Aoua Bocar Ly-Tall
L'auteure est sociologue et chercheure associée à l'Institut des Études des femmes à l'Université d'Ottawa.
Quand certains trouvaient dommage le fait qu'une militante progressiste comme Michaëlle Jean ait accepté le poste de gouverneure générale du Canada, craignant que cette fonction plutôt conservatrice ne la change, j'avais alors déclaré à Radio-Canada que ce serait elle qui changerait cette institution, «car Michaëlle apporte une touche particulière à tout ce qu'elle touche».
Maintenant qu'elle quitte Rideau Hall, je peux dire que l'histoire m'a donné raison: mené avec grâce, elle achève son mandat en beauté. Cinq ans, c'est peu de temps. Mais, c'est suffisant pour faire des erreurs. Loin de ça, son Excellence Michaëlle Jean a mis à profit cette fonction jugée sans pouvoir réel, pour mettre en oeuvre ses convictions, appliquer ses principes et pourquoi pas, réaliser ses rêves.
Sincère dans son engagement pour la justice sociale et pour le progrès humain, elle a d'abord tendu la main aux communautés et aux couches défavorisées du pays. Elle a dirigé en premier lieu son attention vers les Premières Nations en guise de reconnaissance de leurs contributions à la société canadienne. Elle a consacré sa toute première sortie internationale à l'accompagnement des anciens combattants autochtones au cimetière de guerre canadien à Bény-sur-mer, en France.
C'est dans ce même esprit de réparations des injustices subies qu'elle ira leur témoigner son soutien dans leur lutte pour la préservation de leurs traditions, dont la chasse au phoque. Elle affirmera son appui par le geste spectaculaire d'une bouchée de coeur de phoque suintant de sang. Michaëlle Jean quitte en beauté, couverte d'éloges tant par la société civile que le milieu politique. Elle a marqué les consciences par sa sensibilité et son don de partager les joies et peines de l'autre. C'est ce que déclarait Della Morley, représentante des mères du Canada ayant perdu leurs enfants dans les combats en Afghanistan, à l'occasion de l'hommage que les Forces armées ont rendu à leur commandante: «J'étais anxieuse et bouleversée ce matin, mais après avoir passé quelques minutes au téléphone avec vous, j'ai eu l'impression de parler à une amie qui partageait ma douleur.»
Le ministre de la Défense du Canada, Peter MacKay, qui a partagé avec elle la douloureuse tâche d'accueillir les dépouilles de nos soldats tués en Afghanistan, lui a rendu aussi hommage: «Vous avez transporté la compassion du pays sur vos épaules. Vous avez personnifié l'émotion sincère.»
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On ne mesure pas suffisamment l'influence positive de la nomination de Mme Jean. Pour la communauté des Afro-Canadiens, largement discriminée, elle a été un symbole d'encouragement des parents à leurs enfants. Les propos d'une mère noire sont très révélateurs: «Quand mon fils a tendance à se laisser aller au découragement, je lui dis: regarde Michaëlle Jean, elle est arrivée ici avec sa mère et sa soeur comme réfugiées, aujourd'hui, elle la chef d'État du Canada. Travaille fort et bien comme elle, tu y arriveras toi aussi.» «Michaëlle Jean a su présenter une autre image des Haïtiens, trop souvent associés aux gangs de rue», estime Jean-Ernest Pierre, avocat et animateur à la radio CPAM.
Témoin oculaire de sa première visite d'État en Afrique comme membre de sa délégation d'experts, je peux affirmer que Mme Jean a impressionné partout et donné une belle image du Canada.
Par ces réalisations et surtout son caractère profondément humain, Michaëlle Jean a modifié l'image de l'institution de gouverneur général, peu connue de beaucoup de citoyens jusqu'à son arrivée. Sans affirmer qu'elle lui a rendu ses lettres de noblesse, avec une touche magique et gracieuse qui lui est propre, elle l'a sorti de l'ombre et a accru l'aura du Canada dans le monde.
Souhaitons-lui le même succès éclatant dans ses fonctions d'envoyée spéciale de l'UNESCO auprès d'Haïti.http://www.cyberpresse.ca/opinions/201010/01/01-4328657-une-touche-magique.php
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