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samedi 11 août 2007

Rodney St-Eloi critique et éditeur


Par Pierre-Raymond Dumas
Poète de talent établi depuis 2000 au Canada, toujours à la recherche de modèle, d'identification hors des anciens, symbole parfait de curiosité intellectuelle avec les Joubert Satyre, Willem Edouard, A20, Pradel Henriquez, etc. de cette génération de l'après-Duvalier qui communie avec un sourire large dans le culte de l'art et de la culture, étoile montante de l'édition haïtienne avec Mémoire d'encrier, personnage sélectif dans ses élans, chercheur de vérité, il aime René Philotecte, la poésie dont il a réédité un recueil de poèmes (Ces îles qui marchent, 1992), surréaliste, la littérature française. Auteur d'une œuvre poétique dense (Graffitis pour l'aurore, 1989; Voyelles adultes, 1994; Pierres anonymes; 1994; Cantique d'Emma, 1997; J'avais une ville d'eau, de terre et d'arc-en-ciel heureux, 1999), il ne ressemble en rien aux enfants déchirés des années 60, aux enfants des années dures.

C'était le temps des fissures. Certes, il faut relativiser le propos.
Une sorte de pertinence feinte et une forte sensibilité font passer ces anciennes recettes pour de la nouvelle cuisine. Dans tous les métiers d'art, il faut des années pour être reconnu. A l'âge de l'individu angoissé et battant, il a tout simplement retenu la leçon de ses idoles, René Philotecte, Frankétienne, dont il a le goût du mot rare et l'infinie boulimie, pour qui la littérature n'a pas de limites, sauf le ciel. A l'époque du matérialisme le plus échevelé, aspiré à grandes goulées tout son plaisir de lire, assez cultivé pour se frotter à l'avant-garde artistique mondiale, il a ce don rarissime : l'enthousiasme. Ça tangue et puis ça se parfume. Les commentaires de Rodney St-Eloi qui souffrent bien souvent d'une certaine mignardise ne sont pas des commentaires de salon, ce sont des commentaires d'âge mûr. Essoufflés de présent, ils ont la liberté généreuse et déferlante des moments de réflexion fébriles où l'on parle sans s'inquiéter de briller trop ou pas assez ( ?), sans se sentir en situation d'examen ( ?). Le charme est là, mais moins la vérité. L'âge du matérialisme n'est pas forcément celui de la médiocrité. Une fois n'est pas critique ? La critique doit être critique. Où allons-nous ? C'est ce genre de question qui fait de la critique une activité aléatoire toujours susceptible de trébucher sur les embardées endémiques des variations de génération. Ce n'est pas un critique d'ouverture, mais cela n'empêche pas son propos de faire choc. Né à Cavaillon le 27 août 1963, il célèbre avec passion , avec parti pris le mot écrit, qui transcende l'expérience et l'idéologie, il vénère la force de la littérature et de l'art, de ce qui n'existe qu'une fois créé. La méthode, son mystère et son originalité ? Traquer le sens non pas dans ses effets mais dans ses prolongements (expositions de peinture).
La critique de presse a une façon pressée d'aplatir ce qu'il y a de bâclé, de peu nuancé. Envahi par le sentiment d'écrire utilement, Rodney St-Eloi est crédible, délicat, un peu guindé. Visage concentré, regard ferme, Rodney St-Eloi, talentueux et prometteur, aussi intuitif que médiatique, doit apprendre encore la patience. Un rien sectaire, attentif à l'extrême, même aux «zins», il apprécie dans l'instant les réactions de son interlocuteur. Eminence grise de l'édition haïtienne productive, attachant Pierrot lunaire de la nouvelle génération, il ne cherche pas à blesser, mais réagit quand li croit ses convictions en cause. Ce qui manque aujourd'hui le plus en Haïti, ce sont sans doute des éditeurs dynamiques, éclairés, généreux. Le phrasé heurte, le refus de la sentimentalité, le recours systématique à la réduction et l'usage contestable des poncifs dits avant-gardistes trahissent chez lui la volonté de s'imposer et le manque d'assurance ou le goût de l'apparence.

L'itinéraire de Rodney St-Eloi ne peut ne pas étonner. Un critique, un auteur devenu éditeur à part entière! Durant ces dernières décennies, la critique a acquis chez nous une profonde influence médiatique sur la conscience du public, quoique les critiques et autres chroniqueurs culturels, jusque dans leurs attitudes et leur méthode, soient restés encore plus attachés aux thèmes de la tradition et à la pose par eux-mêmes adoptée qu'à l'exigence du système de pensée attachée à la critique officielle ou académique. De plus, elle a renoncé à l'exigence rhétorique massive qui était encore celle de l'histoire littéraire lorsqu'elle avait fait de la sphère des considérations biographiques et thématiques (et non pas du mouvement des idées dans leur rapport à la société globale) son objet privilégié.
La critique perdait ainsi la possibilité de produire des représentations et des synthèses d'ordre ontologique, socio-historique ; c'est alors seulement, au fil des ans, qu'elle a pu devenir objet de consommation.Mais qui sait, après tout, sans doute faut-il que j'insiste. Impétueux, l'un des derniers chantres de l'imaginaire moderne, Rodney St-Loi ? C'est plutôt un pragmatique qui sait capter l'air du temps. Fondateur des Editions Mémoire à Port-au-Prince en 1991, il est un remarquable mélange de raison et de jubilation. Celui-ci ayant tendance à l'emporter sur celle-là. Quel roman ! Quel tissu animé ! Quelle comédie humaine ! Et malgré ses efforts acharnés pour instaurer une critique propre aux temps actuels, l'œuvre de Rodney St-Eloi nous dit en fait l'échec de la conscience critique. C'est l'art du graffiti contre une culture de valeurs aléatoires.
Car cet ancien professeur de littérature, à la faconde pleine d'énergie et de charme, connaît déjà fort bien les arcanes de la presse écrite. Rodney St-Eloi sera-t-il donc désormais prédictible ? Ce serait mal connaître sa capacité de métamorphose. Franchissant l'inertie et l'improductivité pour considérer autrement ce qui l'entoure, il a la bouche qui bat, le cœur altier, le biceps gonflé, l'oreille aux aguets. Perçu comme un champ d'énergie, il a un culot monstre. Rodney St-Eloi est un sacré bosseur ! Les douces explosions du printemps rappellent souvent aux jeunes la légèreté et la richesse de leur âge. On attend donc avec impatience de découvrir comment, tout en maîtrisant toute cette énergie, il aura mûri. Se mouvoir entre deux activités aiguise la vue, comme cela renforce la volonté.


Pierre-Raymond Dumas

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