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samedi 17 novembre 2007

Lhérisson, encore vivant

Nous publions la suite de l'entretien avec Georges Anglade sur la lodyans haïtienne et l'oeuvre de Justin Lhérisson. Prière de lire la première partie dans l'édition précédente

L.N : Parlez-nous alors maintenant de la technique d'écriture de cet art mis en visibilisé par Justin Lhérisson ? Quelles sont, de manière concrète, ses principales caractéristiques?

G.A : Les principales caractéristiques? Il y en a cinq d'identifiées pour le moment : Ministure, Mosaïque, Jouvence, Voyance, Cadence. Et elles sont suffisantes dans le moment actuel du genre. Plus tard, il faudra faire nettement plus fin. Mais je suis content de dire que ce premier déblayage est fait et facilement accessible dans des articles et dans des livres à portée de main.. C'est un art de miniatures montées en mosaïque dont la narration est soutenue par trois procédés : jouvence, voyance, cadence, longuement définies et illustrées dans les travaux auxquels nous venons de renvoyer dans le codicille. Il y a donc, à cette étape, des caractéristiques qui distinguent la lodyans de tous les autres genre du bref, nouvelle, conte, anecdote, etc, puisqu'il y a 101 genres du bref de recencés dans le monde. Je dis que ces cinq caractéristiques sont suffisantes pour le moment actuel, parce qu'elles permettent de fonder l'originalité incontestable de la lodyans.
Aux lecteurs moindrement curieux, nous renvoyons au Codicille pour juger sur pièce. Il faut en finir avec cette culture du Zen et de la cabale, en jugeant par soi-même sur pièce. C'est cela le retour au terrain qui a permis les ruptures des trente studieuses de la sixième génération.

L.N. M. Anglade, Lhérisson et Hibbert ont-ils été les seuls en ce XXe siècle, car dès que l'on dit lodyans, ces deux noms ressortent, mais le reste est encore flou ?
G.A : D'autres lodyanseurs haïtiens? Je crois que la relecture en cours du XXe siècle littéraire va beaucoup apporter d'eau au moulin de la lodyans. Lhérisson et Hibbert, certes, mais ne voilà-t-il pas que l'on relit Marcelin sous cet angle, et qu'effectivement dans Au gré du souvenir, de 1913, Marcelin flirte avec la lodyans, qu'on dirait du Hibbert parlant des préférences en musique classique de ses animaux domestiques. Et puis Price Mars qui va en parler dans deux chapitres de son Ainsi parla l'oncle et Cinéas qui va traîner quinze ans ses regrets de n'en être pas un vrai, et puis Mayard, Chavallier, Grimard au mitan du siècle, et puis Alexis en 1960, et ensuite Sixto dans les années 1975, et la génération 1990...
L.N : Justement. sur la génération 1990. Selon le répertoire relevé dans « Le dernier codicille de Jacques Stephen Alexis» vous faites mention de ces écritures contemporaines issues de la lodyans, peut-on dire qu'il s'agit de formes d'écriture moderne de la lodyans ?

G.A : Je tiens les écritures de Laferrière, Gary Victor et certains textes de Stanley Péan, et de beaucoup d'autres d'ailleurs comme Verly Dabel, le dernier Baka de JosyO... pour l'expression actuelle du voyage de la lodyans dans le XXe siècle. Tous les écrivains du XXe siècle ne sont pas des lodyanseurs, loin de là, mais tous sont atteints par la lodyans à des degrés divers. La langue de Roumain aussi, disais-je au début de l'entrevue, qui doit tellement à cet art local, que sa filiation au passage du début de siècle sera un jour une question centrale. C'est ce que va sans doute établir les travaux futurs, à coup d'approfondissements de ce qui ne peut être qu'une hypothèse, à l'étape actuelle du déblayage. C'est en ce sens que je dis que le XXe siècle reste à inventer, vu que nous n'en avons dit que fort peu,comme d'identifier des écritures garanties lodyans.

L.N : Vous écrivez aussi des lodyans, d'où vient cette fascination pour ce «genre»? Où trouvez-vous votre source d'inspiration?

G.A : Je partage avec tous les Haïtiens ce Rire haïtien, cette manière de raconter en agrémentant,en agré-menteur donc, ce qui est la base de notre romanesque haïtien. Je pense cependant être né avec un petit plus, un don du regard pour voir défiler le monde comme une vaste lodyans. J'ai eu d'abord à développer cette disposition, ce regard, comme scientifique dans une oeuvre dans laquelle l'imagination dans la théorisation va lui devoir beaucoup, et ensuite comme littéraire, dans des constructions que permet justement ce même regard. Je suis une seule et même personne cependant, avec sur les choses un seul regard donné, toujours le même. Et c'est là que cela va devenir fascinant pour les travaux futurs, pour quand je ne serai plus : que donne dans l'oeuvre ce regard unique de lodyanseur sur le scientifique, le littéraire et le politique? Méchante table-ronde pour après le mitan du XXIe, non ? (Rire, le rire d'Anglade)

LN : Aurez-vous le temps de vider vos tiroirs, vous qui parlez du temps où vous ne serez plus ?
J'ai tellement de projets que je vais en laisser orphelins, à moins de vivre très vieux et très productifs. Aucune garantie ne m'a été donnée de ce côté. Je trouve d'ailleurs agaçant de ne pas savoir quand exactement je ... (Geste de la main et rire. Le rire d'Anglade)

En littérature, j'ai voulu raconter l'histoire d'une génération, la mienne, la sixième génération.Et j'ai bouclé les quatre recueils en 2006 par le Rire haïtien, une suite de 90 miniatures montées en quatre mosaïques qui témoignent des âges de la vie de ma génération : Quina, Port-au-Mort, Nédgé, Terre promise... Il me resterait deux grands tableaux à écrire, Le Préthume et le Posthume, mais il me faudrait beaucoup de temps pour 45 autres miniatures, d'où mes doutes d'y arriver... J'ai aussi d'autres travaux laissés en jachère, de gros travaux scientifiques à terminer qui commanderaient deux à trois bonnes années à ne faire que cela; j'en parle dans le livre L'espace d'une génération de 2004, mais là aussi j'ai des doutes... Et puis ce manuscrit terminé depuis sept ans que je refuse de laisser partir..., etc.
Le temps qui me reste me devient ainsi un temps incertain, celui du dernier quart de ma vie. Il faut aller aux urgences et je suis passé actuellement à autre chose d'urgent, celle d'inviter un public de lecteurs et d'auditeurs à penser le tricentaire, à coup d'hebdos du mardi dans Le Nouvelliste comme incitatifs, et de sa présentation en ondes à Magik 9 le mercredi matin.. Me manque ici les outils de mesure de l'impact, étant entendu qu'il y a un tel morcellement et une telle diversité dans les quinze millions d'Haïtiens dans le monde, qu'il deviendrait souhaitable de savoir qui lit et qui écoute... pour mieux cibler. J'avance un peu à l'aveuglette, mais en explorant les médias actuels les plus hots...
L.N : Comment situer « Et si Haïti déclarait la guerre aux USA (2003)? La trame de l'histoire ? La diffusion de cet ouvrage ?

G.A : C'est un texte que j'aime. Une feuilleton de 15 jours aux 15 chapitres de même dimension, environ 1200 à 1250 mots. L'épisode raconté dure douze heures et date du samedi 19 mars 2003, dixième jour de la Guerre d'Irak. Le feuilleton emprunte la forme, le rythme, le rire, l'humour de l'art local haïtien de la lodyans. J'ai essayé de faire, comme Hibbert l'avait exactement fait en 1908 dans la toute première version du Manuscrit de mon ami, Rue Dupré. C'est que la lodyans est un genre redoutable et unique en ce qu'il peint ceux habituellement qui tirent les ficelles (à rapprocher de l'inachevé d'Alexis, Ficelles) dessus galeries et dessous tonnelles... et qui sont, depuis deux siècles, de cette société les verrous, étroits par définition.L'histoire elle-même est celle que je connais depuis mon enfance, racontée à la suite du Plan Marshall de la reconstruction de l'Europe dévastée. :

Les Haïtiens rêveraient bien de perdre une guerre aux mains des Américains, mais comment la provoquer de manière vraisemblable, se faire détruire et puis enfin reconstruire... Telle est la trame de cette histoire qui a cinquante ans. Mais c'est sa chute la merveille : avec la déveine haïtienne, rien que pour ne pas voir ce pays bénéficier, ne serait-ce d'une défaite, le destin, qui s'acharne sur nous, pourrait bien nous la faire gagner cette foutu guerre de la dernière chance.
G.A : La diffusion de ce feuilleton ? Le voilà lancé cette semaine dans sa traduction allemande en Allemagne. Il a ainsi fait son tour du monde, ce petit texte, poussé par des éditeurs sérieux, comme celui de Chomsky qui en a assuré la diffusion nord-américaine par Ecosociété... Voilà. Mais, c'est presque rien. Il faudrait de gros moyens à notre industrie du livre pour une percée internationale significative; de très gros moyens.

L.N : Pourriez-vous terminer par QUE FAIRE pour la lodyans? Des actions possibles ?

G.A : Je ne sais pas trop quoi dire... il y en aurait tellement à dire. Ce serait peut être à la société civile, des lodyanseurs et lodyanseuses, de prendre en main une certaine institutionnalisation qui est indispensable, sous forme d'associations, rencontres, colloques, panels, etc.. Il faut par ailleurs tellement faire lire de la lodyans au plus grand nombre possible qu'il faudrait revenir peut- être au projet «Un Livre Un mois» dans lequel on inciterait le plus de monde possible à lire le même livre, presque gratuit, qui serait partout en même temps, médias et écoles, tribunes et scènes, un mois de temps.
Nous sommes aussi, dans notre société, à un carrefour où tous ceux ayant quelque chose en commun devraient se regrouper. C'est donc des appels à initiatives qu'il faudrait promouvoir. En ce sens, cette semaine Lhérisson du 15 novembre au journal Le Nouvelliste est un hommage au SOIR d'un vieux confrère de la période 1900. Cette une accolade courageuse d'un centenaire à un autre centenaire... alors que le thème choisi est boudé par la cotterie qui tirent les ficelles officielles. Rien de tel pour provoquer la sortie de quelques lodyanseurs et lodyanseuses de leur clandestinité ; l'initiative tant attendue.
Fin
(extrait du Codicille, pages 78-79-80)Une fois adoptée la superbe définition de Jacques Stéphen Alexis à C'est quoi la lodyans?,, réponse époustouflante s'il en est une, elle demandait immédiatement à se voir harnacher par un robuste De quoi sont faites les lodyans? Ce sont deux mêmes réponses à une seule question finalement,que nous faisons suivre immédiatement en encadré. On appéciera leurs différences dans leurs ressemblances. C'est quoi la lodyans? Jacques Stephen Alexis

Mais qu'est-ce donc que «l'audience» et à quoi correspond-elle? parbleu, c'est le narré en liberté, la confusion du temps et de l'espace,c'est l'accélération subite, le retour en arrière, le freinage en douceur pour repartir droit devant soi à toute vitesse, à toute bouline, et tomber dans l'anachronisme désinvolte qui vous dépose non au siècle dernier ou à la période coloniale, mais tout bonnement à la rue des Quatre-Escalins, dans les mornes en compagnie de juteux paysans, si ce n'est...dans la lune. Le récit se poursuit, guilleret, courant à la poursuite de sa queue, puis de sa tête, sinon de son bras ou de sa cuisse, afin de retrouver un fild'Ariane qui s'enroule comme une couleuvre endormie, fuse vers le tempsjadis, bouscule présent et avenir pour retomber dans un jus de gouailleextravagante, un pétillement grégeois de salive mirifique et un tour de«mascaron» (danse de bande carnavalesque) dont je ne vous dis que ça. Merveille de la vie sur l'âpre terre des «Tomas» d'Haïti! Un rire énormese balance au-dessus du récit et soudain explose, déferle en mots, en saillies, en onomatopées, en cris, en jets de salive, en jurons, en petites larmesvite écrasées, puis l'histoire continue, bête branchue,au corps étonnant de grâce, de joliesse et de monstruosité.
De quoi sont faites les lodyans? Par Georges Anglade
1 - Miniature : Les exigences du modèle réduit
La réduction des échelles
L'économie des descriptions
La densification des contenus
2- Mosaïque :
Les structures
Le continu et le discontinu dans la lodyans
Le traitement du temps en structure linéaire
Le traitement de l'espace en structure aréolaire

3- Jouvence L'analyse générationnelle
L'autobiographie d'une génération
La construction de l'actualité et du fait divers
4 - Voyance
La distinction de base en lodyans:
types et individus
La fonction critique de la lodyans
La subversion du statu quo
5 - Cadence

L'Humour haïtien et le Rire haïtien
Le conteur:
narration et marronnage
Digressions contrôlées,
clins d'yeux et autres façons
(Propos recueillis par Jobnel Pierre)

http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=50703&PubDate=2007-11-17

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