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dimanche 25 avril 2010

Un enfant haïtien a-t-il de l’avenir?


(En Haïti et en République Dominicaine) 
Certains observateurs n’hésitent pas à dire qu’ils sont rares les gouvernements, en Haïti, qui aient envisagé l’enfance comme un espoir, comme une promesse, comme un regard anticipé sur l’avenir. D’autres, plus exigeants, affirment que l’absence d’une politique de l’éducation,  voire l’obscurantisme, ne rend les citoyens que plus vulnérables, plus enclins à céder sous le charme des discours inutiles des politiciens de ce pays. Un constat aussi sévère ne saurait se justifier qu’en fonction d’une observation objective de ce qui se passe réellement sur le terrain. Et que nous indiquent les faits ?
I.                   La fin d’une tradition familiale
Bien qu’Haïti représente en général pour tout être humain tant soit peu conscientisé, un milieu inclément, et peut être même à cause de cette caractéristique-là, l’éducation des enfants a toujours été une priorité pour la majorité des parents. Même les plus pauvres, ceux qui affrontent la misère, abandonnés à eux-mêmes dans les coins les plus reculés, les zones rurales les plus lointaines du territoire, avaient pris l’habitude de cultiver leur propre stratégie pour répondre à cette obligation morale, la scolarisation de  leurs enfants. Leur philosophie consistait – car il faut le répéter - à « offrir le pain de l’instruction » qu’ils n’ont pas reçu, à ceux qu’ils ont mis au monde. C’était la seule façon d’espérer atteindre un jour, indirectement, ce que, devenus adultes (dans la plupart des cas) trop vite, ils n’avaient pas pu réaliser eux-mêmes.
 En effet, dans un environnement aussi difficile que celui qui nous occupe, et sans qu’on puisse établir avec précision l’origine de cette pratique, les paysans haïtiens appliquaient une forme toute particulière d’épargne. Cela consistait à passer le plus clair de l’année à faire de l’économie (si le mot n’est pas un abus) et le peu qu’ils réussissaient à accumuler, ils l’investissaient en achetant des animaux d’élevage. A cause de son niveau de rentabilité, c’est le porc – cette tirelire des pauvres - qui avait la cote auprès d’eux. C’était donc normal qu’au cœur des vacances d’été, ils se frayent un petit espace pour écouler leur marchandise afin d’être prêts à répondre aux exigences financières de la nouvelle année scolaire. C’est avec le cœur serein, le front plein d’orgueil qu’ils accompagnaient leurs petits savourer la beauté des premiers jours de classe. Mais le malheur qui, dans cette moitié d’ile, ne s’est jamais fait trop attendre, a voulu que se présente la fièvre porcine. Voilà une autre tragédie qui est venue bouleverser les calculs des plus optimistes dans le pays le plus pauvre de l’hémisphère. Le gouvernement en place, pour répondre aux exigences des organismes internationaux, a décrété purement et simplement l’élimination des porcs. Et c’était tout.

II.                Le trafic d’enfants
Dans ces circonstances adverses, où les gouvernements fonctionnent toujours sous le régime de l’improvisation et du provisoire, rien d’autre n’a été envisagé. Pas d’aide à la promotion de la petite entreprise, comme le font d’autres pays en développement (La République Dominicaine, par exemple), pas de prêts aux familles affectées par l’abattage des porcs, absolument rien ! La dégringolade économique n’a pas tardé.  Mais la chute aurait pu être moins spectaculaire si les coups d’états successifs, les répressions militaires, les groupuscules armées par le cacique de l’heure (occupant le Palais national), et toute l’instabilité qui s’ensuivit, n’avaient pas effrayé les investisseurs qui ont fini par déménager les rares usines qui existaient encore vers d’autres territoires des Caraïbes et de l’Amérique Latine dont la République Dominicaine. Et ils ne sont pas rares, les investisseurs haïtiens qui se sont eux-mêmes établis hors du pays. Comme on peut en déduire, ce deuxième coup fatal porté à l’économie, n’a fait qu’envenimer l’atmosphère et approfondir l’isolement des enfants,  victimes majoritaires du chaos et dont l’avenir était déjà très incertain.
Dans les eaux troubles de cet environnement on ne peut plus fragile, des groupuscules de délinquants d’origines diverses, n’ont pas tardé à lancer leurs hameçons dans toutes les directions. Ce n’est pas que ces enfants n’aient pas été auparavant exposés au contact de ces malfrats. Mais le phénomène a pris de l’ampleur et les prédateurs, sexuels entre autres, pouvaient désormais s’afficher avec moins de scrupule. La crise d’autorité, qui est d’abord morale, n’a pas manqué de favoriser l’expansion de cette tragédie. Le chiffre de « 30 000 enfants trafiqués »1 a été avancé, en novembre 2005, après plusieurs études réalisées dans la ville frontière de Ouanaminthe par des émissaires de la Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme. L’on comprend bien que le viol, la mutilation, l’exploitation sexuelle des enfants ont pris une force jamais atteinte jusque là. Face à ce fléau devenu national, Madame Sylvana Nzirorera, porte-parole de l’Unicef en Haïti, n’a pas hésité à montrer ouvertement sa déception et sa stupeur. Le taux de mortalité infantile chez les enfants de moins de cinq ans avait déjà franchi la barre des 83 pour mille naissances en 2002 selon le ministère de la santé publique. Violent contraste par rapport à Cuba (après un demi-siècle d’embargo), par exemple, où il était de 6 décès pour mille naissances.2 Les causes principales de ce niveau de mortalité étaient la diarrhée, la malnutrition et les infections respiratoires aigües. N’est-il pas évident que la place de l’éducation, dans ces circonstances, devient secondaire ?

III.             Les restaveks

Par ailleurs, un phénomène tout aussi scandaleux que le précédent, qui tant bien que mal tendait à s’amenuiser en Haïti, a repris du terrain avec la crise, celui des restaveks (enfants employés comme domestiques). De quoi s’agit-il, se demanderont certainement ceux qui ignorent tout de cette forme d’esclavage moderne qui sévit encore en plein cœur du siècle de l’informatique? Des milliers de parents pauvres, incapables de répondre aux besoins de leurs enfants, les confient à d’autres  mieux lotis, dans l’espoir qu’ils puissent au moins être nourris et vêtus. Rien que cela. Toutefois, dans les faits, la plupart de ces enfants sont maltraités, exploités à l’extrême, et privés de tout. Forcés d’être sur pied dès quatre ou cinq heures du matin, ils n’ont aucune chance de se reposer avant dix-huit ou vingt heures d’activités continues. Ce phénomène qui a attiré l’attention du monde et que le comédien haïtien Maurice Sixto a décrit avec un réalisme poignant, commence finalement à être considéré comme un accroc au respect des droits de l’enfant. Plusieurs organisations s’y sont penchées, et actuellement, celle qui porte, pour ainsi dire, le premier violon sur le terrain, c’est l’organisation humanitaire Terre des hommes. Elle offre de l’assistance à de nombreuses organisations locales dont la plus importante porte précisément le nom de Maurice Sixto et est dirigée par un prêtre haïtien.

IV.             Les apatrides
Ce cancer moral déjà humiliant pour un peuple qui, comme on se plait à le dire,  « a promené la torche de la liberté à travers les Amériques » (voir le dernier éditorial de La Machette), ne s’arrête pas là. Comme une conséquence de ce désarroi local, couvé sous les cendres de l’ignominie, cette même tragédie  traversant la frontière fait métastase, d’une manière encore plus horrible, en République Dominicaine. En effet, chez ce peuple voisin qui a passé des décennies à améliorer le sort de ses propres enfants,  l’image d’Haïti se trouve considérablement ternie. Plusieurs milliers d’enfants ont eu le malheur de naitre dans les bateys (habitations de fortune, privées d’eau courante, d’électricité ou de tout autre service, hébergeant les ouvriers agricoles haïtiens dans les cannaies de la République Dominicaine) où leurs parents ont donné leur sueurs et leur sang pendant au moins un siècle pour alimenter l’économie de la République Dominicaine.  C’est en marge de cette même économie-là qu’ils ont connu une existence totalement misérable. Quelle différence entre la misère de ces enfants et celle de leurs congénères en Haïti ? Ils sont en plus des apatrides ! Les lois dominicaines ne leur permettent point d’obtenir un acte de naissance. Ils ne peuvent donc pas, eux non plus, fréquenter l’école. Ainsi, après le sacrifice de leurs parents qui ont tout donné à l’économie de ce pays, ils n’ont aucun droit de recevoir les bénéfices qui devraient logiquement en dériver. Le comble, c’est qu’à chaque descente de police pour rapatrier leurs parents illégaux3, ils sont sûrs de les accompagner pour aller grossir le lot déjà excessif d’enfants sans avenir en Haïti. Voilà le cercle vicieux dont les politiciens haïtiens se rendent complices. « Il est inacceptable qu’une crise politique prenne en otage les enfants haïtiens »4 s’est indigné le Dr Frantz Large, un médecin haïtien qui connait le problème de première main.

La Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme n’ignore pas ce qui se passe en Haïti (ni de l’autre côté de la frontière). Son rapporteur sur la situation de l’enfance, M. Paulo Sergio Pinheiro, lors d’un périple de trois jours dans ce pays en novembre 2005, a déclaré  que « La délégation exprime sa préoccupation suite aux graves dénonciations qu’elle a reçues concernant la traite et le trafic d’enfants et d’adolescents des deux sexes utilisés pour le travail domestique, l’exploitation sexuelle et autres occupations dégradantes »5. L’Unicef, pour sa part, avait déjà constaté en 2003 qu’ « entre 2 000 et 3000 enfants sont trafiqués annuellement vers la République Dominicaine »6. Sans doute ces dénonciations apportent-elle une lueur d’espoir. Mais elles ne suffiront pas. Il ne suffit pas que les organismes internationaux constatent le résultat des désastres que les gouvernements ont cumulés à travers les années, il faut qu’une structure soit mise en place, il faut que des procédures clairement élaborées soient établies. Un pays qui ne repose que sur l’assistance internationale et sur la bonne volonté des Organisations non gouvernementales (ONG) est tout, sauf un pays. La balle ne peut se trouver que dans le camp des politiciens. A eux de dire jusqu’où ils veulent conduire la nation. Se décideront-ils enfin à l’éloigner du précipice ?
Renos Dossous

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