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lundi 10 janvier 2011

Haïti, le bourbier des ONG

Rédaction: Elodie Vialle 10/01/2011
L’efficacité de leur action est remise en cause.

"ONG, go home!". Sur les murs de Port-au-Prince, quelques graffitis rageurs témoignent de la défiance à l’égard de ceux censés venir en aide à Haïti. Un an après le séisme qui a plongé le pays dans le chaos, les ONG restent pourtant mobilisées pour secourir les Haïtiens rescapés du séisme qui a tué plus de 222.000 personnes, blessé plus de 300.000 autres et laissé sans logement 1,5 million de Haïtiens.
Mais la perspective d’un "nouveau départ" que certains appelaient de leurs vœux après le séisme semble bien loin. Haïti, nous disait-on, devait se relever. Saisir cette catastrophe comme une "opportunité" pour rebâtir Port-au-Prince et, au-delà, reconstruire le pays. L’immense élan de générosité qui s’est manifesté à travers le monde a dopé cet espoir: en quelques semaines, près de 40 millions de dollars de dons ont été versés par des particuliers pour venir en aide aux Haïtiens. (Visualisez un carte interactive des dons.)
Un an après, Port-au-Prince ressemble à un vaste bidonville. Les déplacés vivent toujours sous les tentes, et plus de 8 millions de m³ de débris restent à déblayer. Entre temps, le pays a été frappé par le choléra, qui a tué plus de 3.300 personnes. Près de 400.000 bâtiments avaient été détruits ou endommagés par le tremblement de terre, mais moins d’un millier de maisons ont été réparées. Et les élections, censées stabiliser le pays et mettre à sa tête des leaders capables de le relever, ont tourné au fiasco.
Les promesses des dirigeants mondiaux ont rapidement été oubliées: sur les 11 milliards de dollars annoncés lors de la conférence de New York en mars dernier, seuls 5,3 milliards seront attribués dans les deux prochaines années.

Où est passé l'argent des dons?
A l’heure du bilan, il peut être tentant de désigner les ONG comme les responsables d’une situation qui s’enlise. "Je n'ai rien contre les ONG, nous avons besoin d'elles. Mais nous devons savoir ce qu'elles font de notre pays, les contrôler", estimait Jean-Max Bellerive, le Premier ministre haïtien, en décembre dernier sur la BBC. Où est passé l’argent des dons? Pourquoi les ONG sont-elles encore dans la gestion de l’urgence, plus occupées à assurer la survie des Haïtiens qu’à trouver des solutions durables pour reconstruire le pays? Et pourquoi ont-elles eu tant de mal à empêcher la propagation du choléra?
"Manque de coordination", répondent la plupart des acteurs de l’humanitaire interviewés sur le sujet. La crise a en effet révélé les limites du système des "clusters", qui consiste à réunir plusieurs ONG qui couvrent le même champ d’action pour définir une stratégie commune. "Nous nous efforçons de faire dialoguer toutes les ONG ensemble", explique Elisabeth Byrs, porte-parole d’OCHA, la mission de l’ONU qui fédère le travail des ONG sur le terrain.
"Il y a beaucoup de brassage, de blabla, beaucoup de recommandations, de rapports d’activités en décalage avec ce qui se passe sur le terrain", traduit le responsable d’une ONG présente à Haïti.

Haïti, le Far West des ONG
Il y a surtout beaucoup d’acteurs de l’aide à Haïti. Au lendemain du séisme, les ONG étaient plus de 1000 à débarquer à Port-au-Prince, dans un chaos total. "Une jungle", selon Benoît Miribel, président d’Action contre la Faim (ACF) et auteur d’un rapport sur l'évolution de l'action l’humanitaire remis à Bernard Kouchner en juin dernier.
Aux côtés de l’ONU et de la Fédération des Croix Rouges, se trouvent de grosses ONG, comme World Vision, Save the Children, ou encore Médecins sans frontières, Care, etc. Mais aussi beaucoup d’anonymes, des individus seuls ou des petites associations qui échappent au système des "clusters".
"Parfois, on voit des acteurs sur le terrain, et on se dit: 'mais, ils font quoi, eux, concrètement'?", s’interroge le responsable d’une grande ONG qui intervient en Haïti.
"Aujourd’hui, n’importe quelle organisation peut entrer à Haïti, comme dans un moulin!", renchérit Theodore Wendell, directeur de l’information à Radio Métropole. Kathie Klarreich, formatrice pour l’International Center for Journalism: “Certaines ONG travaillent pour elles-mêmes et pas forcément pour le pays". Terrible à dire, mais Haïti semble être devenu " the place to be" pour les ONG!

Business humanitaire
La faute à qui? Peut-être, d’une certaine manière, aux bailleurs de fonds. Car aujourd’hui, lever des fonds pour Haïti est plus facile que pour beaucoup d’autres causes, grâce, notamment, à la médiatisation de la catastrophe. (En comparaison, les inondations au Pakistan sont moins "sexy")
En ce sens, le séisme aura révélé les dérives du business humanitaire. Et ce d’autant plus que les ONG n’ont pas toutes été transparentes sur la gestion des dons reçus pour Haïti. Une enquête de l’organisme indépendant Disaster Accountability Project a révélé recemment qu’environ 80% des ONG présentes à Haïti avaient refusé de dévoiler leurs comptes. "Ces organisations se soucient beaucoup de leur image et si nous avons besoin de faire une étude et de révéler leur manque de transparence pour les inciter à mieux partager l’information, et donc à mieux se coordonner entre elles, alors ça vaut le coup», estime Ben Smilowitz, directeur du projet.
Attention, cependant, à ne pas désigner trop vite des boucs- émissaires. Rendre les ONG responsables du marasme haïtien reviendrait à oublier un peu vite le contexte exceptionnel dans lequel elles sont intervenues: une capitale détruite, des centaines de milliers de morts parmi lesquels des représentants des pouvoirs publics, un gouvernement inexistant.
Si le pays s’est transformé en "République des ONG", c’est bien parce que Haïti vivait déjà sous perfusion humanitaire, avec les trois quarts de sa population au chômage, et deux milliards de budget provenant de dons et des bailleurs internationaux.
"Un Etat sous-administré, débordé par l’économie informelle et la fraude", écrit Luc Evrard dans le hors-série consacré à Haïti de la Revue Humanitaire (téléchargez le pdf ici). Un pays, souligne le journaliste, où l’Etat ne possède que 5% du capital foncier et dont les terres sont détenues par une vingtaine de familles.
Un Etat gangréné par le clientélisme, mais qui doit pourtant prendre ses responsabilités. Car les ONG, c’est un fait, ne resteront pas éternellement à Haïti.
http://www.youphil.com/fr/article/03358-haiti-le-bourbier-des-ong?ypcli=ano

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