CHAPITRE XXX
Gaspard ne trouva
guère étonnante, la nature des programmations radiophoniques de ces premières
heures du matin.
En parcourant le
cadran, assis devant ses papiers en proie au doute et aux incertitudes
immédiates, il sentit aussi l'attentisme qui s'était emparé de la ville. Peut être
tout le pays s’y vautrait déjà.
Les stations de
radio qui depuis l’aube diffusaient des émissions à forte teneur religieuse ne
dérogeaient point à leurs coutumes. D'ailleurs rien ne les obligeait à le
faire. C'est surtout dans des moments de troubles qu'il faut rechercher la paix
à coups de prières, de psaumes et de cantiques.
« En route
avec Jésus », « debout pour Christ », « la cohorte des
saints », étaient autant de titres
de programmes qui s'accordaient parfaitement à la situation.
D'autres stations
de radios avaient carrément affiché leur penchant pour le régime à la mode. La
programmation du matin avait été certes modifiée pour la grande majorité. Pas
de panéliste ni d'intervenant. Seulement de la musique engagée.
Et dans le genre,
le chef du régime avait inspiré pas mal de groupes et institutions musicales de
telle sorte que la discographie dédiée à sa personne, sa cause et ses œuvres
était conséquente.
La chanson la plus
diffusée représentait une pointe directe lancée contre ceux qui voudraient
joindre les rangs des mutins. Elle comparait les citoyens à un paquet de crabes
ligotés qui cherchent à pincer les doigts de celui qui veut bien les libérer.
D'autres stations
du même bord rediffusait des discours prononcés lors de l'inauguration de
certaines réalisations capitales comme l'aéroport international qui portait son
nom d'ailleurs et la seule centrale hydroélectrique dont dépendait
l'électrification d'une grande partie du pays.
Les stations
reconnues pour leur tendance plutôt contraire misèrent sur une neutralité trop
prononcée qui pointa bien clairement leur attitude opposée au régime.
Leurs programmations
composées de musiques classiques, instrumentales et de chansonnettes françaises
ne surprirent pas Gaspard qui finit par accepter l'évidence. Pour l'instant ce
n'est pas à travers la radio qu'il allait se renseigner et s'informer.
L’obscurité de sa
chambre se dissipa graduellement avec la rentrée des rayons de soleil par les
murs en bois ajourés de la pièce. La cour était de plus en plus réveillée.
A chaque bruit
d’arme lourde, les gens qui commençaient à reprendre leur rythme habituel de la
journée, sursautèrent et restèrent figés quelques secondes avant de reprendre
leur souffle et continuer à vaquer à leurs occupations.
Il était clair que
les écoles chômeraient. Aujourd’hui et jusqu’à nouvel ordre. La cour sera
beaucoup plus bruyante et animée. Ce sera un jour de vacances d’été avant
l’heure. Ceci ne plait pas beaucoup à gaspard qui ne pourra surement pas
travailler chez lui.
Les premiers
enfants à se réveiller, déroulèrent leur routine sans trop se soucier du
bombardement dont faisait l’objet le palais national et d’autres édifices
publics du centre ville.
Les odeurs à café,
les aromes à cannelle, mélisse, citronnelle vinrent annoncer une journée
normale.
Pourtant, ce matin,
Gaspard n’a eu ni son gobelet de café
fumant sur sa table, ni son seau d’eau posé en périphérie du monticule de
pierres, attenant au mur.
Pour lui débutait
une journée de merde. Il souhaitait de toutes ses forces une issue la plus
rapide possible. Pour lui définitivement
la meilleure option aurait été la continuité pure et simple. Les changements de
gouvernement charrient en fait trop de changements dans l’administration. Des
modifications qui ne font que retarder les choses et faire perdre du temps.
Dans l’intérêt de
son enquête, il avait peur que ses personnages cibles n’aient été obligés de
quitter le pays. Il reconnut quand même
que son intérêt personnel passait, en
cette occasion, avant l’intérêt de sa
chère nation.
Il avait tout prévu
sauf cette énième révolution.
Dans son agenda
pour l’après midi d’aujourd’hui, il avait rendez-vous avec le cordonnier pour
récupérer ses chaussures et surtout pour discuter avec lui de Sion. Ce pays vers ou il faisait route tous les
matins. Accompagnés de sa femme et ses enfants. Sans oublier ses poules, son chien et son chat.
Il espérait de
toutes ses convictions un éclaircissement rapide de la situation car il se
trouvait cloîtré chez lui sans pouvoir entamer sa journée.
Il ne savait pas si
la marchande de café avait osé braver les tir d’obus et de mortier pour
préparer son produit. Il ignorait aussi si le petit garçon qui joue le rôle de
messager ne se trouvait pas caché sous
un lit, paralysé par la peur.
Il allait falloir
se démerder ce matin.
