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mercredi 4 septembre 2013

Port-Salut, des résistants prêts à protéger « Le Résistant »

Le Nouvelliste | Publi le :03 septembre 2013
Roberson Alphonse roberson_alphonse@yahoo.com
Port-Salut est une zone rouge pour les Casques bleus. Cette ville de la côte sud n'a plus de base militaire mais une statue,"Le Résistant", symbole d'une Haïti qui dit non à l'impunité, aux exactions de certains soldats de la paix. Cette statue que des chefs voudraient raser est protégée jour et nuit par des habitants de la ville.
1er septembre. C'est dimanche. Quelques coqs hystériques chantent le lever du jour. La ville, entre le vert des arbres et le bleu d'azur d'un ciel presque sans nuages, prend son temps avant de se réveiller. Des dévots, Bibles en main, sur le chemin de l'église, passent à côté de la « place de la Résistance », sans trop faire attention à deux gamins, heureux comme des demi-dieux. Des balançoires aux manèges, pieds nus, vêtements usagés, ces garnements s'amusent.
Doudou, le préposé au nettoyage, un bout de tissu en main, à une dizaine de pas de ces gosses, rend nickel la plaque au pied de la statue « Le Résistant », pas bien vue des gens du pouvoir. Cette oeuvre en fibre de verre et en fer du jeune sculpteur Josué Blanchard, ancien de l'ENARTS, montre un homme debout, point gauche vers le ciel, main droite tenant un mât planté dans un Casque bleu estampillé Minustah-Choléra posé sur des crânes. Sur ce qui ressemble à une montagne de cadavres, une chaîne est rompue. Impétueux, un coup de vent venant de la montagne se lève et les couleurs nationales flottent.
Cette place, inaugurée le 2 août, habite déjà des consciences plus que révoltées par les agissements des Casques bleus. Elles bouillonnent et sont prêtes à mourir s'il le faut pour faire échec au projet de briser la statue « Le Résistant ». « Quand il viendra, le bulldozer passera sur mon cadavre », jette Marckens Silvestre, 25 ans. Lunettes de soleil, ce déçu de Michel Martelly, assis à l'ombre du podium, écoute d'autres balancer leurs récriminations et leur mise en garde. Sur une échelle plus élevée, petit à petit, d'autres habitants de Port-Salut sont mis au courant de ce projet. Une pétition circule pour dénoncer la Minustah et le gouvernement qui exercent des pressions sur les autorités locales pour démolir la statue, confie Ernso Valentin, journaliste, animateur de l'émission « Louvri Je » sur radio Fraternité. Elle a déjà été signée par plus de 200 personnes, poursuit-il. « Ici, des Casques bleus ont commis des actes odieux », explique Ernso Valentin, visage de boxeur, regard de révolté.
Le viol sur Johnny Jean, filmé et posté sur Youtube par des Casques bleus, a scandalisé le monde mais on ne dit pas grand-chose de ces femmes mises enceintes par des Casques bleus uruguayens et abandonnées avec des enfants dans les bras, peste-t-il. Le cas le plus emblématique reste, souligne Ernso Valentin, celui d'une jeune fille de 17 ans. Sur la route, entre la place et l'endroit où se trouve ladite jeune fille, il souligne que celle-ci est aujourd'hui âgée de 19 ans. A l'extérieur de l'église Bethsaïda, à Dupin, Rosie(nom d'emprunt) raconte son histoire, avec son fils de deux ans dans les bras. « Julio était mon petit ami », explique-t-elle, pudiquement, sans acrimonie envers cet Uruguayen qui ne verra peut-être jamais cet enfant aux yeux de bronze. Sous les yeux de sa grande soeur et du journaliste, ses mots sont mesurés, sa déception évidente. « C'est comme ça , ils ont profité de la précarité socioéconomique de ces jeunes », indique Ernso Valentin, qui n'est pas le seul à dénoncer le projet de raser « Le Résistant ».
Le député de Port-Salut, Sinal Bertrand, l'affirme. Il dénonce et tance. Eric Jean-Baptiste, homme d'affaires, supporteur de Mirlande H. Manigat (RDNP), grand pourfendeur de la Minustah, qui a mis la main à la poche pour construire cette place, confirme, lui aussi, l'existence de ce projet visant à raser cette statue. Des membres du gouvernement et la Minustah sont derrière ce projet, affirme Eric Jean-Baptiste, ajoutant que cette statue fait désormais partie du patrimoine d'Haïti, un pays qui a toujours dit non à toutes les formes d'esclavage.
On dément en bloc « C'est faux. Tout ce que ces gens disent est faux », lance l'agent exécutif intérimaire (Maire A.I Ndlr) Pierre Clébert, joint au téléphone sur la route nationale numéro 2, entre Port-Salut et Port-au-Prince. Le chancelier Pierre-Richard Casimir affirme qu'il « n'est pas au courant de telles mesures concernant cette place ». Même son de cloche de la part de la Minustah. « La Minustah n'a fait aucune demande, quelle qu'elle soit concernant cette place et cette statue », selon Sophie Boutaud de Lacombe, porte-parole de la Minustah.
Des sources combinées laisseraient croire pourtant que le président Michel Joseph Martelly, qui aurait mal digéré le fait que cette place ait été construite par des « opposants », a passé des instructions pour que cette statue soit rasée. Lucien Jura, joint au téléphone, n'a pas voulu faire de déclaration sur le sujet. Entre-temps, la suspicion enfle à Port-Salut où des gens, jour et nuit, sont en mode résistance pour protéger la statue « Le Résistant ».
Roberson Alphonse roberson_alphonse@yahoo.com
http://lenouvelliste.com/article4.php?newsid=120752

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