Jeune architecte, Leslie Voltaire aurait pu rentabiliser son statut de proche du régime des Duvalier de par sa famille ; il décide au contraire de passer neuf ans au Mexique. A son retour en Haïti, il travaille au lieu de jouir ou de se convertir en jeune loup. Membre des gouvernements d'Aristide et de Préval de 1991 à 2010, il préfère s'investir dans les dossiers difficiles au lieu de devenir un marchand d'influence ou un prospère vendeur du temple. Leslie Voltaire, c'est une série d'images et de moments qui jalonnent le parcours difficile vers la démocratie de ces dernières années et la clairvoyance rare de ceux qui ne font pas les mauvais choix, quel que soit le camp dans lequel ils se trouvent. Pour devenir l'homme qui a le carnet d'adresses le plus complet du pays, Leslie Voltaire a dû se construire bloc par bloc. Portrait rapide et architecture du parcours d'un singulier homme d'appareil, fin connaisseur de notre classe politique. Il tutoie Bill Clinton, son vis-à-vis pendant des mois, et comprend mieux que quiconqe les Latino-Américains qui font leur premières armes dans l'occupation d'un pays, le nôtre. Haïti: 1987, Voltaire, le professeur d'université, circule dans une petite deux-chevaux et est candidat pour devenir Casec. Il brigue le plus bas poste du système électoral afin de diriger Thomassin, la bourgade qu'il habite. Cette année-là, noyées dans le sang le 29 novembre, les élections n'auront pas lieu. Quatre ans plus tard, ancien membre du Conseil d'État sous Ertha P. Trouillot, il se retrouve ministre de l'Éducation nationale du premier gouvernement de Jean-Bertrand Aristide.
1997, après avoir traversé les années du coup d'Etat (1991-1994) et devenu chef de cabinet d'Aristide, il monte dans une annexe du Palais national « la ruche à Voltaire », un innovant cabinet de réflexion. L'architecte Leslie Voltaire prend, à la demande de René Préval, la charge du Comité de commémoration des 250 ans de Port-au-Prince. Les places publiques de la région métropolitaine en sortent transfigurées. Avec Jacques Dorcéan aux TPTC, il offre à Préval les signes positifs de l'action de son premier mandat. « Gade yon peyi, Desalin pran yon lòt nivo », chante tout Port-au-Prince au carnaval grâce à lui et son équipe.
2004, Leslie reprend du service après avoir été un an plus tôt membre du comité de trois membres qui a assuré la transition d'Aristide au régime Latortue. Avant, il avait retrouvé en 2001 Aristide redevenu président pour être son ministre des Haïtiens vivant à l'Etranger. Il construit les rares logements sociaux de ces 25 dernières années et l'embryon de ce qui devait devenir le Quartier 2004 sur la piste de l'ancien aéroport militaire de Bowenfield.
2010, le vis-à-vis de Bill Clinton, nommé par René Préval pour coordonner l'action du représentant du Secrétaire général des Nations unies pour Haïti, veut affronter le suffrage universel pour décrocher la présidence de la République.
Une enfance heureuse
Le petit Leslie Voltaire a été élevé dans une famille qui a « l'intérêt public comme pivot central et une haute estime de l'éducation comme valeur supérieure qui peut faire vivre en société et conduire vers la sagesse et la connaissance pour transformer et faire le bien public », résume l'intéressé. Cette façon de voir de ses parents le conduit à être louveteau, puis scout. Il s'investit aussi dans les comités de classe de la 12e à la philo au Petit Séminaire Collège St-Martial.
« J'étais avec l'élite à l'école, mais aussi avec les marginaux à Côte-Plage, le quartier où j'ai passé mon enfance et mon adolescence. »
Leslie est avec les pêcheurs qui arpentent le littoral de Carrefour pour vendre leurs fruits de mer. Il embarque avec la même passion pour des virées sur leur barque, comme pour les interminables matches de football qui réunissent les enfants autour du ballon rond, sans discrimination de provenance sociale. A l'époque, on est sur le terrain parce que l'on joue bien ou parce qu'on est le propriétaire du ballon. Leslie joue assez bien.
