Ironie de l'histoire, le tremblement de terre du 12 janvier survenu en Haïti a dopé les relations entre Port-au-Prince et un certain nombre de capitales africaines. Mais le Sénégal a prouvé, une fois de plus, son savoir-faire face à ses pairs du continent noir. Haïti: Dès la diffusion des premières images du séisme, le président sénégalais, Me Abdoulaye Wade, a senti le vent du boulet et a offert d'accueillir sur son territoire ceux des Haïtiens qui le désirent. Excellente opération de communication pour un homme connu pour son franc-parler et ses prises de position hautement courageuses. Un geste fort qui donne l'alerte à l'Union africaine (UA) et suscite un regain d'intérêt dans les autres métropoles africaines. Chose rare, même les pays pauvres sur le papier comme le Tchad et le Burkina Faso proposent des enveloppes financières lors de la conférence des bailleurs du 31 mars à New York.
En Haïti même, où les autorités pensent à tout, un tel élan de solidarité en provenance de la lointaine Afrique est plutôt bien accueilli. Dans les sphères du pouvoir, on projette même de dépêcher, sans en indiquer la date, une importante délégation à Dakar pour mieux formater l'offre sénégalaise. Simple effet d'annonce, selon certains, ce voyage n'aura pas lieu à la période fixée. Cependant, les contacts diplomatiques entre les deux capitales et l'ambassade du Sénégal à Kingston (Jamaïque) se multiplient.
A ce jour, des dizaines d'Haïtiens vivent sur le territoire sénégalais, où ils ont été accueillis en frères. Dans les semaines à venir, plus d'une centaine de jeunes des deux sexes, boursiers du gouvernement sénégalais, mettront le cap sur Dakar, pour y entreprendre des études supérieures dans des établissements universitaires de ce pays d'Afrique de l'Ouest.
Voilà un bel exemple de coopération Sud-Sud en plein 21e siècle. Pourtant le Sénégal n'est pas un eldorado au sous-sol regorgeant de minerais ou de pétrole, comme c'est le cas dans d'autres destinations du continent. Le pays a connu un développement important en 48 ans (1960-2008). La croissance prévue pour 2010 est de l'ordre de 4 %. Majoritairement musulman, démocratique à un degré appréciable, stable politiquement et économiquement, le Sénégal est devenu la locomotive de la diplomatie africaine en Haïti. Ce n'est pas le fait du hasard. Déjà au début des années 80, une subvention de l'ancien président sénégalais, Léopold Sédar Senghor, avait permis de créer au sein de l'Université d'Etat d'Haïti un temple du savoir sur le monde noir dénommé Institut d'études et de recherches africaines d'Haïti (IERAH). Cet établissement d'enseignement supérieur formait des africanistes spécialistes de l'Afrique, de la Caraïbe et de l'Amérique noire. Mais sans raisons évidentes, l'IERAH pourtant créé par décret présidentiel, devait être subtilement mis en sommeil et remplacé par un autre institut, dont la vocation n'avait rien de commun avec la volonté de l'ancien président sénégalais et de ces africanistes haïtiens très nombreux. Ces derniers avaient pourtant déployé des efforts surhumains pour que l'IERAH devînt une réalité palpable dans cette partie du monde...
Aujourd'hui comme hier, la diplomatie sénégalaise ne se contente pas uniquement de simples accolades entre officiels de délégations haïtiennes et africaines dans les couloirs des forums internationaux, ni de promesses sans lendemain découlant de ce genre de rencontres. Dans cette partie de l'Afrique, haut lieu de la déportation à Gorée de millions d'esclaves vers les Amériques, la mémoire collective n'a pas oublié que la liberté des Noirs a commencé en Haïti, véritable berceau de la Négritude. A Lomé, Cotonou, Abidjan, Monrovia, Yaoundé, Kinshasa, Libreville, Ndjamena et autres capitales africaines, la cause haïtienne émeut les coeurs des intellectuels africains, qui ont lu et étudié « La tragédie du roi Christophe » du Martiniquais Aimé Césaire.
Malgré son histoire émaillée de violences politiques, de coups d'Etat et d'instabilité économique, Haïti, à quelques variables près, a les indicateurs économiques et sociaux d'un pays de l'Afrique subsaharienne et ne fait pas moins face aux mêmes défis. Jusqu'à date, le Sénégal reste un havre de paix disposant d'infrastructures à la hauteur de ses ambitions. La pauvreté y côtoie aussi l'opulence. Dans la sous région et au-delà, il est toujours bien auréolé par le fait que c'est l'un des rares pays d'Afrique de l'Ouest à n'avoir jamais connu de coup d'Etat en cinquante ans d'indépendance.
Tout compte fait, il y a lieu de s'interroger sur l'absence notoire d'ambassades africaines en Haïti, alors que Cuba et la Jamaïque en regorgent. C'est le même constat dans la quasi totalité des 53 pays du continent africain où l'on ne dénombrerait pas plus de trois ambassades haïtiennes d'ouverture récente. Comment expliquer qu'un ambassadeur plénipotentiaire africain choisisse de résider à la Jamaïque au lieu d'Haïti. Existe-il une véritable diplomatie africaine en Haïti ? La réalité en est que durant ces trente dernières années, Port-au-Prince n'a pas renversé cette tendance. Le même problème se pose au niveau des Etats africains noyés dans des contradictions internes.
Au plus fort de la guerre froide, François Duvalier entretenait d'excellentes relations personnelles avec les dirigeants des pays comme le Tchad, la Guinée de Sékou Touré ou l'Ethiopie de l'empereur Hailé Sélassié 1er. Des centaines d'Haïtiens travaillaient en Afrique comme enseignants et experts des Nations unies dans les années 60 et 70. D'autres s'étaient aliénés les régimes au pouvoir au Congo, au Tchad, au Gabon, au Bénin et avaient connu des fortunes diverses... Le nombre impressionnant de couples mixtes, depuis une cinquantaine d'années, contraste avec ce manque d'engagement politique à peine voilé qui caractérise les gouvernements d'Haïti et des pays de l'Afrique subsaharienne. Autres faits significatifs, et pas des moindres : depuis 1804, date de proclamation d'Haïti de son indépendance, seul un chef d'Etat de ce pays s'est rendu en visite officielle en Afrique. Il s'agit du président René Préval. Seuls trois dignitaires africains sur cinquante-trois : Sékou Touré (Guinée Conakry), Hailé Sélassíé 1er (Ethiopie) et Tabo Mbeki (Afrique du Sud) ont foulé le sol haïtien.
Le Sénégal vient rappeler, à sa manière, aux opinions publiques d'Haïti et d'Afrique que la solidarité n'est pas un vain mot sous le prisme de la « Renaissance africaine » ou du Partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD). Il y a lieu de relever cet effort. Même si -calcul politique oblige - le premier mandataire sénégalais, qui ne fait que perpétrer une tradition chère à ses prédécesseurs et à son continent n'est pas un ange aux yeux de ses opposants.
A Port-au-Prince, les futurs maîtres de la République issus des élections de novembre 2010 - si elles ont effectivement lieu - devront réinventer une véritable diplomatie africaine, dans la mouvance des relations Sud-Sud. La diplomatie sénégalaise mérite le respect et, surtout, la plus grande attention.
Belmondo Ndengué
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=83761&PubDate=2010-09-21
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mercredi 22 septembre 2010
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