José Pliya, auteur franco-béninois, a créé une version scénique d'«Amour, Colère et Folie», roman culte de l'Haïtienne Marie Vieux-Chauvet. Un formidable moment de théâtre
Les persiennes sont tirées. Dehors, il fait très chaud, la rue gronde. Dedans, Claire, une vieille fille, belle encore, brûle de sensualité, d'amour pour son beau-frère, de rage contre son sort de fille «mal sortie», noire, alors que ses soeurs sont blanches et aimées. Incroyable et haute figure que cette Claire par-delà la morale, enfantée par une romancière haïtienne morte en exil à New York en 1973 : Marie Vieux-Chauvet. Elle avait 52 ans. Son roman, «Amour, Colère et Folie», publié par Gallimard en 1968, fut interdit sous Duvalier et jamais distribué. Il plonge le fer dans une fournaise où bouillonnent frustrations sexuelles, sociales, raciales et politiques, sur fond de violences, de meurtres et de viols.C'est en Guadeloupe, pas très loin d'Haïti, qu'une partie de ce roman, «Amour», a été pour la première fois portée à la scène : le choc n'est pas moindre qu'à la lecture. Une comédienne haïtienne flamboyante de dureté et de vie, Magali Comeau-Denis - voix et présence compactes, intenses -, hante le monologue tourbillonnant de Claire tandis que tressautent parfois de vieilles bandes d'actualités et que rôde un danseur délicat (Cyril Viallon). L'adaptation est signée de José Pliya, auteur franco-béninois du «Complexe de Thénardier» ou de «Nous étions assis sur le rivage du monde». Auteur heureux, joué et traduit, Pliya est à l'origine de la naissance scénique de ce roman de Marie Vieux-Chauvet réédité en 2005. Quand il le découvre, José Pliya le dévore en deux jours. Il décide d'en faire son projet d'écrivain-directeur de l'Artchipel, la Scène nationale de la Guadeloupe, sise à Basse-Terre, qu'il dirige depuis trois ans. Il taille, élague dans le roman, avec l'art d'un jardinier amoureux, pour en faire surgir, avec sa patte de poète, trois monologues de femme.
Il imagine aussi - et cette fois c'est le directeur qui parle en lui - de produire une trilogie, sur trois ans, avec trois metteurs en scène différents : Vincent Goethals, qui vient de signer «Amour», sera suivi de François Rancillac pour «Colère» et, pour «Folie», du Martiniquais José Exelis, qui créa l'an passé «Comme deux frères», la première pièce de la romancière Maryse Condé. Encore une initiative de l'Artchipel, qui multiplie ateliers, résidences, lectures, prix pour soutenir le renouveau des écritures caribéennes et les jeunes talents - acteurs, auteurs et musiciens. Et ce malgré un handicap de départ : sa subvention (Etat, conseil général et conseil régional) est inférieure d'environ 20% à celle de ses homologues métropolitains. Sans compter une lourde charge, celle du fret aérien !Ce cocktail détonant - un roman haïtien adapté par un auteur franco-béninois, mis en scène par un «métropolitain» et joué par une star haïtienne - a évidemment fait grincer les dents chez les défenseurs de l'identité guadeloupéenne. Mais précisément, ce beau projet évite le tête-à-tête exclusif qui entache trop souvent les rapports artistiques entre la métropole et les Antilles.
José Pliya croit - et qui lui donnerait tort ? - que la meilleure réponse au repli identitaire est celle de l'aventure commune des poètes, des artistes. Et aussi d'une audience reconquise à force d'ouverture à l'autre, ainsi lors de ces soirs où de jeunes tagueurs expriment en direct sur de larges toiles la vision que leur a inspiré le spectacle en cours. Le public, lui, peut discuter et dîner en plein air sur le parvis de l'Artchipel, qui surplombe la mer ouverte sur d'autres rives. Celles de Martinique, de Guyane, de Cuba, d'Haïti, et un peu plus loin des Etats-Unis (le directeur de l'Ohio Théâtre a fait le voyage pour «Amour») ou du Canada.
Au sortir d'une rencontre avec des lycéens guadeloupéens, Magali Comeau, elle, songe, comme pour elle-même : «Ces enfants ont bien de la chance.» Plus tard, elle dira : «J'aimerais jouer «Amour» en Haïti. Ce peuple, si pauvre, meurtri, a conservé avec ses artistes des liens tellement forts !» Celle qui fut l'épouse d'Hervé Denis, grande figure théâtrale, politique et ami de Jean-Marie Serreau, celle qui fut, aussi, ministre de la Culture d'Haïti entre 2004 et 2006 puis fondatrice du groupe Non ! contre le second gouvernement Aristide songera encore, se souvenant des nuits de feu et de sang où elle a «tutoyé» la mort : «Je n'ai jamais voulu quitter Haïti.»La voici à Paris, avec «Amour». Une création qui honore le théâtre français tel qu'on l'aime : pas frileux. A voir : «Amour», d'après Marie Vieux-Chauvet, adaptation José Pliya, mise en scène Vincent Goethals, Tarmac de la Villette, du 1er au 19 avril. 01-40-03-93-95.
A lire : «Amour, Colère et Folie», de Marie Vieux-Chauvet (Zellige), et l'adaptation théâtrale de José de José Pliya (Quatre Vents / L'Avant-Scène théâtre).
Odile Quirot
(Extrait de Le Nouvel Observateur semaine du jeudi 27 mars 2008)
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=55913&PubDate=2008-03-27
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
jeudi 27 mars 2008
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