucoup de précaution j’avais
essayé de lui faire accepté que nous autres les haïtiens nous ne concevons même
pas d’exprimer une quelconque fierté d’être noirs ou nègres puisque on ne voit
pas souvent un homme entrain d’exhiber sa fierté d’être homme !
Dans le subconscient et dans la conscience de
l’haitien, nègre est synonyme de garçon. Ainsi ce n’est pas une erreur
syntaxique ou conceptuelle que d’entendre de la bouche d’un haïtien se référant
à un footballeur arien de l’équipe nationale d’Allemagne cette phrase qui
traduirait ce blanc est un garçon costaud
(blan saa gwo nèg ) ou de Lionel Messi « ce nègre joue bien au
ballon » (nèg saa konn jwe boul ).
Je suivais quelques séquences d’un documentaire qui fut
un instant à la mode. Une réalisation d’une cinéaste « indépendante dans
laquelle elle ventait la beauté des plages et des sites touristiques. Là je
m’exprime avec une certaine légèreté voulue autour de son œuvre qui a été très
bien acceptée et reçue par les haïtiens de la communauté.
Justement l’élément qui m’a enlevé tout l’intérêt que
comporte sans doute ce documentaire vint
du visionnage de cette séquence où elle essayait de convaincre des adolescents
haïtiens de ne pas l’appeler « blanc ». Elle eut une lecture très
superficielle d’une manifestation d’une profondeur formatrice et de portée
universelle. Elle qui est nègre ne concevait pas que ces jeunes haïtiens
l’appellassent « blanc ». Elle
ne pouvait pas comprendre que le terme blanc signifiait simplement étranger ou
non-haïtien.
Dans le « discours au drapeau du président
François Duvalier, il nous rappelait que Haïti était un pays de nègres. Comme
les pères de la patrie l'avaient rêvé, Haïti a été créé pour être « une
patrie ou le NEGRE haïtien se sente souverain et libre ».
Ce n'est donc pas un hasard si à travers les années,
les haïtiens ont fait du mot nègre le synonyme du substantif homme.
Récemment, la presse canadienne rapportait un cas de
Jurisprudence qui avait conduit à la condamnation d’un individu qui avait
traduit en justice un autre citoyen qui avait utilisé nègre comme une injure.
J'ai compris en cette occasion, combien l'œuvre haïtienne dans ce domaine était
transcendante. Dans le conscient et dans le subconscient de l'haïtien, le mot
nègre n'est pas perçu comme une injure. Et ce fait qui n'est pas sans
importance est sous évalué. C'est sans doute la raison qui a justifié
l'entêtement de la documentaliste à faire comprendre aux jeunes haïtiens qui l'appelaient
« blan », pour signifier qu'elle était étrangère, quelle était
noire !
Suite à la
diffusion par la presse canadienne du cas de condamnation pour injure contre un
individu qui avait traité de « nègre », un activiste haïtien de la
Diaspora s'en est tellement réjoui qu'il a incité les compatriotes de ne pas
hésiter à porter plainte contre ceux qui utilisent le mot !
Ainsi, malgré les commentaires plutôt dithyrambiques
s’affichant sur la couverture du livre support de « I am not your
negro », les mots de Baldwin
rapportés et inscrits sur la quatrième de couverture me parurent presque
choquants.
On y lit en effet : « CE que les blancs
doivent faire , c’est d’essayer de trouver au fond d’eux-mêmes pourquoi, tout d’abord,
il leur a été nécessaire d’avoir « un nègre », parce que je ne suis
pas un « nègre ». Je ne suis pas un nègre, je suis un homme… »
Puis je me suis
demandé pourquoi et comment un Raoul Peck pouvait trouver un intérêt quelconque
à parler de quelqu’un qui dans les années soixante disait qu’il n’était pas un
nègre mais un homme ?
Et la réponse je l’ai eu à l’intérieur du livre quand
Raoul Peck trouva indispensable de s’expliquer. En effet en pages 15-18, on lit ce qui suit :
« Que
suis-je venu chercher dans les mots de Baldwin ? Je viens d’un pays qui a
une forte idée de lui-même, un pays qui a combattu et vaincu l’armée la plus puissante du monde – celle de
Napoléon- et qui, chose historiquement unique, a stoppé net l’esclavage,
accomplissant en 1804 la première révolution d’esclaves réussie dans l’histoire
mondiale. Je parle là d’Haïti, le premier pays libre des Amériques. Les haïtiens
ont toujours su que le récit dominant n’était pas le récit véridique.
