Tiga céramiste : les années d'apprentissage
Peu de gens savent que Jean-Claude Garoute, notre fameux Tiga, a vraiment commencé sa carrière d'artiste au Centre de céramique de Port-au-Prince. Fritz Racine, professeur au centre pendant les années 50 s'en souvient, lui.
Carlo A. Célius : Quand avez-vous rencontré Tiga pour la première fois ?
Fritz Racine : J'ai rencontré Jean-Claude Garoute pour la première fois au milieu des années cinquante lorsque son oncle, le colonel Hamilton Garoute, l'accompagna au Centre de céramique où j'enseignais. Il a été présenté comme un jeune garçon surdoué qui manifestait déjà depuis quelques temps de fortes dispositions artistiques. Il a été reçu comme tel et il était le plus jeune du Centre.
C.A.C : Avait-il eu, à votre connaissance, une initiation artistique antérieure ? Avait-il fréquenté d'autres lieux d'apprentissage artistique ?
F.R : Je doute fort qu'il ait eu une initiation artistique antérieure ou qu'il ait fréquenté d'autres lieux d'apprentissage artistique, ni même le Centre d'art de Port-au-Prince. À l'époque, il n'y avait à Port-au-Prince que le Centre de céramique de l'Éducation nationale à la rue Bonne foi et le Centre d'art à la rue de l'Enterrement.
C.A.C : Quel type d'étudiant était-il ?
F.R : C'était un jeune homme artistiquement doué qui passait entre 5 et 8 heures à travailler à toutes les étapes de la création céramique artistique.
C.A.C : Pouvez-vous nous rappeler ce que fut le Centre de céramique?
F.R : Le Centre de céramique avait été créé par le département de l'Éducation nationale à l'instigation d'un céramiste nord-américain de l'Université Southern California, Glen Lukens. Ce dernier était un passionné de la céramique qui était convaincu qu'Haïti avait de la matière première (plusieurs variétés d'argiles) et des talents dormants qu'il fallait développer. À la suite de plusieurs voyages de prospection dans le Nord (Cap et ses environs) et à Jacmel et ses environs, Lukens était arrivé à la conclusion que les artisans de ces régions pratiquaient déjà une céramique artisanale et rudimentaire qu'il fallait encourager en les initiant à des méthodes modernes de finissage et de cuisson.
Le Centre devait être intégré dans le cadre du programme d'enseignement professionnel du département de l'Éducation nationale dont le Directeur Clovis Charlot et l'inspecteur Soray assuraient le fonctionnement.
C.A.C : Quels étaient les critères d'admission ?
F.R : Il n'y avait pas de critères d'admission. Il suffisait d'avoir des dispositions et de manifester un intérêt pour cette forme d'expression artistique. Pour beaucoup, c'était une nouveauté. Tout était nouveau. Il n'y avait pas de précédent.
C.A.C : En quoi consistait cette formation ?
F.R : Théoriquement, la formation s'étendait sur une année ; mais les étudiants restaient aussi longtemps qu'ils le voulaient. Les premiers étudiants devenaient des employés rémunérés ou recevaient un pourcentage de la vente de leurs pièces. Cette formation consistait dans la prospection des matières premières locales, le tournage des pièces artistiques ou fonctionnelles, le séchage, la glaçure et la cuisson.
C.A.C : Quels sont les différents professeurs qui y enseignaient ?
F.R : Le Centre fonctionnait avec un directeur, feu mon frère Hugo Racine, qui avait étudié la céramique a l'University of Southern California. Le Centre avait un budget de fonctionnement autonome octroyé par le département de l'Éducation nationale. J'étais le seul professeur, et j'émargeais du budget du département de l'Éducation nationale.
C.A.C : De quels milieux sociaux provenaient les étudiants ?
F.R : Les étudiants provenaient de divers milieux sociaux, des dames du corps diplomatique aux plus humbles artisans qui savaient à peine lire.
C.A.C : Vous rappelez-vous de ceux qui fréquentaient votre cours au même moment que Tiga ? Quels rapports entretenaient-ils entre ceux au Centre ? Organisaient-ils des activités en commun ? Ont-ils tous fait une carrière artistique ?
F.R : En même temps que Tiga, en dehors de quelques dames du corps diplomatique et au gré de ma mémoire, il y avait Marcus Douyon qui a émigré aux États-Unis et continue à y pratiquer la céramique ; Jeannette Armand qui vit en France depuis des décennies. Jules Gay qui, par la suite, a établi son propre atelier « Gay Poterie » qui s'est révélé une entreprise de production céramique rentable; deux filles Sergile, dont l'une, Myrtho, avait épousé un membre du secteur maritime privé et l'autre (dont j'oublie le prénom) avait épousé le jeune Valmé de la pharmacie du même nom ; Hilda Williams, qui a fait carrière dans la céramique et la sculpture; Anthony Phelps, qui a émigré au Canada et est devenu un poète de renom ; Jacqueline Kébreau, fille du général Antonio Kebreau ; Rigaud Benoît, Néhémie Jean et Luckner Lazard qui fréquentaient régulièrement le Centre pour se familiariser avec le médium de la céramique. Les rapports étaient tout à fait harmonieux.
C.A.C : Parlez-nous plus longuement de vous, de votre formation et de vos activités d'enseignant au Centre de céramique.
F.R : J'ai enseigné la céramique pendant quatre ans environ au Centre de céramique, à mon retour d'un voyage d'études en génie céramique au New York State College of Ceramics. Ma méthode consistait à inculquer des notions de céramique scientifique, notamment la prospection d'argiles, la préparation de glaçures à partir d'oxydes métalliques importés, la cuisson dans des fours à briques réfractaires. Et aussi, à inventorier les problèmes techniques. Par exemple, réduire le pourcentage de casse causée par la présence de calcium dans l'argile. Les conditions de travail étaient peu encourageantes. J'ai aussi fréquenté le soir, pendant trois ans, la Faculté de droit de Port-au-Prince. Après une dizaine d'années à la section économique et commerciale de l'ambassade américaine de Port-au-Prince comme assistant a la section économique et commerciale, je me suis rendu à Washington pour travailler à la US Information Agency. J'y suis resté 25 ans, dont les 8 dernières années comme chef de section de traduction au service de presse.
C.A.C : Tiga a travaillé sous votre direction pendant combien de temps ? A-t-il eu d'autres professeurs ?
F.R : Je ne me rappelle pas exactement, à peu près deux années. Comme autres professeurs, il y avait Lates Jean Georges pour le modelage, Jules Gay pour le tournage et Jean Petit Frère pour la cuisson.Tiga était un jeune surdoué, un autodidacte qui n'avait besoin que d'un cadre approprié et d'encouragement. Après les acquis techniques, il produisait déjà pour la vente. C'était assez informel.Il était obsédé par cette idée: trouver une formule permettant de contourner les matériaux importés très coûteux à l'époque. Trouver une glaçure locale ou une argile qui, cuite à haute température, deviendrait étanche.
C.A.C : Selon vous, en quoi la formation qu'il a reçue au Centre et votre enseignement en particulier ont-ils marqué son oeuvre postérieure ?
F.R : Dans toutes ses démarches artistiques, il est resté attaché à la céramique comme médium. Je me rappelle cet anecdote : un jour, on est allé chez Sister John de l'École pour handicapés de Port-au-Prince et elle nous a présenté un élève dont le manque de concentration était quasi pathologique. Après avoir été initié au modelage, il ne voulait plus le quitter. Il était guéri. Sister John a crié au miracle. Et je me souviens que cette expérience avait profondément marqué Tiga.
C.A.C : Tiga a-t-il participé à des expositions collectives ou a-t-il exposé en solo pendant sa formation au Centre de céramique ?
F.R : Non, pas à cette époque. Sa production se vendait vite et bien. Tiga, à l'époque, fabriquait des assiettes décoratives, des vases et plutôt des sculptures.
C.A.C : Avait-il créé des pièces qui, à l'époque, avait retenu votre attention ?
F.R : Toutes ses créations attiraient l'attention. Sa personnalité artistique s'affirmait déjà dans sa production. Il travaillait avec passion et acharnement. Il pouvait y passer la nuit.
C.A.C : Tiga est resté membre du Centre et en deviendra le directeur. Parlez nous de ce cheminement ?
F.R : J'avais déjà quitté le Centre quand Tiga en devint le directeur. Une des caractéristiques de sa direction a dû être la persévérance, le suivi, une attitude engagée, et enfin le sens de la recherche et de l'innovation.
Propos recueillis par Carlo A. Célius et transcrits par Mireille Perodin Jérôme http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=49664&PubDate=2007-10-13
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
dimanche 14 octobre 2007
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