« J'étais tantôt vagabond, comme on dit alors chez nous des enfants qui jouent dans la rue, tantôt élève studieux chez les Frères Spiritains de St-Martial. Des fois, les deux personnes le même jour. »
Le brassage social se poursuit grâce au scoutisme qui permet au petit Voltaire de visiter le pays dans tous les sens grâce aux camps multiples qui jalonnent la vie de la troupe.
Leslie enfant a été très marqué par le football. Partout, il répond présent : près de l'église St-Charles à Carrefour, à Thomassin, pour les matches interscolaires, il est de toutes les parties.
Il est aussi un athlète. 100 m, 200 m, 600 m, triple saut, saut en longueur, 4x100 m relais, il avale les pistes sous la supervision du père Adrien, grande figure de la lutte contre Duvalier et plus tard grand ami d'Aristide.
« Le football a fait de moi un joueur d'équipe qui connaît la valeur du fair-play. La course à pied m'a donné une autre vision. Un jour, je courais en regardant derrière pour surveiller mon adversaire, l'entraîneur me fit comprendre que je n'ai que deux adversaires ; moi-même et le chronomètre. Cela me donna confiance en moi et une autre perspective de la course. »
Courir avec pour seul objectif la victoire et seul adversaire soi-même, tout en ayant le sens du jeu en équipe, voilà ce que Leslie Voltaire appliquera toute sa vie.
Ils sont six enfants dans la famille : Deux filles dont une infirmière et une artiste aujourd'hui. Quatre garçons dont un paramédic (qui est mort) ; Carlo, un économiste et finalement un historien-politologue-cinéaste-éditeur, en plus de l'architecte Leslie.
Si madame Michel Ange Voltaire, sa mère, est encore vivante, son père est décédé il y a de cela quelques années. Cousin de Georges Anglade, de Leslie Delatour, parent ou allié d'une galaxie de belles têtes, Leslie Voltaire rentre dans la vie active bien armé.
« Dès l'âge de 7 ans, j'ai su que j'allais être architecte. À la fin de mes études classiques, je suis parti pour le Mexique. Ma génération a changé l'école d'architecture que j'intègre. On y a étudié, pour la première fois, les logements sociaux et les hôpitaux au lieu des hôtels et des belles résidences qui étaient les seuls objets de réflexion avant nous. »
« Après le premier diplôme, j'ai fait mon service social au Mexique. C'est un système qui immerge les étudiants dans la population. J'étais dans une ville à 14 heures de Mexico. Il y avait un politicien, Cardenas, fils d'un général-héros du Mexique. J'ai participé à sa campagne politique pour le poste de sénateur. A l'époque, on construisait la ville de Lazaro Cardenas en hommage à son père. Il y avait beaucoup d'immigrants venus chercher du travail. J'ai participé à leur construire des logements sociaux. J'aurais pu me naturaliser Mexicain, tant au bout du compte je me suis fondu dans le paysage. Pourtant j'ai mis fin, après 9 ans, à l'aventure mexicaine. Je suis rentré en Haïti en 1977. J'ai mis sur pied un projet : l'inventaire des ressources touristiques. On a monté une équipe et voyagé dans tout le pays pour le réaliser. »
A l'époque, parcourir le pays pour faire l'inventaire était déjà un acte suspect. Sous la dictature de Jean-Claude Duvalier, quoique enfant du régime à travers son père qui en est un cadre, Leslie fréquente des amis pas trop en odeur de sainteté.
D'ailleurs, sous Duvalier père ou fils, on passait du statut de saint du régime à celui de Kamokin (rebelle ou traître) sans transition et des fois sans le savoir, encore moins en avoir conscience, avant de se retrouver devant la police politique, la fameuse SD, ou sous les coups des macoutes dans une geôle infâme à Fort Dimanche ou ailleurs.
Toute sa vie Leslie sera homme d'ouverture. L'un des rares de sa génération, sans éveiller de suspicion, capable de parler à tous les camps et de les fréquenter. De l'extrême gauche à l'extrême droite, ou pour ce qui en tient lieu sur l'échiquier particulier de la politique à l'haïtienne, il a des amis.
