Ce jeudi 15 novembre marque le centenaire de la mort de Justin Lhérisson, décédé à l'âge de 34 ans. Nous publions dans cette édition l'article sur ses funérailles, paru le 20 novembre 1907 dans son journal Le Soir. Moments de fortes émotions. Et témoignages chrétiens d'un écrivain qui se tourne vers Dieu :"Je n'ai pas commis aucun crime. Je n'ai que des fautes. Pardonnez-moi..."
Quand, au mois de juillet de cette année, notre ami tomba malade peu après la mort stupéfiante du pauvre docteur Numa, personne ne pouvait prévoir qu'il dut, lui aussi, comme Godefroy, le jeune et doux sceptique, comme Clément Bellegarde, incarnation de la vigueur et de la franche gaîté, - et les autres disparaître sitôt. Ses funérailles qu'il a voulu simples et austères comme d'ailleurs le fut sa courte vie ont pris cependant, sans qu'on eut en fait pour cela, le caractère d'une grandiose et consolante manifestation. La société de Port-au-Prince, en ses diverses couches, tous ceux qui travaillent ont tenu à coeur à rendre au cher disparu l'hommage qui lui était dû.
A côté de plusieurs membres du gouvernement, on voyait d'anciens ministres, foule de notabilités de notre Magistrature, de l'université, du corps législatif et de la presse.
Le deuil était conduit par le frère aîné, M.L.C. Lhérisson, le directeur bien connu du collège Louverture. De la maison mortuaire à l'église, le modeste cercueil fut porté à bras par les amis en signe de regret et d'affection.« Le Nouvelliste » dans sa note nécrologique de samedi exprimant le voeu de voir « le pays rendre un hommage solennel et mérité au professeur dévoué, au patriote qui en un tour simple et sincère exprima dans « La Dessalinienne » nos aspirations.
Si les morts, par-delà cette terre, exprimant encore quelque sentiment, l'âme de Justin Lhérisson a dû frissonner d'aise aux accents répétés de sa chère Dessalinienne qu'il aimait tant fredonner en cercle d'intimes.
Le président de la République avait, en effet, envoyé aux obsèques la musique spéciale de la Garde qui, sur tout le parcours, joua, d'intervalle en intervalle, l'hymne national dont la poésie si pleine de réconfortantes idées, de nobles aspirations peint l'homme, la personnalité complexe que fut Justin.
L'église était comble, S.G. Mgr Conan, l'Archéologue coadjuteur Mgr Pichon étaient à leurs trônes, le supérieur du Séminaire le R.P. Benoit et beaucoup d'autres prêtres, des soeurs de St-Joseph de Cluny, des filles de la Sagesse, des frères de l'Instruction chrétienne assistèrent à la cérémonie religieuse ou officiait Mgr Pouplard, curé de l'église métropolitaine.Une excellente inspiration du « Conseil de l'Assomption du Centenaire » tint avantageusement lieu, au cimetière, de discours, de fleurs et de couronnes.
Les dernières prières du clergé achevées, un coeur improvisé entonna autour de la fasse béante et au milieu d'un débordement de sanglots les patriotiques complets de « La Dessalinienne ».
C'est sur cette note suprêmement élégiaque et après un bref et impressionnant adieu de M.L.C. Lhérisson au cadet bien aimé et respectueux trop tôt en-allé que l'assistance se dispersa avec dans l'âme comme une sensation du vide.
Ses derniers moments sa mort
Il n'est peut-être pas sans intérêt de suivre Justin Lhérisson dans la phase dernière de sa maladie afin de bien montrer que tempérament il fut.
De juillet à mi-octobre, cet admirable bûcher abattit pas mal de besogne, combina et réalisa certains plans en vue d'assurer la vitalité de son journal et de s'assurer du même coup un peu de tranquillité d'esprit, la possibilité de travailler. Mais à partir de cette dernière époque, la forte tension imprimée à ses nerfs et à son esprit détermina chez lui un affaiblissement notable des forces physiques auxquels suppléait uniquement son vouloir - vivre porté au maximum d'intensité.
Les symptômes graves et alarmants apparurent le mardi 12 novembre ; et dès lors Lhérisson eut le sentiment très précis qu'il approcha du terme fatal.
