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lundi 10 janvier 2011

Rebâtir sa vie... bien loin d'Haïti

Publié le 10 janvier 2011 Le Soleil

(Québec) Le séisme du 12 janvier 2010 les a épargnés, mais comme des centaines de milliers d'Haïtiens, ils ont tout perdu. Déjuste Petit-Frère, sa femme Solange et leurs trois filles sont arrivés à Québec le 22 décembre, quittant avec un pincement au coeur un pays affligé de tant de maux. Aujourd'hui, c'est ici qu'ils veulent commencer une nouvelle vie.
Lormilia Petit-Frère, qui vit à Québec depuis 1984, héberge son frère Déjuste et sa famille depuis leur arrivée en décembre. Le Soleil, Yan Doublet
«Bonsoir, je m'appelle Cybille Petit-Frère!» Le seuil de la porte tout juste franchi, nos lunettes sont encore toutes embuées en cette froide soirée de janvier quand une petite main se présente à nous. Elle a neuf ans. C'est la plus jeune des trois filles de la famille. Notre manteau à peine enlevé, Anaïka, 17 ans, et Dyana, 16 ans, se pressent aussi pour nous saluer. Tout au long de l'entretien, ils insisteront tous sur l'accueil des gens de Québec. Et c'est avec une chaleur peu commune qu'ils nous reçoivent.
Arrivée depuis quelques semaines, la famille est une des premières, sinon la première famille haïtienne à s'établir ici depuis le tremblement de terre de l'an dernier, qui a fait près d'un quart de million de victimes. En attendant de trouver un appartement, ils logent chez la soeur de Déjuste, Lormilia Petit-Frère, et son mari, Samuel Chérubin, installés à Québec depuis plusieurs années.
Dans la maison de la rue Courcy, le sapin est toujours là. Les filles racontent leur premier Noël blanc. Le 25 décembre, ils ont mangé de la dinde et du cipâte. «Comme tout le monde!» Elles ont reçu beaucoup de cadeaux. «Surtout des tuques, des mitaines et des vêtements d'hiver!» s'amusent-elles. La neige et le froid? Bof, semblent dire Anaïka et Dyana, avec cette moue caractéristique qu'affichent souvent les adolescents. «C'est joli, mais je vais devoir m'habituer à ce climat», dit Dyana.
De son côté, Cybile fait rouler ses grands yeux noirs autour de la table en bois de la cuisine. Discrète, elle semble malgré tout être le clown de la famille et provoque des éclats de rires chaque fois qu'elle ouvre la bouche. «J'aime l'école, j'aime les jouets, j'aime jouer dans la neige...»
À les observer, il est difficile de croire qu'ils ont passé les 11 derniers mois dans des abris de fortune, privés de ce que la plupart d'entre nous considèrent comme essentiel. Ils ont l'air heureux. Ils rient. S'ils sont visiblement con-tents d'être là, on sent tout de même que leur coeur est encore en Haïti, ce pays qu'ils aiment tant malgré les malheurs qui l'accablent. «C'est difficile de quitter son pays. On est attaché à sa culture», confie Déjuste, qui a pris place au bout de la table.
Ils parlent de la beauté du pays, du soleil haïtien, de la mer, de ceux qu'ils laissent derrière. «Je vais m'ennuyer de mes amis et de la famille», ajoute Anaïka.
Mais la vie s'annonçait difficile là-bas. «Les enfants étaient stressés à la fin», insiste Solange. Les mois passés sous une tente, l'instabilité politique et la désorganisation sociale persistantes les auront convaincus de prendre la route de l'exil. «C'est dommage qu'Haïti ait toujours autant de difficultés. Regardez ce qui nous a frappés depuis un an : un tremblement de terre, des cyclones, le choléra, la politique! C'est un pays qui ne connaît que des maux. Mais c'est un si beau pays. J'espère qu'un jour Haïti va connaître de beaux jours», continue Lormilia.
Aujourd'hui, les Petit-Frère ont un toit. Ils se considèrent chanceux. «Mon souhait est que moi et ma famille, on puisse vivre ici en paix et en sécurité», enchaîne Déjuste. Les filles ont déjà des projets. Anaïka aimerait jouer au tennis. «Je devais aussi commencer des cours de violon en Haïti, mais avec ce qui est arrivé...» Cybille voudrait essayer le patin à glace. «J'ai demandé à mon père de m'en acheter», dit-elle en lui lançant un regard espiègle.

Ici pour rester?
Les adolescentes sont inscrites à la polyvalente de L'Ancienne-Lorette. Cybille à l'école primaire. Ont-ils l'intention de prendre racine à Québec? La question posée, les visages s'allongent un peu, les yeux se baissent. Déjuste accuse un moment de réflexion, il fronce les sourcils. «Je dois travailler pour prendre soin de ma famille. J'aimerais bien travailler dans mon domaine en comptabilité ou science économique, mais je ne sais pas encore si ce sera possible.»
«C'est difficile pour les immigrants de trouver du travail ici», ajoute Lormilia. On évoque Montréal, où la communauté haïtienne est importante, Gatineau, Toronto...
La famille a pu immigrer grâce à un programme mis en place par Québec pour faciliter la réunification des familles. Une belle initiative, mais pas à la portée de tous, se désole Lormilia. Elle et son mari ont dû investir «des milliers de dollars» pour faire venir la famille de son frère.
«Les démarches ont aussi été très lourdes. Il fallait obtenir de nouveaux actes de naissance, des passeports. Tout avait été détruit», soutient la femme arrivée à Québec en 1984, deux ans avant la fuite du dictateur Jean-Claude Duvalier. Elle salue la générosité des gens de Québec. «Merci aux Québécois! Je n'aurais jamais pensé qu'ils étaient aussi proches des Haïtiens. J'ai vu des gens pleurer. Certains collègues me donnaient deux cents, parfois cinq cents dollars pour Haïti», affirme la femme qui enseigne en petite enfance à l'école Montessori.
Après plus d'une heure, le temps est venu de se quitter. Les filles demandent au photographe : «On va passer à la télé?» Tout le monde rit. Nos hôtes insistent pour nous offrir des cadeaux, bien emballés. «Mèsi ampil, Mèsi ampil!» répètent-ils. «Ça veut dire "merci en pile" en créole. On dit ça quand il y en a beaucoup», assure Déjuste. Pour le moment, la famille compte vivre ici. Il faudra trouver un logement. Les filles vont bientôt commencer l'école.
http://www.cyberpresse.ca/le-soleil/dossiers/seisme-en-haiti/201101/09/01-4358495-rebatir-sa-vie-bien-loin-dhaiti.php

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