Très vite, l'architecte commence à travailler à l'Université d'Etat d'Haïti (UEH), la seule du pays à l'époque, comme prof à la faculté des Sciences. C'est l'époque de la construction de Labadie, du Club Méditerranée (aujourd'hui Club Indigo), de l'Hipopotamus à l'Habitation Leclerc à Martissant.
« J'ai reçu alors une bourse Fullbrigth pour l'Université Cornell à New York pour étudier l'urbanisme dans les pays du Tiers-monde. J'avais compris que ce n'était pas l'architecture le problème dans un pays comme Haïti, mais l'urbanisation galopante et sans contrôle. »
« La maîtrise obtenue, j'ouvre mon cabinet et me remets à l'enseignement. C'est alors que les travaux sur l'autonomie de l'UEH commencèrent. À la fac des Sciences, on installa alors l'Assemblée mixte qui, pour la première fois, donna une voix aux étudiants dans la gestion de leur fac. Nous sommes en 1986, Jean Claude Duvalier vient de partir. »
« Cette lutte dura trois ans. Trois ans de lutte pour l'autonomie. À la chute de Prosper Avril, je fus désigné par les professeurs et les étudiants pour les représenter au Conseil d'État. Avec Suzy Castor, le Dr Roy et d'autres, on donna une certaine impulsion au Conseil d'État. C'est à ce moment que j'entrai en plein dans la politique. Même si après le vote de la Constitution et pour les premières élections libres de 1987 je fus candidat pour le CASEC de Thomassin. »
« Aux côtés d'Ertha Pascal Trouillot, le Conseil d'Etat permit la réalisation des élections de 1990 où fut élu Jean Bertrand Aristide. Je lui fus présenté par mon mentor, mon ancien professeur d'Histoire d'Haïti à St-Martial, le père Antoine Adrien. »
« À la montée d'Aristide, René Préval son Premier ministre me demanda de devenir ministre de l'Éducation nationale jusqu'au coup des militaires qui mit fin à la répression sauvage, à la première expérience démocratique d'un président régulièrement élu après le départ de Baby Doc. »
« Après le coup d'État, ce fut la clandestinité, et en avril 1992, quand Aristide forma une commission présidentielle et une commission gouvernementale, je réintègre le giron du pouvoir. »
« En 1993, je partis pour Washington à la demande d'Aristide et de Préval. Et à partir de ce moment, je m'implique dans la diaspora et rencontre tous les responsables et politiciens américains qui sont sur le dossier d'Haïti. C'est à ce titre que je participe aux négociations de "Gouvernor's Island". »
« Au retour de Jean Bertrand Aristide, il me demanda de devenir son chef de cabinet et d'intégrer plusieurs structures de réflexion sur l'économie et les infrastructures. »
« Après la passation de pouvoir, Préval me demanda en 1996 de rester travailler avec lui, et c'est à ce moment que j'intégrai la commission du 150e qui travailla à changer le visage de Port-au-Prince et fit des travaux d'infrastructures à Jacmel (la rénovation du Champ de Mars, de la Pace St-Anne, les programmes de logements sociaux à Zoranger, le Village Renaissance du quartier 2004 à Bowenfield furent mis sur pied dans ce cadre-là). »
« Il y a eu aussi le programme d'organisation de la zone métropolitaine avec la construction de la Place de la Paix, de la Place Jérémie, de la Place Canapé-Vert, de la Route 9, etc. »
« Ensuite, Aristide retourna au pouvoir et me proposa de devenir ministre des Haïtiens vivant à l'Étranger. De cette période, reste le vote d'une loi qui permet aux membres de la diaspora de jouir de tous leurs droits économiques. Une première, car avant cette loi, pour hériter ou pour intégrer la PNH ou la fonction publique, il y avait des restrictions pour les ressortissants haïtiens résidents d'un autre pays. »
« Au départ d'Aristide, j'intégrai la commission tripartite sur la transition avec Paul Denis et Adama Guindo pour les Nations unies. Cela déboucha sur le Conseil des Sages. »
« Ensuite je passai à l'opposition au régime Alexandre-Latortue, et à partir de 2009, le président Préval me demanda de devenir son conseiller puis me nomma Envoyé spécial auprès des Nations unies. À ce titre, je m'occupai du marché de la Croix-des-Bossales. Avec le Venezuela et un projet de 128 logements sociaux à Zoranger (Cubains et Vénézuéliens). J'ai aussi travaillé pendant trois ans, de 2006 à 2009, comme superviseur national du plan directeur du tourisme.»
