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mardi 7 décembre 2010

Haïti : Tenez vos promesses !

LEMONDE.FR 07.12.10 09h24 •
Le 12 janvier, cela fera un an que Port-au-Prince et ses environs ont été mis à terre par un séisme d'une violence inégalée. En ce mois de novembre, alors qu'une épidémie de choléra meurtrière se propage dans l'ensemble du pays (plus de 60 000 cas, 25 000 hospitalisations et un millier de morts), ce sont toujours plus d'un million de sinistrés qui continuent de survivre dans des conditions précaires dans des camps de fortune. Les Haïtiens ne survivent que grâce à l'aide extérieure. La reconstruction promise, et tant attendue, est en panne.
Il n'est pas étonnant dans de telles circonstances de voir depuis plusieurs semaines fuser les critiques publiques et parfois virulentes contre les étrangers, en premier lieu la Minustah, mais aussi parfois les humanitaires (pris au sens large), en raison de "leur inefficacité", "la lenteur de la reconstruction" ou encore par ce qu'ils seraient pour certains observateurs haïtiens le symbole "d'une occupation du pays qui doit cesser". En cette période pré et post électorale tellement sensible, qui concentre toutes les attentions des élites au pouvoir, ils se retrouvent pointés du doigt, boucs émissaires de toute la frustration accumulée ces derniers mois.
Pour autant, depuis le séisme, la population haïtienne survit grâce à la mobilisation et l'assistance des ONG et des agences des Nations unies, et grâce aux dons, privés dans leur majorité, reçus de la part de nombreux donateurs à travers le monde, qui permettent de financer des opérations humanitaires d'urgence massives depuis le 12 janvier. Sans minimiser l'immensité des besoins et la difficulté de la tâche pour les humanitaires parfois réduits au rôle de pompiers dans un pays très pauvre, dévasté, ceci bien avant le séisme, et toujours en état de choc. Comment dans ces conditions sortir de la logique de l'urgence, les catastrophes succédant les unes aux autres ?
Ce qui est en jeu à Haïti, c'est certes la poursuite nécessaire dans les mois à venir des secours dans un contexte de vulnérabilité extrême. Mais c'est surtout la reconstruction en panne, pourtant promise après la conférence de New York en mars, par les bailleurs internationaux et les Etats membres des Nations unies… Ces fameuses promesses, à hauteur de 10 milliards de dollars, pour "reconstruire en mieux" selon l'expression de Bill Clinton qui préside la commission de reconstruction d'Haïti.
Car si la réponse humanitaire d'urgence, même critiquée (et parfois pour de bonnes raisons), a permis un temps d'éviter le pire, et mobilisé de l'ordre de 3 milliards de dollars d'aide d'urgence (en grande partie des donations privées), les Etats, eux, sont bien loin du compte en matière de reconstruction. Seules quelques centaines de millions de dollars ont été, à ce jour, décaissées. Autant dire, rien.
L'instabilité politique chronique du pays ne les engage pas à en faire beaucoup plus, c'est vrai. Il n'est pas facile d'avoir confiance dans un Etat détruit, considéré déjà comme "défaillant" avant le 12 janvier. Sans parler du contexte de la crise économique et financière mondiale. Au final, on peut donc s'attendre à ce que le chèque attendu soit largement réduit. Rien de différent ici avec d'autres catastrophes naturelles médiatisées. Dans la majorité des cas, c'est moins d'un quart des promesses des bailleurs internationaux (les Etats et les institutions financières internationales et régionales), faites sous le coup de l'émotion médiatisée, qui sont effectivement versées. Pourquoi en serait-il autrement à Haïti ?
IL EST ENCORE TEMPS D'AGIR
Avant les élections de fin novembre, la colère l'emportant sur la désillusion, accuser les étrangers de ne pas en faire assez, voire d'être même, comme les soldats de la Minustah, à l'origine de l'épidémie de choléra n'a rien de surprenant. Après les urnes, faute de changements rapides de la situation comme on peut s'en douter, ils continueront certainement d'être accusés de freiner le renouveau du pays, de ne pas jouer le jeu de l'alternance politique, à moins que ne se développe la nostalgie du statu quo ante.
Pourtant, rien ne sert de se cacher la réalité. Celle d'un Etat toujours à terre qui ne se relèvera pas sans être aidé et soutenu. Celle des Etats membres de la communauté internationale qui sont loin d'avoir tenu leurs promesses et, faute de mieux, n'envisagent, semble-t-il, l'assistance à Haïti qu'au travers des programmes d'urgence. Celle, enfin, des humanitaires, des secouristes étrangers, bien heureusement toujours actifs sur le terrain, dénonçant désormais, à juste titre, une réponse internationale inadaptée face à l'épidémie de choléra qui se propage. Des secouristes aussi submergés par l'immensité de la tâche qui leur est confiée, qui se situe bien au-delà de leurs réelles responsabilités et capacités en matière notamment de reconstruction et de lutte contre la pauvreté. Comme nous le rappelle les équipes haïtiennes et expatriées de Médecins du monde tous les jours, leurs actions restent essentielles face à la tragédie actuelle ; elles sont appelées par les sinistrés à se poursuivre dans les circonstances actuelles. Mais cela ne saurait remplacer le rôle central de l'Etat et des bailleurs publics internationaux.
Car, si les promesses faites en matière de reconstruction ne sont pas tenues, on peut imaginer, sans trop se tromper, ce qu'il adviendra demain : un second séisme, celui-ci économique et social. S'éloignera alors l'opportunité, tellement clamée, de sortir Haïti de la pauvreté. A chaque nouvelle catastrophe qui frappera le pays, seules des réponses ponctuelle prises dans l'urgence seront opposées, sans se poser plus de questions. Le séisme du 12 janvier n'aura été qu'une tragédie de plus dans l'histoire d'Haïti. Pourtant, il est encore temps d'agir et de tenir les promesses faites aux haïtiens.

Dr Olivier Bernard, président de Médecins du monde, et Pierre Salignon, directeur général à l'action humanitaire de Médecins du monde

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/12/07/haiti-tenez-vos-promesses_1448710_3232.html

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