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dimanche 16 septembre 2007

Policier, par amour ou par nécessité !


De plus en plus, de jeunes manifestent le désir de devenir policiers. Pour quels motifs ? Protéger et servir la communauté? Devenir chefs ? Leur motivation est certainement différente. Se garantir d'un emploi ou encore se donner juste une visibilité sociale ? Leur motivation est certainement différente
La Police nationale d'Haïti (PNH) compte à l'heure actuelle plus de 8000 agents. Et, d'ici 2011, l'effectif devra atteindre 14 000, selon les responsables de cette institution. Une estimation qui parait tout à fait évidente lorsqu'on tient compte du nombre de jeunes qui, à chaque recrutement de la PNH, vont se masser dans les centres d'inscription. De longues files d'attente constituées en général d'écoliers, de bacheliers, de professionnels, d'universitaires, bref des milliers de postulants, pour des motifs tellement différents.
Françoise Orgella était encore en seconde quand elle nourrissait l'envie d'intégrer la PNH. Dissuadée à l'époque par sa mère de ne pas discontinuer ses études au profit de l'institution policière, elle a dû refouler son désir pendant quelques années. Tenace et toujours motivée, la jeune fille a finalement obtenu gain de cause. En 2004, toujours contre toute attente de sa mère, elle a intégré la 16e promotion de la PNH alors qu'elle était étudiante en sciences économiques à la Faculté de droit et des Sciences économiques (FDSE). Affectée au service de secrétariat au commissariat de Pétion-Ville, Françoise Orgella, agent 1, n'a pas du tout le visage de quelqu'un qui aurait regretté son choix. « J'ai toujours voulu entrer dans la Police nationale », lance-t-elle l'air satisfait. Le motif de la jeune policière qui a aussi un diplôme en sciences économiques est simple : montrer à la population que nombre de jeunes femmes de la PNH sont aussi qualifiées que les hommes garçons dans l'exercice de leur travail, qu'elles sont compétentes et qu'elles sont toutes aussi déterminées à protéger et servir la population haïtienne.

Ce n'est pas du tout le même motif qui a amené *Marie-Alberte à la PNH. Des besoins pressants sur le plan financier ont orienté le choix de la jeune femme vers l'institution policière. « J'ai choisi de devenir policière parce que je n'ai pas pu trouver un emploi après mes études en secrétariat, confesse-t-elle. Il y avait à ce moment le recrutement pour une promotion de policiers. Je m'y suis inscrite dans la perspective de trouver un emploi. »
La PNH n'est pas un tremplin
Nombre de gens auraient, en effet, intégré la PNH dans le souci de trouver un emploi. Cette situation, visiblement liée au chômage et aux difficultés financières auxquelles est confrontée la majorité de la population, est très mal vue par le commissaire divisionnaire Gaspard Hyppolite. « La PNH n'est pas un tremplin où l'on cherche à se procurer un boulot », rétorque-t-il. Pour le commissaire, le premier intérêt d'un agent de police devrait être, comme le prône la philosophie de l'institution, protéger et servir la population haïtienne. Tel n'est pas toujours le cas.
Divers autres obstacles contrarient cette vision de la PNH. Nombre de policiers font fi de leur promesse de travailler dans n'importe quel coin du territoire national. Ceci est contraire au contrat d'engagement signé à leur sortie de l'Académie. En effet, dans plusieurs régions du pays, les citoyens ne cessent de se plaindre du manque de policiers dans les commissariats. Souvent, ces derniers délaissent leur lieu d'affectation. C'est le cas de la commune de Cerca-Cavajal. Là-bas, il n'y a qu'un seul policier en poste. L'inspecteur Philogène Jonas a volontiers choisi de rester dans ce commissariat quelque peu délabré. Mais il doit, à lui seul, assurer la sécurité des 40 mille habitants de cette commune.
Les zones reculées négligéesCette situation d'effectif réduit de policiers est constatée surtout dans les zones reculées du pays, où les infrastructures font défaut, reconnaît le commissaire Gaspard Hyppolite. Sur l'ensemble des demandes de transferts enregistrées par année dans le pays, 90% concernent la zone métropolitaine de Port-au-Prince et quelques rares chefs-lieux de département, rapporte le commissaire. « Cette déperdition en effectif est due à un manque d'intérêt et de motivation chez les policiers et les cadres supérieurs de cette institution. Elle est plus cruciale dans le milieu rural », explique M. Hyppolite.
Vision toute autre pour le porte-parole de la PNH, Frantz Lerebours. Le commissaire justifie cela par le besoin sécuritaire d'une zone par rapport à une autre. « On n'a pas besoin d'une forte présence policière dans des zones où il n'y a pas trop de perturbations, où l'on enregistre que de petites infractions », précise le porte-parole.
Cependant, il n'y a pas que ces problèmes à résoudre au sein de la Police nationale. Souvent, les membres de la population se plaignent du mauvais comportement de certains policiers. Ces derniers se comportent en de véritables bourreaux lors de leurs interventions. Le directeur général de la PNH, Mario Andrésol, déplore, lui aussi, ce fait. Au cours d'une interview accordée au Nouvelliste en mars dernier, il avait critiqué le mauvais comportement de ces policiers qui s'érigent en chefs et qui croient n'avoir de compte à rendre à personne. « Selon moi, il faut démythifier cette affaire de « chef » en Haïti. Il nous faut divorcer d'avec certains comportements, avec certaines pratiques avant même de penser à l'instauration d'un Etat de droit dans ce pays », a-t-il affirmé, en rappelant que le policier est payé pour protéger et servir.
« Payé à partir des taxes des contribuables, le policier ne doit jamais oublier au service de qui il est et au service de quelle cause : protéger et servir la population », a ajouté le directeur général. Un salaire qui crée beaucoup de remous chez certains policiers.
Des agents de la police, qui ont voulu garder l'anonymat, se plaignent en effet du maigre salaire qu'ils reçoivent de la PNH. C'est pratiquement la désillusion pour certains d'entre eux qui s'attendaient à un aller mieux financier. « En intégrant la PNH, j'ai compris les choses différemment. On ne peut gagner sa vie avec le misérable salaire de policier », se lamente un agent de la circulation. Père de famille, comme tant d'autres de l'institution, cet agent travaille entre 8 à 12 heures par jour. Pourtant, il se voit obliger de recourir à d'autres activités pour subvenir aux besoins de son foyer.
Un instinct de survieLe directeur général Mario Andrésol en mars dernier avait lui aussi confirmé cette situation qui, jusque-là, n'a pas changé. « Auparavant, les agents de la circulation ne travaillaient qu'aux heures de pointe, ils regagnaient ensuite leur quartier général pour aller « brasser » comme on dit en créole. Si on les trouvait dans les rues à une certaine heure, c'était encore pour « brasser », avait-il avancé.Cet instinct de survie porte des policiers à abandonner le métier pour s'installer ailleurs ou tout simplement pour un boulot plus rémunéré. La vie n'a pas de patrie, dirait-on. « Des policiers ont abandonné l'institution, explique le commissaire Frantz Lerebours, au profit d'un autre boulot ou d'un papier de résidence. D'autres sont partis parce que leur attente n'a pas été comblée. »
Les responsables de la PNH ont déjà envisagé d'améliorer les conditions de vie des agents de la police. Ces derniers, tout comme les autres fonctionnaires de l'Etat, bénéficient depuis 2000 d'une couverture sociale en matière de santé. Aujourd'hui, le haut commandement de la Police travaille d'arrache-pied pour garantir une assurance particulière aux policiers. Ils entendent aussi les encourager davantage à exercer avec efficacité et honnêteté leur métier. Selon leur niveau de compétence, de leadership, de savoir-faire et leur expérience, les agents peuvent être promus d'un moment à l'autre à un grade supérieur. Pour ce faire, explique le porte-parole de la Police, Frantz Lerebours, un plan de carrière sur la vie du policier a été élaboré et soumis à l'exécutif qui à son tour procède à la promotion des agents.
A l'inverse, toute infraction à l'éthique et au code de déontologie de l'institution, au manuel des règlements de discipline de la PNH est passible de pénalisation et de révocation de l'institution, a fait savoir M. Lerebours. A ce niveau, les données de la Police nationale en disent long. De 1995 à 2006, 2462 policiers ont été renvoyés de l'institution. La plupart d'entre eux pour abandon de poste, fraudes et autres accrocs à la PNH. De ce nombre, 95 % sont de sexe masculin. En fait, il y a très peu de femmes au sein de la PNH. «Sur les 8000 policiers de l'institution, les femmes ne représentent que 5%, soit 411 policières», a fait savoir Frantz Lerebours. Un déséquilibre que tente de réparer le staff de la direction générale de la PNH. A cet effet, les 7 et 8 août 2007, une inscription spéciale a été organisée uniquement pour recruter la gent féminine.
A ce niveau, les autorités policières n'ont aucune crainte quant à la capacité des femmes à répondre aux exigences du métier. « Elles sont aussi dynamiques, dès fois même plus dynamiques que les hommes », a rassuré le commissaire Gaspard Hyppolite. Cette initiative devra non seulement garantir la parité de genre au sein de l'institution policière, mais aussi augmenter dans les prochaines années l'effectif de la PNH. D'ailleurs, le directeur général, Mario Andrésol, l'avait déjà annoncé: d'ici à 2011, l'effectif de la Police nationale d'Haïti devra atteindre 14 000 policiers.

* Marie-Alberte est un nom d'emprunt utilisé pour garder l'anonymat de la jeune policère
Sherline Chanlatte Duplan
Jean Max St Fleur

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