Cette
révolution haïtienne réussie, l’histoire n’en n’a pas tenu compte parce qu’elle
imposait un récit radicalement différent, lequel rendait intenable le discours
esclavagiste de l’époque. Sans leur justification civilisatrice, les conquêtes
coloniales de la fin du XIX ème siècle auraient été idéologiquement
impossibles. Et cette justification n’aurait pas été viable si le monde avait
su que les « sauvages » africains avaient anéanti de puissantes
armées (surtout celles de français et des espagnols) moins d’un siècle
auparavant.
Dans
un consensus inhabituel, les quatre
superpuissances se l’époque ont étouffé Haïti, cette première République
Noire. Ils l’ont placée sous un embargo économique, diplomatique et militaire strict,
c’est-à-dire l’ont étranglée et plongée dans la misère, l’ont rendue
négligeable.
A
la suite de quoi ils ont réécrit toute l’histoire.
Lorsque
j’ai commencé à lire James Baldwin, j’étais un adolescent à la recherche d’explications rationnelles aux contradictions que j’affrontais
dans une vie déjà nomade, vie qui allait me mener d’Haïti au Congo puis en France, en Allemagne et
aux USA. Avec Aimé Césaire, Jacques Stephen Alexis, Richard Wright, Gabriel
Garcia Marquez et Alejo Carpentier, James Baldwin était l’un de ces auteurs,
peru nombreux dont je pouvais dire que c’étaient « les miens ». Des
auteurs qui parlaient d’un monde que je connaissais et dans lequel je n’étais
pas juste « une note en bas de page » ou un personnage de troisième
zone. Ils racontaient des histoires et décrivaient l’Histoire et définissaient
des structures et des relations humaines conformes à celles que je voyais
autour de moi …
J’ai
grandi à l’ombre d’un mythe dont j’étais à la fois acteur et victime : le
mythe d’une Amérique unique et incomparable. Le scénario était bien écrit, la
bande-son écartait toute ambigüité, les acteurs de cette utopie, qu’ils fussent
noirs ou blancs, emportaient l’adhésion. Malgré de rares et épisodiques revers,
le mythe était la vie, devenait la réalité même.
Je
me souviens très bien des Kennedy –
Bobby et John -, d’Elvis, d’Ed Sullivan, de Jackie Gleason, du Dr Richard
Kimble et de Mary Tyler Moore. JE me souviens un beaucoup mois d’Otis Redding,
Paul Robeson et Willy Mays.
C’est
bien plus tard que je suis tombé sur Medgar Evers, Malcom X, Martin Luther King
et leur assassinat. Neanmoins, ces trois faits, ces trois éléments historiques
constituent le point de départ – les « pièces à convictions » aurait
dit Baldwin- d’une réflexion personnelle intime et profonde sur ma propre
mythologie politique et culturelle, sur ce que j’ai vécu moi de racisme et de
violence intellectuelle.
C’est
à ce moment que j’ai vraiment eu besoin de James Baldwin. Car Baldwin savait comment
déconstruire des récits pour les replacer dans le bon ordre et dans leur
contexte fondamental. Il m’a aidé à faire le lien entre l’histoire d’une nation
libérée – Haïti- et celle des USA, pays moderne avec son propre héritage d’esclavage
sanglant et douloureux. J’ai pu lier les espaces manquants du récit.
Baldwin
m’a donné une voix, les mots et la rhétorique. Lors de ses obsèques, Toni
Morisson a déclaré : « Tu m’as offert une langue dans laquelle me
loger, et c’était un cadeau si parfait que j’ai l’impression de l’avoir
inventée. »
A
tout ce que je savais, à tout e que j’avais appris d’instinct ou d’expérience,
Baldwin a fourni un nom et une forme. J’avais désormais les armes
intellectuelles qu’il me fallait. »
Quand j’aurai du temps je me lancerai dans la lecture
de la dizaine de livres de Baldwin. Mais mieux que cela je me procurerai vite
toute la filmographie de Raoul Peck un citoyen haïtien engagé dans le bon sens
et le bon côté du combat.
Sans aucun doute de tels récits, de telles œuvres doivent
forcément contribuer à dire sans aucune réserve ni retenue, que je suis Nègre !
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