Google

vendredi 26 novembre 2010

Élections en Haïti: une femme dans la course

Publié le 25 novembre 2010
Agnès Gruda, envoyée spéciale, La Presse
Mirlande Manigat, 70 ans, a plusieurs atouts, dont celui d'être
une femme. «On a essayé avec des hommes, ça n'a pas marché.
Maintenant, je veux essayer une femme», confie un électeur.

Photo: Reuters
(Haïti) Dimanche prochain, les Haïtiens voteront pour élire leur nouveau président. Selon les sondages, ça pourrait bien être... une présidente. L'ancienne première dame du pays, Mirlande Manigat, est systématiquement en tête des sondages. Son handicap: elle est perçue comme une personne loin du peuple. Son atout: elle est une femme. La Presse l'a suivie pendant une journée de campagne électorale, cette semaine.
Après Jacmel, la route qui longe la mer vers l'est impose un parcours du combattant où il faut slalomer entre des crevasses, contourner des monticules et traverser des rivières sans pont.
Le cortège de Mirlande Manigat attaque cette route escarpée en soulevant un nuage de poussière. Nous mettons près de deux heures pour atteindre le premier arrêt de cette journée de campagne électorale: Bainet, un village côtier de 2500 habitants.
Nous sommes accueillis par des motos-taxis arborant les affiches de la candidate qui se collent au convoi en klaxonnant. Des gens s'agglutinent autour du véhicule qui transporte la candidate. Leur cri de ralliement: «De la volonté, pas de l'argent.» Une allusion à la campagne coûteuse menée par le principal rival de Mirlande Manigat dans la course à la présidence d'Haïti, Jude Célestin, soutenu par le régime.
Mirlande Manigat se fraie péniblement un chemin dans la foule: elle a un orteil cassé et a besoin d'assistance pour avancer. Elle s'adresse brièvement aux électeurs. «Je suis une mère, quand une femme me dit qu'elle est incapable d'acheter du maïs pour ses cinq enfants, qu'elle me dit que sa chaudière ne montera pas, ça me fait de la peine.»
Puis elle invite des membres de l'assistance à la rejoindre pour lui faire part de leurs problèmes. Une femme monte sur la scène. Elle explique qu'elle a mal aux seins, et fait mine de relever son chandail pour montrer la source de sa douleur. «Avez-vous rencontré un médecin?» demande la candidate pleine de sollicitude.

Catastrophes et ras-le-bol
Le ton est donné. Dans ses rencontres avec les électeurs, Mirlande Manigat évite les grands discours et se montre préoccupée par les soucis quotidiens des gens - façon de casser l'image d'intellectuelle qui lui colle à la peau et constitue son principal handicap dans la campagne en vue du vote de dimanche.
Son principal atout, c'est le ras-le-bol généralisé d'une population qui accumule les catastrophes: tremblement de terre, ouragan, épidémie de choléra. Et qui ne voit aucun signe d'amélioration poindre à l'horizon.
«Mirlande Manigat est une personnalité respectée, c'est une marque de commerce connue, et elle est propre», dit Frantz Duval, le rédacteur en chef du principal quotidien de la capitale, Le Nouvelliste.
À 70 ans, avec ses lunettes à monture dorée et sa tunique beige, Mirlande Manigat a l'allure rassurante d'une grand-mère. «Elle pourrait calmer le pays, apaiser les tensions», dit le journaliste Cyrus Sibert.
La leader du Rassemblement des démocrates nationaux progressistes a quand même un cadavre dans son placard. Gagnante au premier tour de l'élection sénatoriale de 2005, elle s'est retirée sous prétexte d'un processus électoral douteux. Des électeurs lui reprochent cette manoeuvre, attribuée à l'influence de son mari Leslie Manigat - qui a occupé le poste de président en 1987.
Dans une déclaration à la télévision, cette semaine, elle a présenté ses excuses. «Je ne regrette pas ce que j'ai fait, je regrette d'avoir mécontenté des gens», dit-elle avec diplomatie, quand je finis par me frayer un chemin à travers la foule pour la rejoindre dans sa jeep.

La violence du désespoir
Dimanche, des hommes brandissant des affiches électorales de Jude Célestin ont violemment interrompu un rassemblement de Mirlande Manigat. Plus tard, un autre événement a occasionné une altercation, cette fois avec des partisans du chanteur Michel Martelly.
Lors de notre rencontre, mardi, au milieu d'une foule qui faisait tanguer son véhicule, la candidate a affirmé que ces incidents ne lui faisaient absolument pas peur. Elle les attribue à des «gestes de désespoir» d'un régime aux abois.
Les explosions de violence ont aussi visé son principal rival, Jude Célestin, qui a été la cible d'une attaque, lundi, au cours de laquelle deux personnes ont été tuées. «Les Haïtiens n'ont pas une culture de la violence, mais nous avons malheureusement une habitude de la violence», déplore Mme Manigat.
Dans son programme, Mirlande Manigat plaide pour de nouvelles écoles, des investissements en santé. Elle souhaite le départ de la MINUSTAH, la mission de stabilisation l'ONU que les Haïtiens jugent trop associée au président René Préval. Mais elle estime que celui-ci devra se faire progressivement: «Nous ne sommes pas encore prêts.»
Les derniers sondages accordent 36% des intentions de vote à Mme Manigat, une avance de deux ou trois points sur son principal rival, Jude Célestin. Mais à Bainet, Jude Célestin est le plus populaire, reconnaît un organisateur électoral de Mirlande Manigat, Nestaud Henriquez. Pourquoi? «Parce qu'il a donné plus d'argent aux élus locaux.»
Mirlande Manigat a un dernier atout dans sa donne: son sexe. «On a essayé avec des hommes, ça n'a pas marché, maintenant, je veux essayer une femme», dit un homme rencontré au camp du Champ-de-Mars, face au palais présidentiel écroulé. Plusieurs autres électeurs m'ont fait la même remarque au cours des derniers jours. En appui à «sa» candidate, Nestaud Henriquez cite un proverbe haïtien, selon lequel «les hommes ont quatre poches, et les femmes n'en ont qu'une». Une image de probité qui pourrait servir Mirlande Manigat le jour du vote.
http://www.cyberpresse.ca/international/amerique-latine/201011/25/01-4346129-elections-en-haiti-une-femme-dans-la-course.php

Aucun commentaire: