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vendredi 21 septembre 2007

Ascendance haïtienne : binationaux ou apatrides? Enfants nés en République Dominicaine et/ou de parents haïtiens..

La nationalité est l'acte par lequel un Etat atteste que telle personne fait partie de la communauté placée sous son autorité et sa protection de manière privilégiée. C'est un droit naturel et également un droit humain. Cependant, au XXIe siècle, on refuse à nombre d'enfants d'origine haïtienne l'accès à l'exercice de ce droit en dépit des normes et conventions internationales auxquelles les Etats haïtien et dominicain sont parties.
Des spécialistes haïtiens en droit public se sont prononcés suite à la publication d'une lettre ouverte émanant de plusieurs organisations de défense des droits des Haïtiens vivant en République dominicaine relative aux déclarations qu'aurait faites l'ambassadeur haïtien à Santo Domingo, le Dr Fritz Cinéas.

Selon la teneur de cette lettre ouverte adressée au Président de la République, René Préval, l'ambassadeur Cinéas, qui participait à un dîner hebdomadaire à l'initiative des médias du Groupe Corripio, le 29 août dernier, aurait fait des déclarations portant atteinte aux intérêts des migrants haïtiens vivant de l'autre côté de la frontière. Entre autres déclarations, le diplomate haïtien aurait laissé entendre que « les enfants d'Haïtiens nés en République dominicaine restent des Haïtiens comme lui » à part entière, ce qui a soulevé la colère d'un ensemble d'organisations luttant pour le respect des droits des migrants haïtiens et pour leur intégration sociale en République dominicaine.Invités à se prononcer autour de cette question, véritable pomme de discorde, deux spécialistes haïtiens en droit public ont déploré cet incident émanant de ce qu'ils considèrent comme une vérité juridique. « C'est une tristesse pour l'ambassadeur Cinéas et également une tristesse pour ceux qui le contestent et qui préfèrent la nationalité dominicaine au détriment de celle d'Haïti », a déclaré au journal le professeur Fritz Jean-Louis.

Le conflit jus soli VS jus sanguinisSelon le professeur Jean-Louis, en principe, tout mineur à la nationalité de ses parents. Il y a toujours des nuances en droit mais ce sont généralement les parents qui prennent l'initiative effective de la nationalité de leur progéniture, nonobstant les principes du jus soli ou du jus sanguinis que pourraient adopter les Etats en matière de nationalité.Le jus soli, droit du sol, est le principe selon lequel l'enfant a la nationalité de l'Etat où il est venu au monde. Et le jus sanguinis, droit du sang, est celui qui veut que l'enfant a la nationalité de ses parents. Haïti a adopté, au terme de l'article 11 de la Constitution en vigueur, le jus sanguinis, et la République Dominicaine, le jus soli, avec chacune une variante rendant difficile toute solution de compromis. En effet, l'article 11 de la Constitution de 1987 dispose : « Possède la nationalité d'origine, tout individu né d'un père haïtien ou d'une mère haïtienne qui eux-mêmes sont nés haïtiens et n'avaient jamais renoncé à leur nationalité au moment de la naissance. » Et l'article 15 de renchérir : « La double nationalité haïtienne et étrangère n'est admise sous aucun prétexte. »

Et l'article 11-1 de la Constitution de la république voisine dispose, pour sa part : « Sont Dominicains, les enfants nés sur le territoire de la République Dominicaine à l'exception des enfants de diplomates et de ceux des étrangers de passage. » Pris en sandwich« Au regard de la Constitution haïtienne, un enfant né de parents haïtiens est Haïtien quel que soit son lieu de naissance en vertu du droit du sang. Et du point de vue de la République Dominicaine, l'enfant né sur le territoire dominicain est Dominicain en vertu du droit du sol », a commenté le professeur Jean-Louis faisant remarquer que « l'enfant né de parents haïtiens en République Dominicaine a dans sa personne la nationalité haïtienne et la nationalité dominicaine».



« L'autorité dominicaine en la matière, tout en n'ayant pas un pouvoir discrétionnaire, peut souverainement décider de la nationalité effective du mineur », a renchéri Me Jean-Louis faisant remarquer que les deux principes, droit du sol et droit du sang, sont constitutionnels en République Dominicaine et peuvent être cumulatifs au cas où l'enfant d'ascendance haïtienne né de l'autre côté de la frontière aurait au moins un parent dominicain.« La nationalité est un lien juridique reliant un individu à un Etat, a rétorqué, pour sa part, un professeur de droit international privé à l'Université d'Etat d'Haïti. Il doit être manifesté. Le drame, a-t-il poursuivi, beaucoup d'enfants d'ascendance haïtienne ne sont pas déclarés par leurs parents à qui de droit. Ce qui leur confère une situation hybride. » En effet, plusieurs parents haïtiens vivant en République Dominicaine n'ont pas déclaré leurs enfants aux Consulats haïtiens, comme le veulent les normes en la matière, soit par ignorance, soit parce qu'ils y vivent de manière irrégulière, soit parce qu'ils préfèrent la nationalité dominicaine pour leurs enfants à celle d'Haïti. De l'avis de certains Dominicains, les travailleurs haïtiens sont considérés comme des étrangers de passage et n'ont pas droit à la nationalité dominicaine. « L'Etat dominicain n'a rien fait pour sortir ces enfants de cette situation hybride en leur accordant la nationalité dominicaine, et l'Etat haïtien n'a pas fait grand-chose non plus pour aider ces enfants à avoir la nationalité haïtienne », a déploré ce spécialiste en droit international privé sous couvert de l'anonymat.

Le rôle de l'Etat« L'Etat détermine qui sont ses nationaux, qui ne le sont pas. Aucune autre organisation ne peut se substituer à l'Etat. Les Consulats haïtiens en République Dominicaine devraient faire en sorte que tous les enfants d'ascendance haïtienne soient déclarés pour leur éviter l'apatridie », a-t-il conseillé au regard des organisations qui critiquent la position de l'ambassadeur Cinéas.Dans leur lettre ouverte au Président de la République datée du 5 septembre 2007, avec copie conforme au Premier ministre, au ministre des Affaires étrangères, au ministre des Haïtiens vivant à l'Etranger et aux présidents du Sénat de la République et de la Chambre des Députés, les organisations signataires qualifient « d'impropres » les déclarations de l'ambassadeur Cinéas et estiment que de telles déclarations « mettent en évidence une méconnaissance du principe de la territorialité du Droit constitutionnel (...) et offrent un argument officiel, non valide, aux secteurs qui, de façon discriminatoire, s'opposent à l'intégration sociale des Dominicains d'origine haïtienne». « Ces organisations, de l'avis du spécialiste, ne sont pas des interprétatrices des lois de l'Etat. Leurs luttes justifient leur existence. L'ambassadeur Cinéas, en ce qui concerne la notion de nationalité, a été correct. Cependant, il n'a pas poursuivi son raisonnement ou celui-ci a été tronqué par ceux qui l'ont rapporté. »L'ambassadeur Cinéas est un diplomate de carrière. Il a été désigné ambassadeur d'Haïti à Santo Domingo à la fin de l'année 2005. Il a déjà occupé cette fonction sous le règne de Jean-Claude Duvalier. A ce propos, lit-on dans la correspondance adressée au président Préval, la Centrale d'Intelligence américaine a révélé récemment l'implication de fonctionnaires du régime des Duvalier dans le trafic des personnes par l'embauche des braceros à l'époque où le Dr Cinéas était ambassadeur.Nos efforts pour joindre l'ambassadeur Cinéas se sont révélés vains. Toutefois, les colonnes du journal restent ouvertes au diplomate au cas où il aurait des précisions à apporter autour de cet incident.

Samuel BAUCICAUT

baucicaut@yahoo.fr
http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=48746&PubDate=2007-09-20

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