Ce jour-là, Mgr Pichon qui le visitait de temps en temps lui administra les derniers sacrements.
Quelle lutte ! Quelles angoisses ! La sainte et béate résignation devant l'arrêt immuable du destin pouvait-il l'avoir lorsque ses regards s'arrêtaient sur ses six petites têtes chères, insoucieuses des pièges de l'après et meurtrissante existence ? Lui, l'homme du devoir, le père de famille volontairement façonné à la vie simple pour éviter toute défaillance, s'en est allé placidement vers l'inconnu sans avoir accompli l'oeuvre d'éducation de ses enfants ! Non ! ... Il trouvait la chose injuste, éternelle, inique.
Rien de plus poignant, de plus atroce, de plus mélancolique que la lutte désespérée livrée dans des conditions aussi précaires contre la mort assassine.
Le vendredi 15 novembre vers 10 heures du matin, dans une exaltation mystique de l'âme vers Dieu, notre pauvre ami s'écrie : « Je suis jeune, je n'ai que trente quatre ans. Je suis ivre de la vie. Seigneur, si je veux vivre, c'est pour l'entretien et l'éducation de mes enfants et aussi pour rendre encore quelques services à mon pauvre pays. »A mesure que le jour décline, les indispositions deviennent plus fréquentes ; elles sont suivies d'un intervalle calme pendant lequel le malade avec l'intégrité de ses facultés voit venir la mort.
Il était 2 heures de l'après-midi quand, abandonnant la chaise longue où il se tenait constamment assis, il prononça debout ces paroles attristées : « Seigneur, ayez pitié de moi ... Pardonnez à votre humble serviteur ... Je n'ai jamais commis aucun crime ...Je n'ai que des fautes ... Pardonnez-moi. Recevez mon âme ». Puis, appelant quelques membres de la famille, il demande pardon à tous ceux qu'il a cru avoir offensé dans ses moments de mauvaise humeur.
Sur le coup de 5 heures, une extase s'empara de son être. Couché sur son lit, il laissa errer autour de lui des regards radieux pleins de calme et de sérénité. « Quel temps ! Quel spectacle! s'écrie-t-il. On me donnerait un million que je ne serais pas aussi heureux. C'est l'éternel printemps »...Il se lève seul, arpente la chambre et continue : « Je vais mourir aujourd'hui. Mon âme, tout à l'heure va traverser ce ciel bleu pour aller retrouver son créateur. Je te la remets, créateur, aussi pure que tu me l'avais donnée ».
Un peu fatigué, il s'étend un moment et, penchant l'oreille : « Venez donc écouter cette marque. Elle est suave, sublime! Quelle harmonie!...»Quelques minutes après, il se dresse et, avec force et dans un geste énergique il prononce ces paroles :« Non! Je ne veux pas mourir. C'est un crime de mourir à mon âge quand j'ai des enfants à élever et une patrie à servir...»Et, sur un ton adouci : « Mais, Seigneur, puisque c'est ta volonté ... tant mieux!...»Après une pause : « ... Que l'humanité est l'aide! Qu'elle est l'aide !... Je préfère m'en aller ...»La nuit arrive, nuit fatale qui devait anéantir les promesses de ce jeune esprit passionné de la souveraine vertu du travail. Il est 11 heures moins 10 minutes. Profondément lassé par la fièvre nerveuse qui le minait et l'éveil constant de son vouloir-vivre, il venait contrairement à ses habitudes de se mettre au lit. Il nous répétait souvent qu'il voulait mourir debout.
S'étant recueilli environ dix minutes, lentement et avec les accents d'une voix qui s'éteint, il s'exprimait ainsi : « L'heure dernière est arrivée ... Oui... Je vais quitter cette terre ... L'Humanité n'est pas belle... Elle est laide... Il n'y a pas lieu de faire des efforts pour y rester. »
Un mouvement se produisit encore en cet organisme harassé pour ressaisir, dans un suprême effort de volonté, un reste de vie qui déjà s'échappait.
Hélas! Ce fut en vain. La mort avait appesanti ses doigts de marbre sur le front du fier et courageux lutteur.
(1) Extrait du journal Le Soir, mercredi 20 novembre 1907, No. 267
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
samedi 17 novembre 2007
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