« Après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, j'intégrai une commission de reconstruction ad hoc avec Abi Brun et Charles Clermont et nous avons participé à toutes les élaborations de projets pour l'évacuation des débris, les stratégies sur l'habitat et un projet d'exposition internationale de logements parasismiques à Zoranger qui doit se tenir en octobre 2010. Chaque exposant construira un logement pour une famille comme exemple et modèle. »
Pendant toute la période qui a suivi le séisme, Leslie Voltaire a été très actif dans son rôle de conseiller, d'envoyé spécial et de spécialiste d'Haïti. C'est à ce titre qu'il a donné un nombre impressionnant de conférences sur Haïti dans des universités étrangères.
Son dernier poste est celui d'urbaniste en chef de la Commission de récupération du Centre-Ville de Port-au-Prince.
Quand on demande à Leslie Voltaire ce qui lui a le plus marqué après une si longue carrière à des postes de responsabilité, il déclare sans hésitation : « 90% des plans que j'ai conçus sont restés dans les tiroirs ».
Bien vite, il redevient philosophe : « Je vivais dans une dictature en Haïti avant de partir au Mexique, j'ai vu l'émergence de la démocratie. Cela me fit rencontrer la gauche, les problématiques sociales et découvrir la capacité de l'homme de changer toutes les situations. Au Mexique, j'ai appris à la fois la valeur de l'apprentissage et celle de la liberté dans le respect des obligations et des devoirs. »
« Je suis convaincu aussi que l'homme politique doit regarder vers les pauvres, vers la majorité et être à l'écoute de l'intérêt public. »
Celui qui a subi deux renversements violents de gouvernement auxquels il appartenait sait pourtant faire la part des choses.
« Le fait marquant de mon expérience a été les coups d'État contre la majorité. Cela me rend de temps à autre moins naïf. Je sais qu'il y a des intérêts dans la société haïtienne qui ne peuvent se résoudre que dans la violence. En deux fois j'ai subi un coup d'État en participant à un gouvernement. »
« Je regrette aussi sur un autre plan que 80% des professionnels et artistes haïtiens ne peuvent participer au développement du pays parce qu'ils sont à l'étranger. La Constitution, après 20 ans, ne peut faire atterrir la décentralisation, le pouvoir est concentré. Il y a toujours un demi-million d'enfants qui ne vont pas à l'école, en dépit du fait que la Constitution exige la scolarisation universelle. Nous sommes dans une zone où tout le monde fait du tourisme, indépendamment de leur idéologie ; ils font du tourisme une source importante de revenus, sauf nous. L'une des choses qui m'interpellent c'est aussi le fait que nous n'avons jamais pu résoudre le problème de l'esclavage avec l'affaire des restavèk. Pour le résoudre, il faut l'éducation universelle et la nutrition pour tous. Cela doit être des objectifs pour nous. »
Mon éducation vers l'intérêt public reçue de ma famille m'a écarté de certains choix. Je ne suis pas devenu un jeune loup duvaliériste ni non plus un homme d'affaires dans Lavalas. Tous les régimes ont un côté positif, il faut faire de bons choix. J'ai eu la chance de pouvoir choisir à chaque fois. »
Frantz Duval
duval@lenouvelliste.com
Une fenêtre ouverte sur Haïti, le pays qui défie le monde et ses valeurs, anti-nation qui fait de la résistance et pousse les limites de la résilience. Nous incitons au débat conceptualisant Haïti dans une conjoncture mondiale difficile. Haïti, le défi, existe encore malgré tout : choléra, leaders incapables et malhonnêtes, territoires perdus gangstérisés . Pour bien agir il faut mieux comprendre: "Que tout ce qui s'écrit poursuive son chemin, va , va là ou le vent te pousse (Dr Jolivert)
mardi 7 septembre 2010
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