C’est compliqué de
vivre avec toutes ces incertitudes. L’attentisme est l’antichambre de la mort. Un pas vers le néant. Il vous éloigne
de la réalité et de ses vérités. Lui, il avait puisé son essence vitale dans
l’action et dans l’activité. Il vivait parce qu’il agissait. L’horreur de subir
les choses lui avait taillé une renommée d’enfant pommé puis de jeune homme
ayant perdu la raison.
D’ailleurs ce sont
ces mots qui revenaient le plus souvent quand il parlait à quelqu’un de
l’importance et du sérieux de son enquête.
Il n’a jamais
compris pourquoi il a toujours été le seul à capter l’évidence qui se cachait
dans la succession de ces faits qui a commencé par la présence d’une voiture
sur le faite d’un arbre centenaire d’un cimetière suivie sept cent soixante dix
sept jours plus tard par un accident mortel dans lequel avaient perdu la vie
les deux occupants de la voiture perchée.
Une curiosité utile
l’avait rongée depuis les premiers instants. Ses heures d’insomnie ne se
calculaient plus. Il écrivait la nuit ce qu’il corrigeait le matin. Des
synthèses, des hypothèses et des déductions se succédèrent. Mais il lui était
impossible voire interdit de ne pas
chercher à comprendre et à savoir.
Aujourd’hui, ou
plutôt hier, il se trouvait à deux pas de résoudre les énigmes indispensables
pour accoucher la démonstration de ses hypothèse et la conclusion de son
enquête.
Il y était presque.
Avant le passage de
l’avion avec ses tracts, le départ de
Lamentin d’un vaisseau de guerre, il avait interprété à moitié l’énigme
photographié pendant les funérailles.
Dans l’ordre
logique qu’il avait établi, il lui restait cette visite chez le pasteur pour
avoir sa version.
En passant il lui
aurait posé des questions pour savoir si au moins lui il était conscient que
ces fidèles sans trop savoir pourquoi, se déclaraient sionistes en faisant
route vers Sion leur beau pays.
Il était évident
que pour la grande majorité de ses ouailles le mot Sion représentait juste un
son. Et pour eux ce n’est pas le mot clé
de la chanson. D’ailleurs pourquoi s’emmerderaient-ils à se poser la question
sur un mot quand dans la chanson il est question que chaque soldat devra
recevoir la gloire après la souffrance ?
Combien de fois
dans ses sermons, le pasteur ne leur avait-il pas dit qu’ils étaient des
soldats de Christ ?
Ils avaient fini par s’assimiler à de vrais
soldats de Dieu. Et dans la chanson, ils étaient contents de savoir que comme
soldats, ils recevraient la gloire.
Toute gloire est
toujours bonne à prendre.
Même l’imméritée,
l’usurpée ou la divine. Surtout pour des humains qui se retrouvent un bon matin
les mains vides, liées derrière le dos obligés à prendre un train en marche. Le
train ou ne survivent que les braves.
Ce train-monde ou
l’humain ressemble plutôt à un élément de décor que le porteur et forgeur de
vies. L’être humain avec ses grimaces et ses gémissements, avec ses fausses
joies et ses rires sur commandes semble animer une parodie pour se moquer
d’eux-mêmes.
Il lui restait
aussi à élucider l’énigme des noms des filles divulgués lors du poignant
témoignage d’un des jeunes hommes. Elbaid et Refne.
Sa planification
était presque toute établie avant ce matin.
Aujourd’hui il doit
tout reprendre à zéro. Depuis son café, son seau d’eau puis sa douche.
Mais les tirs
continuaient encore et encore. Les forces gouvernementales ne répliquaient
toujours pas. Les échos s’écoutaient toujours et semblaient sortir d’un même
unité spatiale.
La vie revenait
petit à petit dans la cour et dans les rues avoisinantes. Des voitures
circulaient. En nombre beaucoup plus restreint que d’habitude. Mais les
véhicules transportaient des gens qui se sentaient obliger d’aller au travail.
En fait, le
gouvernement avait adopté comme méthode de réplique, l’indifférence. Il voulait
prouver à l’ensemble de l’opposition, mutins compris, que la population était
confiante et serein.
Les employés de
l’administration publique avaient reçu l’ordre formel et presque menaçant de se
démerder comme ils pouvaient pour arriver à leur travail tôt le matin comme
tous les jours.
Beaucoup ont fait
la route à pied.
Gaspard aima ce
qu’il pressentait.
Les bruits des tirs
finirent comme une banalité à intégrer l’environnement sonore de la ville. Ainsi entre les avertisseurs sonores, le
ronronnement des moteurs, les disputes de ménages, les vendeurs de tout, les
tirs de cannons faisaient sursauter les passant sans s’inquiéter.
Les enfants les
plus jeunes applaudissaient dans un vacarme épouvantable chaque détonation....
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire