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samedi 10 septembre 2011

Gérard Etienne : l’écrivain juif haïtien au destin hors du commun

Né en 1936 à Haïti, et décédé le 14 décembre 2008 à Montréal à l’âge de 72 ans, Gérard Étienne est non seulement un auteur hors du commun et un des plus prolifiques mais aussi, et surtout, un homme au parcours étonnant.

Après une enfance et une adolescence torturées, meurtri par la violence que subit sa mère, il se révolte et s’enfuit du foyer familial à l’âge de 15 ans.
Il rejoint la capitale Port au Prince. A partir de ce moment-là, toute sa vie est vouée au combat pour la justice. Il participe à une insurrection contre le gouvernement despotique de Paul E. Magloire. Il est alors arrêté, emprisonné et torturé. Puis, sorti de prison, il participe à un complot contre le gouvernement de François Duvalier où, une fois de plus, il est arrêté, il est alors âgé de 23 ans. Gérard Etienne se met alors à l’écriture, sa plume sera son arme. Il combat toutes les idéologies totalitaires. Il écrit sur les dangers de l’anarchie et du populisme en Haïti qui lui vaut, d’ailleurs, une agression d’ordre politique en 1963. Cette période est particulièrement douloureuse dans la vie de l’homme. Puis, en 1964 à l’âge de 28 ans, il s’exile au Canada où il exerce le métier d’enseignant et de reporter à Montréal. Il est journaliste, linguiste, et suivra également une carrière scientifique. En 1965, il écrit son premier roman « Lettres à Montréal ».
L’œuvre de Gérard Etienne est singulièrement riche. En tant qu’ancien détenu Haïtien, Noir immigré au Québec, et converti au judaïsme, il met en lumière de nombreux thèmes tels que les problèmes sur l’identité, l’immigration ou le racisme. (« Vous n’êtes pas seul »). Il écrit aussi de nombreux recueils de poèmes où à l’instar de Louis Aragon pour Elsa Triolet, il consacre son œuvre à son épouse, sa muse, Natania Feuerwerker, avec laquelle il a deux enfants, « Les yeux de Natania ».
Gérard Etienne écrit : « La poésie ne court pas les rues, et ne se vend pas au marché. L’inspiration poétique pénètre, oui ou non, l’être humain. Il n’y a pas deux poids, deux mesures, dans cette forme que les gens appellent poésie ».
L’œuvre de Gérard Etienne est traduite en plusieurs langues et a obtenu de nombreuses distinctions.
En hommage à ce père de la justice et de l’humanisme, l’Université Bar-Ilan de Ramat-Gan en Israël a organisé au mois de mai 2011 un colloque réunissant ses proches et des professeurs du monde entier. Pour comprendre l’importance de ce colloque, nous avons rencontré une des organisatrices, le professeur Mme Simone Grossman.

JSSNews : En quoi la carrière littéraire de Gérard Etienne est-elle atypique ?
Simone Grossman : La poésie, l’essai et l’écriture journalistique ont d’abord exprimé le combat politique de Gérard Etienne jusqu’à sa conversion au judaïsme. Arrivé en exil au Québec, il échappe à une nouvelle arrestation muni de 15 dollars et de trois livres dont les auteurs sont Sartre, Garaudy et Aron. A l’époque de la Révolution tranquille, il rencontre des Juifs séfarades qui lui font découvrir la pensée juive à laquelle il adhère avec enthousiasme. Il monte avec eux la pièce de Camus, “Les Justes”. Si des écrivaines québécoises telles Anne Hebert et Marie Claire Blais l’amènent à découvrir la puissance de la parole romanesque, le judaïsme lui enseigne le devoir de mémoire et la dénonciation du fascisme et de la dictature.
A la fois, Noir et Juif, observant les commandements de la Thora, sioniste de surcroît, Gérard Etienne se situe à la pointe d’un combat inspiré par les préceptes de la Thora autant que par la douloureuse expérience de la torture et des sévices subis en Haïti. Sa carrière littéraire est indissociable de son engagement unissant négritude et judéité.

JSSNews: Pourquoi avoir choisi Gérard Etienne comme thème de votre dernier colloque?
S. G. : L’université Bar Ilan, où les études juives accompagnent tous les cursus académiques, se devait d’accueillir des chercheurs de réputation internationale désireux d’approfondir une œuvre aux enjeux controversés, particulièrement riche d’un écrivain assumant les aspects en apparence contradictoires de son identité. Il s’agissait de souligner la valeur morale de la quête menée par Gérard Etienne dans sa poésie et ses romans.

JSSNews: Quels sont les thèmes qui reviennent le plus souvent dans l’ensemble des œuvres de Gérard Etienne ?
S. G. : Les thèmes principaux sont la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la misère des victimes des abus et de la corruption en Haïti, la condition malheureuse de la femme noire, blanche ou métisse, soumise à des systèmes socio politiques qui l’écrasent.

JSSNews : Pouvez-vous nous décrire le colloque en quelques phrases ?
S. G. : Le colloque a été, pour une part, un hommage rendu à Gérard Etienne, décédé en décembre 2008. L’immense respect et la tristesse, ressentis par la majorité des participants qui avaient eu l’honneur de le connaître, se sont doublés de chaleur humaine et d’enthousiasme. L’intérêt soulevé par sa création romanesque, poétique et théâtrale, tant en France qu’au Canada, aux États-Unis et en Israël, a montré la valeur exemplaire d’une œuvre dépassant le particularisme et dont la beauté et l’universalité sont dues à la lutte pour le triomphe du bien.

Le colloque a permis de retracer les grands aspects de ses œuvres tels que la « Corporalité et écriture » mais encore « La laideur » ou le thème de « L’engagement ». Gérard Etienne fait partie de ses écrivains qui suscitent l’intérêt aussi bien par son vécu que par son statut identitaire et ses qualités littéraires dont l’inspiration n’est autre qu’Alfred de Musset, Alphonse de Lamartine ou encore Victor Hugo. Comme il le disait lors d’une interview donnée en 2003 pour « la Tribune Juive », « Écrire, c’est donner rendez-vous » et c’est exactement ce qu’a fait Gérard Etienne en nous faisant voyager grâce à ses multiples cultures et ses nombreuses expériences en tant que “réacteur” aux questions existentielles de la vie.
Par Michaël Assous - JSSNews

Je remercie Mme Simone Grossman, professeur à l’Université Bar-Ilan spécialisée dans la littérature canadienne et québécoise, pour son investissement et sa généreuse participation.
Pour avoir une approche plus approfondie, voici le site officiel de Gérard Etienne : http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/etienne.html
Michaël Assous
- Le bonheur est dans la possession des êtres ou des choses que l’on aime. On doit vivre pour réaliser le bonheur de ces êtres [ Ernest Pallascio-Morin]

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